OTAN-MENA: Du GMO américain au « Sud » atlantiste

Ghania Oukazi, Le Quotidien d’Oran, 6 août 2018

Les Etats membres de l’Organisation du traité de l’atlantique nord (OTAN) ont décidé d’englober les pays d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient (MENA) et du Golfe pourleur donner une identité unique, « le Sud ».

Révolu semble le temps où les pays de l’Afrique du Nord et de la rive sud de la Méditerranée étaient désignés sous le vocable du « Dialogue Méditerranée (DM) » et quatre parmi ceux du Golfe, sous celui de « l’Initiative de Coopération d’Istanbul (ICI).» Des responsables, à Bruxelles, ont toujours affirmé qu’en mettant au point les deux programmes (DM en 94 et ICI en 2004), « on a vu qu’il y a des différences de perception entre les deux régions, les sociétés sont très différentes entre le Golfe et le Maghreb.» Ce qui les a poussés, disent-ils à «adapter la coopération selon les besoins précis de chaque pays, les programmes sont élaborés, au cas par cas, et à la demande des pays.» Mais depuis février dernier, les choses semblent avoir évolué, autrement. L’OTAN a changé d’approche et a abouti à un consensus pour rassembler ces pays sous l’appellation « le Sud. » La coopération OTAN-Sud veut «apprendre aux pays concernés comment prévenir et lutter contre les menaces émergentes.» A la question qu’est-ce que le Sud pour l’OTAN ? La réponse est simple « de la Mauritanie jusqu’au Golfe.» Une idée calquée, selon toute vraisemblance, sur la fameuse initiative américaine, au temps de Condoleeza Rice « le Grand Moyen-Orient (GMO)», un vocable pour identifier le monde arabe et musulman « de Kaboul à Tanger.» Les Etats membres refusent néanmoins, d’avouer qu’ils ont copié l’idée américaine de « ramasser les pays arabes et musulmans pour en faire une sous-région disposée à lutter contre le terrorisme. ‘The German Marshall Fund of the United States’, un institut américain a rendu public, en juin 2018, pour le compte de l’OTAN, une analyse sur « le futur du Dialogue Méditerranéen » où il met en exergue cette nouvelle identité commune de pays dont « les sociétés sont (pourtant) totalement différentes. » Le DM et l’ICI pourraient apparaître, ici et là, dans les documents de l’OTAN. Mais il reste que, très prochainement, les deux appellations seront mises sous le générique « le Sud. » La déclaration du sommet de Bruxelles en résume l’idée. « Nous avons entériné, aujourd’hui, un paquet concernant le Sud, qui comporte diverses initiatives politiques de coopération pratique visant à adopter une approche plus stratégique, plus ciblée et plus cohérente pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, région qui fait face à un grand nombre de menaces et de défis complexes, lesquels par voie de conséquence, portent atteinte à notre sécurité,» est-il retenu.

«Le Sud» au service de la sécurité des alliés

L’Alliance a mis en place, en févier dernier, à Naples, un pool spécialisé pour plancher sur cette nouvelle vision. Il recevra des collaborateurs des pays du Sud « pour élargir la concertation sur les questions sécuritaires.» Il s’agit « d’inciter les pays du Sud à partager la même lecture que l’OTAN sur la sécurité, le renseignement, on intègre nos partenaires dans la coopération mais on les fait aussi participer à façonner notre idée sur la sécurité, il est important, pour eux et pour nous, qu’ils aient une meilleure compréhension d’une dynamique locale, pour nous, c’est un changement fondamental.» « Le Sud », un concept nouveau qui s’applique aux pays « de la Mauritanie au Golfe» devant ainsi, s’initier à des missions d’ordre sécuritaire. L’Institut affirme que « c’est sur la base d’entretiens avec des responsables et des experts des pays du Moyen-Orient-Afrique du Nord (MENA) ainsi que d’autres de l’OTAN que l’analyse a été élaborée. » Les recommandations avancées visent, dit le rapport, « à donner une nouvelle impulsion à ce programme (DM), vieux d’il y a une vingtaine d’années. » Le tout doit concorder à l’objectif que se fixe l’OTAN pour contrer, tous les fléaux d’insécurité, de terrorisme, de prolifération des armes de destruction massive…..» «Le rapport du The German Marshall Fund of the United States’ semble compléter, réajuster et élargir celui établi en 2010 par un groupe d’experts dirigé par l’Américaine Madeleine Albright. A l’époque déjà, il était question de développer « un nouveau concept stratégique » suscitant un repositionnement de l’OTAN pour défendre ses alliés et les prémunir des nuisances du reste du monde.

Les Américains en maîtres du monde

« Le 11 septembre (…) a révélé le lien mortifère entre technologie et terreur, déclenchant une réponse qui a projeté les troupes militaires loin de leurs bases, qui a mis en lumière la nécessité de partager, à temps, le renseignement et qui a rendu la planification de défense plus complexe,» avaient souligné, en 2010, les experts en préambule de leurs travaux. Anders Fogh Rasmussen, alors secrétaire général de l’Alliance, voulait construire « le nouveau concept stratégique » sur de « nouveaux éléments » à savoir, avait-il dit à l’époque à des journalistes arabes et israéliens, « la coopération sécuritaire avec nos partenaires à laquelle nous donnons une place de choix, dans nos politiques sur ce sujet, la mise en œuvre d’une approche globale qui va au-delà de l’approche militaire et le développement d’un système de défense contre les missiles balistiques pour faire face aux nouvelles menaces.» Les Occidentaux pointaient, déjà, du doigt, l’Iran quand il s’agissait de parler de « nouvelles menaces » ou de « missiles balistiques » parce que soutenaient-ils « il a violé les traités dont il est signataire.» Par contre, ils pensent toujours, que n’étant pas signataire de ces traités, Israël ne doit leur rendre aucun compte. L’Alliance tient à ce que son nouveau concept soit élaboré sur la base de « fondamentaux constants » entre autres, sa fonction centrale qui doit sauvegarder « par des moyens politiques et militaires, la liberté et la sécurité de tous ses membres », son lien transatlantique « qui unit, de façon permanente, la sécurité de l’Amérique du Nord à celle de l’Europe », l’indivisibilité de la sécurité de tous les Alliés à savoir « une attaque contre l’un d’eux est une attaque contre tous (conformément à l’article 5 du traité de Washington)» et «un partage équitable entre ses membres des rôles, des risques et des responsabilités, tout comme les avantages. »        Les Atlantistes résument leur nouvelle conception du monde, d’ici à 2020, par le slogan ‘Une sécurité assurée, un engagement dynamique.’ L’Alliance s’oblige dans cet ordre d’idées, à fixer les principes directeurs de ses opérations extérieures. En 2010, le refus de beaucoup de ses Etats membres de payer plus pour une défense collective s’était déjà fait valoir. Les difficultés économiques vécues par beaucoup de pays occidentaux ont obligé certains des membres de l’Alliance à refuser « de payer plus » pour ne pas, disaient-ils, provoquer la banqueroute de leurs économies.

Aujourd’hui, le refus persiste grandement. Le président américain en a fait son sujet de prédilection, même de discorde avec les pays européens, durant le sommet de l’Organisation qui s’est tenu les 11 et 12 juillet derniers, à Bruxelles.


Libye, Irak, Afghanistan…

Ghania Oukazi

  L’OTAN met en avant la Ligue arabe pour justifier ses raids militaires aériens sur la Libye. Elle reproche aussi à «la communauté internationale» de n’avoir pas assumé ses responsabilités en refusant de mener «une opération de maintien de la paix» dans ce pays.

«Nous sommes intervenus militairement sur demande de la Ligue des Etats arabes», tiennent à répéter des responsables au quartier général de l’OTAN à Bruxelles. Pour eux, «c’est la Ligue arabe, la première, qui avait demandé aux Nations unies d’ordonner une zone d’interdiction aérienne sur la Libye». Leur autre justificatif : «Nous sommes intervenus pour protéger les populations libyennes contre Kadhafi pour protéger des vies humaines». Les mêmes responsables à l’OTAN rappellent aussi que «quatre pays arabes ont participé à l’opération militaire : le Maroc, le Qatar, la Jordanie et les Emirats arabes unis». L’Opération de l’OTAN, soulignent-ils, «était limitée». Leur remarque, «nous avons mené nos raids aériens sous mandat de l’ONU après l’adoption de deux résolutions par son Conseil de sécurité». Résolutions qui, faut-il le rappeler, ont été arrachées par la France de Nicolas Sarkozy. L’intervention était, disent-ils, «pour imposer une zone d’interdiction aérienne et un embargo sur les armes, le Maroc était un de nos partenaires, l’OTAN n’a pas d’armée, elle agit à travers des armées internationales et nationales». L’Alliance retire toute responsabilité quant aux conséquences désastreuses de ses attaques militaires contre la Libye. Ses responsables font part de «beaucoup d’incompréhension après l’intervention en Libye, l’OTAN a été beaucoup maltraitée, il y a eu même des échanges de reproches entre alliés». Leur explication de la déflagration de tout un pays, «le résultat n’est pas celui de l’OTAN, on n’a pas détruit la Libye, après notre intervention, c’était à la communauté internationale de prendre ses responsabilités en dirigeant une opération de maintien de la paix, mais elle ne l’a pas fait». Aujourd’hui pour l’OTAN, «la crise en Libye est endogène au pays, autochtone, tribale, il n’y a pas d’institutions, il y a des ministres mais pas de ministères, il faut une solution internationale». Elle n’en démord pas. «L’Organisation n’avait pas toutes les clés pour résoudre les problèmes en Libye», soutiennent ses responsables. «Après, il y a eu des interventions individuelles de membres de l’OTAN comme celle qui a tué Kadhafi», reconnaissent certains d’entre eux. Mieux, à la question «qui a tué Kadhafi ?», ils répondent à demi-mot. «C’est un pays, ce n’est pas l’OTAN»

Simple précision, «sur les 29 Etats membres de l’OTAN, 22 sont membres de l’Union européenne». Il est mentionné que «l’Union européenne avait refusé qu’il y ait un embargo sur les armes en Libye»

L’OTAN rassure en indiquant qu’Esseradj est venu deux fois à son siège à Bruxelles. «Il a demandé de l’aider à développer les institutions de défense et la formation des personnels des services de sécurité». Des diplomates de l’Organisation ont aussi rencontré au début de cette année à Tunis des responsables libyens. «Nous avons ensemble un programme de coopération sous contrôle du gouvernement civil», est-il dit.

Les stages de formation ont été retardés pour ne commencer que «dans quelques mois, parce que certains alliés pensent que ça brouillerait le processus du dialogue politique», est-il avancé. L’Alliance se dit «prête à aider les Libyens pour former et construire leurs capacités de défense», en précisant qu’«on n’intervient jamais dans les affaires internes des pays». L’OTAN, est-il souligné encore, «ne déclare pas de guerre ; ses membres craignent toute intervention militaire ; on ne le fait pas par choix» L’Alliance n’a jusqu’à ce jour aucun règlement qui oblige ses Etats membres à ne pas mener de guerre contre le reste du monde sans qu’ils soient véritablement menacés. Au regard des programmes de «reconstruction» qu’elle propose «à leur demande» aux pays ravagés par les guerres souvent provoquées par les Etats-Unis, un de ses membres les plus influents, l’OTAN semble se complaire à un partage de rôles qui ne dit pas son nom. L’Irak et l’Afghanistan seraient les témoins parfaits de telles situations kafkaïennes. L’Organisation note qu’«en 2003 on n’a pas cautionné l’intervention américaine en Irak, parce que nous avons estimé qu’il n’y avait pas de menace». Ce qui ne signifie pas qu’elle était contre l’attaque américaine, loin s’en faut, elle la considère même nécessaire «contre la dictature de Saddam». Ses responsables parlent aujourd’hui de «catastrophe humanitaire sans précédent en Irak».      

Ils reconnaissent que «certes, Daesh y a été vaincu, mais ses éléments y sont toujours présents». La réflexion «atlantiste» a reposé après le désastre américain sur «comment aider les forces militaires irakiennes pour sécuriser le pays, le stabiliser et le défendre». L’Organisation affirme avoir un programme de coopération avec l’Irak pour la formation de ses services de sécurité et le renforcement de ses capacités de défense.

L’Afghanistan est cette autre faute commise par les Etats-Unis à travers des opérations militaires menées par l’OTAN pour éliminer les Talibans. Annoncée en 2001 comme étant «l’offensive du printemps», les interventions militaires durent à ce jour et les Talibans continuent de sévir. «La situation en Afghanistan est très complexe», avouent des responsables atlantistes qui affirment que «le manque de stabilité en Afghanistan est parce que des Talibans tuent d’autres Afghans». Ils font savoir cependant que «les interventions militaires aériennes ont diminué de 50%». Ils estiment que «c’est le gouvernement afghan qui doit combattre les Talibans. Ce sont les Afghans qui mènent toutes les opérations militaires. La guerre est difficile. Il y a eu 9% de victimes de plus en 2017 par rapport à 2012». Après de longues années de guerre, l’OTAN fait part aujourd’hui «d’une avancée», à savoir que «le consensus est que la paix ne vient que par la négociation». Ce qui fait dire à ses responsables qu’«on est prêt à laisser les Afghans régler leurs problèmes tout seuls»

Seul le conflit israélo-palestinien ne fait pas partie des préoccupations de l’OTAN. «Le conflit n’est pas actuellement inscrit à l’ordre du jour de L’Alliance, on en parle beaucoup dans les milieux politiques et universitaires (…)». Le seul conflit auquel l’Alliance tourne le dos, fermant ainsi les yeux sur les monstruosités israéliennes agissant en toute impunité en maître des lieux, de la région et plus encore. «Aucune partie n’a sollicité l’OTAN pour qu’on puisse intervenir», avancent ses responsables. Protéger les Palestiniens contre le terrorisme d’Etat israélien ? «Nous ne sommes pas mandatés pour le faire», répondent-il simplement. Le Conseil atlantique n’en fait jamais cas. Les Etats-Unis et les alliés d’Israël ne le permettront pas.