L’instance onusienne exige l’abrogation des lois scélérates
Recommandations du Comité des droits de l’homme sur l’Algérie
Hacen Ouali, El Watan, 28 juillet 2018
Trois semaines après l’examen du rapport présenté par l’Algérie devant les «juges» du Comité des droits de l’homme onusien sur la situation des droits de la personne humaine, ce dernier a rendu publiques, hier, ses recommandations dans lesquelles il exprime ses vives inquiétudes.
Passant au crible la charte pour la paix et la réconciliation nationale, le Comité demande à l’Etat algérien d’«abroger l’article 46 de l’ordonnance 06-01 du 27 février 2006 qui porte atteinte à la liberté d’expression et au droit de toute personne d’avoir accès à un recours effectif contre les violations des droits de l’homme, tant au niveau national qu’international.
Elle (l’Algerie) devrait également s’assurer de l’absence de poursuite ou menace sur la base de l’article 46 de l’ordonnance 06-01». Dans le même esprit, le Comité onusien exige également de l’Algérie de «réviser l’article 87 bis du code pénal aux fins de définir avec précision les actes de terrorisme et s’assurer que les dispositions en lien avec la lutte contre le terrorisme ne soient pas utilisées pour limiter les droits consacrés par le pacte (des droits civils et politiques), en particulier à l’encontre des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes(…)».
Cette demande découle du fait des préoccupations du Comité quant à la définition du crime du terrorisme très large et peu précise, permettant la poursuite de personne pour comportement pouvant relever de la pratique de l’exercice de la liberté d’expression ou de rassemblement pacifique.
S’agissant du dossier des disparus durant la décennie noire, le Comité demeure «préoccupé» par l’ampleur du phénomène des disparitions forcées dans le cadre du conflit des années 1990.
Il «déplore en particulier l’absence de recours efficaces pour les disparus et leurs familles et l’absence de mesure prise en vue de faire la lumière sur les disparus, de les localiser et, en cas de décès, de restituer leurs dépouilles aux familles». Le Comité réitère ses préoccupations quant à l’article 03 du décret présidentiel 06-93 du 28 février 2006, conditionnant l’octroi des indemnités attribuées aux familles des disparus à la reconnaissance du décès de ces derniers.
Abordant le dossier de la migration qui ne cesse de défrayer la chronique, accompagné d’une vive polémique nationale et internationale, le Comité des droits de l’homme «s’inquiète de ce que le cadre juridique actuel relatif aux demandeurs d’asile et réfugiés, constitué de l’unique décret 63-274 du 25 juillet 1964, ne réponde pas en l’état aux obligations de l’Algérie».
Il s’alarme en particulier des allégations faisant état d’arrestations collectives de migrants, parmi lesquels des demandeurs d’asile et détenteurs de cartes de réfugié fournies par le HCR, de détentions administratives et d’expulsions collectives, et ce, sans aucune procédure. Tout comme il se dit préoccupé par les allégations récentes faisant état du fait que 13 000 personnes auraient été renvoyées collectivement vers le Niger et auraient été abandonnées dans le désert.
Partant de ces constatations, le CDH interpelle l’Algérie pour entreprendre toutes les mesures afin d’«adopter dans les meilleurs délais une loi d’asile conforme aux normes internationales protégeant les demandeurs d’asile et réfugiés en particulier, eu égard aux procédures d’admission et de demande d’asile et d’appel». L’Algérie «devrait s’abstenir de toute arrestation collective de migrants, éviter de les placer en détention de manière arbitraire et de veiller à ce qu’ils aient accès à un avocat et à l’information relative à leurs droits».
L’autre grief retenu par le Comité des droits de l’homme contre le gouvernement algérien est relatif à la liberté de religion sérieusement malmenée, notamment celle des minorités religieuses. Rappelant les multiples atteintes à la liberté de conscience, les «juges» du Comité ont invité formellement les autorités du pays à «éliminer toute disposition législative qui viole la liberté de pensée, de conscience et de religion, de s’abstenir d’entraver le culte de personnes n’observant pas la religion officielle, notamment par le biais de destruction et fermeture d’établissements ou refus d’octroi d’enregistrement de mouvement religieux non motivé par des exigences de nécessité et proportionnalité.
Elles doivent garantir à tous, y compris aux personnes athées et en situation d’apostasie de leur foi musulmane, le plein exercice de leur liberté de conscience (…)». Au chapitre relatif à la liberté de la presse et d’expression, le Comité exprime sa profonde préoccupation quant aux informations faisant état d’utilisation des dispositions pénales aux fins d’entraver les activités des journalistes et défenseurs des droits de l’homme, en citant les cas de Mohamed Tamalt, Hassan Bouras et Merzoug Touati.
C’est en ce sens que le Comité appelle le gouvernement algérien à «réviser toutes les dispositions de la loi organique de janvier 2012 et du code pénal pour les rendre conformes à l’article 19 du Pacte des droits civils et politiques et de veiller à la remise en liberté de toute personne condamnée pour avoir exercé son droit à la liberté d’expression».
S’agissant de la liberté de réunion publique drastiquement encadrée, notamment dans la capitale, le CDH exige du gouvernement l’abrogation du décret du 18 juin 2001 imposant une interdiction de manifester dans Alger, et de garantir que les manifestants ou toute personne facilitant la tenue d’une réunion publique ne fassent pas l’objet de poursuites pour exercice du droit de réunion, d’éliminer de manière effective toute forme d’usage excessif de la force de la part des agents responsables de l’application de la loi.
Le Comité demande également de «réviser la loi 91-19 du 2 décembre 1991 dans le but de lever toutes les restrictions aux manifestations pacifiques qui ne sont pas strictement nécessaires et instaurer un régime de simple autorisation préalable des manifestations publiques». Concernant les syndicats et associations, le CDH demande également de réviser la loi relative aux associations adoptée en janvier 2012 pour la rendre pleinement compatible avec les dispositions du Pacte international et garantir la reconnaissance de plein droit des statuts mis en conformité d’associations déjà constituées.
Enfin, le Comité des droits de l’homme exhorte l’Etat algérien à lui soumettre son prochain rapport périodique au plus tard le 27 juillet 2022 et d’y faire figurer des renseignements précis sur la mise en œuvre de la série de recommandations formulées à la faveur de l’examen du rapport de l’Algérie intervenu le 5 juillet. Elle recommande à cet effet de consulter largement la société civile et les ONG aux fins de l’élaboration de son futur rapport.