Marché de l’immobilier Un créneau pour le blanchiment d’argent, selon la Fnai

Liberté, 10 juillet 2018

Tous les appels de la fédération sont ignorés par le ministère de l’Habitat et autres institutions pour mettre un terme à l’anarchie. Elle réclame, aujourd’hui, la révision de la loi…

C’est un constat des plus alarmants qui a été établi hier par le chargé de la communication et porte-parole de la Fédération nationale des agences immobilières (Fnai) lors d’un point de presse au siège de la fédération. “70% des transactions immobilières se passent dans l’informel mettant à mal un marché qui se retrouve gangréné par la corruption, le blanchiment d’argent et la spéculation.” Le chargé de la communication de la Fnai, en la personne de Noureddine Manasri, n’y est pas allé par quatre chemins pour affirmer, carrément, que “l’État ne maîtrise plus la valeur du parc immobilier”. Il explique : “90% de ce qui est déclaré chez le notaire sont au-dessous de la valeur réelle (sous-déclaré) et c’est seulement un taux de 40% qui est déclaré. Sans compter le problème du foncier qui se pose avec acuité car un grand nombre des biens ne possède pas d’actes.” Il ajoutera plus loin : “Tous les efforts fournis à travers les différentes formules proposées par les pouvoirs publics sont vains. Cela n’a absolument pas résorbé de la crise du logement. Le marché de l’immobilier connaît, en ce moment,  une stagnation, mais après avoir enregistré des prix hallucinants”. Il atteste que “c’est l’exode qui a résulté de la décennie noire et le blanchiment d’argent du terrorisme qui sont, essentiellement, à l’origine de la hausse insensée des prix de l’immobilier”. Menasri ira même plus loin pour dénoncer le laxisme du ministère de l’Habitat tout autant que les autres institutions en relation avec le domaine (ministères des Finances et du Commerce, wilaya et sûreté) : “Nous avons adressé des correspondances à tous les concernés et lancé des cris d’alarme sans jamais être entendus.”

Concurrence déloyale

Le nombre des agences immobilières était de l’ordre de 6 400 avant la promulgation du décret 09-18 de 2009 qui a permis un assainissement en les ramenant à 3 000. Ce qui n’a fait qu’empirer la situation parce que les “évincés” sont justement venus rallonger la liste des courtiers qui exercent dans l’informel (semsar), déjà longue de 100 000 intervenants (bureaux d’affaires compris). “Ceux qui travaillent dans l’informel nous font une concurrence déloyale qui met à mal la corporation”, a soutenu Noureddine Menasri, indiquant que “pas moins de 20% des 3 000 agences immobilières qui existent ont déjà mis la clé sous le paillasson et le reste se retrouve dans de sérieuses difficultés”. Autrement dit, l’activité de l’agent immobilier telle que pratiquée actuellement ne serait pas rentable, à plus forte raison que “l’imprécision” de certains articles de la loi dont, notamment, ceux en relation avec le taux des honoraires des agences a ouvert la voie à des interprétations différentes, voire contradictoires.
Si l’article 34 du décret 09/18 fixe, en effet, la rémunération de l’agent immobilier de 1 et 3% (selon la valeur du bien), il ne précise, en revanche, pas qui paie la rémunération. Comme il reste muet dans le cas où seulement une seule partie aurait mandaté l’agent immobilier (soit le vendeur soit l’acheteur) : ce dernier doit-il prendre à sa charge exclusive la commission du professionnel ? Or, ces préoccupations ne se posent pas pour les courtiers qui, eux, ne s’embarrassent pas de ces détails, et leurs transactions ne laissent aucune traçabilité.
Les pouvoirs publics ferment aussi les yeux sur les annonces de vente, d’achat et de location qui pullulent sur les réseaux sociaux, dans les supports d’annonces spécialisées ou même dans la presse généraliste et via des bannières ou de simples écriteaux accrochés sur les murs, les maisons, les locaux, etc.

Affaire Chikhi : la goutte qui a fait déborder le vase

Interpellé sur la dernière affaire qui a défrayé la chronique, à savoir l’inculpation de Kamel Chikhi, Noureddine Menasri a soutenu que “la Fnai n’est concernée ni de près ni de loin par cette affaire dans la mesure où Kamel Chikhi est promoteur immobilier et non un agent immobilier”. Il a reconnu, toutefois, que “l’affaire Chikhi a révélé un malaise profond. Les promoteurs immobiliers peuvent vendre leur bien sans recourir au service d’un agent immobilier”. Une réglementation remise en cause par la Fédération qui a formulé un certain nombre de propositions à même d’atténuer la gravité du dérèglement du marché de l’immobilier. Elle demande à ce que toutes les transactions immobilières passent par les agences immobilières, y compris celles entreprises par les promoteurs, pour mettre le holà à des pratiques illicites et des complicités de part et d’autre qui mènent au blanchiment d’argent, qui se poursuit encore aujourd’hui et plus que jamais, et à des scandales comme celui de Kamel Chikhi. Menasri soutient même que “le passage obligé par l’agence immobilière fera gagner au Trésor beaucoup plus d’argent puisque les recettes en 2015 ont été de l’ordre de 1,5 milliard de dinars alors qu’elles devraient être de 150% de plus si les transactions passaient par les agences immobilières”.  Et pour mettre de l’ordre dans ce bourbier, la Fnai propose, également, la création de chambres immobilières avec l’obligation des agences immobilières d’y adhérer. Elles fonctionneront avec un règlement intérieur qui suppose des sanctions allant jusqu’au retrait de l’agrément si cela s’avère nécessaire. “L’organisation du marché du logement et l’absorption de la demande ne peuvent être possibles sans la contribution de l’agent immobilier, dont le travail de transparence pour ce qui est de l’évaluation des biens influeront sur les prix (plus bas).” Aussi, la Fnai réclame “la révision de la loi en faisant participer de manière effective les acteurs du domaine pour l’élaboration d’amendements efficients”. 

Nabila Saïdoun