Comment réhabiliter le rôle économique de la forêt ?
Les termes de l’équation
Amar Naït Messaoud, El Watan, 30 août 2018
La pression qui s’exerce, au cours de ces quatre dernières années, sur les finances publiques et l’économie nationale de façon générale conduit les gestionnaires de tous les secteurs à chercher l’exploitation de toutes les «niches» et tous les gisements restés inexploités, voire parfois inexplorés.
Cela va des divers produits miniers et autres produits du sous-sol, en dehors des hydrocarbures, jusqu’aux produits d’artisanat, frappés par une forme d’abandon durant près de trois décennies, et autres plantes médicinales et aromatiques, lesquelles, sous d’autres latitudes, alimentent des centaines de fabriques, dynamisent l’activité commerciale et nourrissent des milliers de familles, en passant par tous les produits issus de la transformation agroalimentaire ou de l’industrie légère.
Le nouveau schéma de la croissance économique que compte mettre en place le gouvernement mise sur l’ensemble des potentialités nationales en matière de mobilisation des ressources autres que fossiles. La diversification des activités s’impose comme une solution incontournable, même si elle tarde à montrer encore ses esquisses précises et achevées.
L’agriculture, le tourisme, la transformation agroalimentaire, l’industrie minière et d’autres créneaux encore sont censés travailler à contrebalancer progressivement les pertes en recettes pétrolières enregistrées depuis le milieu de l’année 2014.
Par secteurs et sous-secteurs, les différents départements ministériels sont appelés à recenser toutes les potentialités existantes et à se projeter dans le court, moyen et long termes. C’est dans cette perspective que le ministère de l’Agriculture, du Développement rural et de la Pêche s’est spécialement penché sur la réflexion inhérente au nouveau rôle que peuvent jouer les espaces forestiers en tant que producteurs de valeur ajoutée dans le cadre du développement durable.
A cet effet, la Direction générale des forêts a validé en novembre 2016 ce qui est appelé «Stratégie de développement forestier à l’horizon 2035».
Ce fut au cours de journées d’études organisées sous forme d’ateliers au centre de formation des agents forestiers de Jijel. Par groupes de wilayas, des questions de grande pertinence ont été mises sur la table afin de trouver les moyens de sauvegarder le patrimoine forestier national et lui assigner des missions de participation à l’effort de redressement économique.
Un écosystème fragile
La tâche paraît d’une grande complexité face aux menaces qui pèsent sur cet écosystème fragile, soumis jusque-là à plusieurs aléas : défrichements, incendies, constructions illicites, etc. La prise de conscience pour défendre et préserver les ressources forestières nationales commence à se faire de façon progressive, aussi bien au sein du monde associatif et des cercles universitaires, qu’au sein des institutions administratives chargées de leur gestion et de leur promotion.
Incendies, coupes abusives pour y extraire bois de chauffage et étais pour la construction, rejets et détritus de toutes sortes déposés à l’orée ou à l’intérieur même de la forêt, défrichement pour des constructions illicites, sont autant de niveaux de dégradation du milieu forestier qui mettent à mal un patrimoine précieux dont le renouvellement ne peut s’effectuer qu’à l’échelle de plusieurs générations.
Ainsi, la forêt algérienne, qui s’étend sur une superficie de 4,1 millions d’hectares (outre 3 millions d’hectares d’alfa), a suivi, dans son processus de dégradation, avec un parallélisme presque parfait, le destin des populations et du pays tout entier.
Elle a subi cette chute aux enfers, d’abord en tant que source de production de certaines matières premières et sous-produits (bois, liège, fruits sauvages, plantes médicinales, matière fourragère), ayant une valeur commerciale, et en tant qu’écosystème réceptacle de la plus riche biodiversité du pays, dont l’évaluation «marchande» ne peut être établie au vu de son importance écologique conditionnant le développement durable.
Depuis la guerre de Libération nationale jusqu’aux années noires du terrorisme, la forêt algérienne a subi de multiples agressions qui ont réduit peu à peu son rôle économique, à commencer par la production de bois et de liège. Pire, des dizaines de milliers d’hectares de terres, après dénudation, commencent à subir l’effet ravageur de l’érosion hydrique, avec les conséquences que l’on connaît sur l’envasement des barrages hydrauliques et sur la perte de la valeur agrologique du sol.
L’un des indicateurs qui peut nous renseigner sur le niveau de dégradation de la forêt algérienne est que, au cours de ces deux dernières décennies, les pouvoirs publics et les gestionnaires de l’économie nationale parviennent difficilement à intégrer la production forestière dans les grands agrégats de l’économie nationale, hormis le liège dans lequel l’Algérie a perdu le «leadership» dans le bassin méditerranéen.
Valorisation des produits du terroir
Etant majoritairement à vocation de protection, les massifs forestiers algériens peuvent, cependant, être la source de production et de valorisation de certains produits du terroir (fruits des bois, plantes aromatiques et médicinales, goudron végétal,…), à servir aussi de lieu de récréation et de détente (forêts récréatives suburbaines, espaces d’écotourisme), à jouer le rôle de complément à l’agriculture professionnelle dans le cadre des autorisations d’usage accordées aux riverains pour des plantations fruitières, élevage familial, pépinière, etc.
Tous ces créneaux figurent dans l’agenda de la Direction générale des forêts et sont largement intégrés dans les plans d’actions des conservations de wilaya.
Afin de faire valoir cette nouvelle vision axée sur la nécessité de valoriser toutes les ressources forestières (produits principaux, sous-produits, produits du terroir et assiettes foncières pour la récréation et les périmètres de mise en valeur), l’administration des forêts s’est attelée à l’organisation des filières inhérentes à ce genre d’activité.
Car, contrairement aux créneaux professionnels déclinés en filières (lait, pomme de terre, céréales, oléiculture, viandes,…), les activités envisagées dans les espaces forestiers n’étaient pas organisées lorsque l’idée de cette nouvelle économie forestière sortit des tiroirs de l’administration en 2016.
L’ancien ministre de l’Agriculture, Sid Ahmed Ferroukhi, avait instruit les services des forêts et de l’agriculture d’organiser des salons pour les nouveaux investissements portant sur les produits de la forêt, en intégrant les micro-entreprises, les banques, les Chambres d’agriculture, les universitaires, les associations et d’autres acteurs locaux afin de créer les synergies nécessaires à la création de filières dans des activités jusque-là inorganisées, voire parfois inconnues.
Ainsi, le système de filière est censé pouvoir agir sur la problématique de la chaîne des valeurs par laquelle devront passer les produits, depuis la récolte ou la cueillette sur le terrain (comme c’est le cas actuellement pour le romarin, le genévrier, le charbon de bois et le lentisque, dans les wilayas qui ont conçu des projets d’exploitation), jusqu’à l’éventuelle exportation du produit fini ou semi-fini, en passant pas les réseaux de revendeurs de la matière première (gros ou demi-gros) et de transformation (huiles essentielles, confitures, sirops, produits traités pour la vannerie et sparterie, poudre de caroube,…).
Le temps mis dans la formation de ces filières a quelque peu retardé les investissements attendus, d’autant plus que, dans certaines régions, on en est encore à identifier et faire l’inventaire des potentialités existantes.
Parallèlement au processus d’intégration de la forêt dans la diversification de l’économie nationale, cet espace particulier, fragile, menacé de toutes parts, requiert une attention soutenue, devant se traduire par des programmes et des mesures de protection, de développement et d’extension.
Après le dégel de certaines opérations, dont l’inscription remonte à 2014, des actions de reboisement, de repeuplement, de renforcement du réseau de desserte, de mobilisation de moyens de prévention et de lutte contre les incendies sont lancées sur le terrain.
De même, le vieux rêve de la réforme de législation forestière, datant de 1984, est en train de connaître le chemin de sa réalisation. Dépassée par la réalité du terrain, particulièrement dans le volet de la dissuasion des actions délictueuses (défrichements, abattage d’arbres, construction illicites,…), la loi 84-12 portant Régime général des forêts est promise à une refonte profonde, censée prendre en charge les préoccupations actuelles des gestionnaires des territoires forestiers.