Prémices d’une rentrée sociale difficile

Colère et contestations sociales sur fond de paralysie politique

Liberté, 10 juillet 2018

Emeutes pendant deux jours à Béchar, protestation à Adrar, coupures de routes à Béjaïa et contestation à Drâa Ben-Khedda, pas loin de Tizi Ouzou. Près d’un mois après la distribution, en grande pompe et tapage médiatique, de milliers de logements à l’occasion de la fête de l’Aïd, une opération reconduite à l’occasion de la Fête de l’indépendance, des citoyens sont sortis dans certains endroits du pays pour réclamer leur part de développement et rappeler aux responsables locaux et, par ricochet, à l’Exécutif à leur devoir primaire : tenir leurs promesses et leurs engagements électoraux. Comme souvent en pareilles circonstances, les revendications sont presque similaires. Elles tiennent toutes aux réclamations de base : logement, eau ou emploi. À Béchar, le wali, sur instruction de sa tutelle, a dû se résoudre à répondre dans l’urgence aux doléances de la population au terme de deux journées d’émeutes qui n’ont épargné aucun quartier, selon les comptes rendus de presse. Initialement prévue pour septembre, la distribution des lots de terrain à bâtir et des logements a été avancée au 21 juillet prochain, une décision destinée à contenir la colère d’autant que l’attente des demandeurs a duré cinq longues années. Même pour le problème de l’alimentation en eau, dans cette région qui vit un stress hydrique permanent, le wali a annoncé le lancement en “urgence” d’un vaste projet de transfert des eaux. Ailleurs, les responsables ne manquent pas de promettre la prise en charge des doléances des protestataires dans les meilleurs délais. Et rien ne dit, au regard du contexte politico-économique délétère, que des mouvements de protestation similaires ne seront pas enregistrés dans d’autres contrées. Il est même à se demander si nous ne sommes pas face à des signes précurseurs, voire des prémices d’une rentrée sociale qui s’annonce explosive d’autant qu’aux difficultés économiques viendront s’ajouter immanquablement les manœuvres politiques en perspective de la présidentielle de 2019. Pour avoir longtemps acheté la paix sociale par la distribution de la rente, le pouvoir, aujourd’hui contrarié par une crise financière qu’il n’a pas vu venir, peine à trouver les meilleurs artifices malgré le recours à la planche à billets, une mesure contestée par les experts, pour répondre à toutes les demandes. Une mission qui s’annonce encore plus laborieuse face aux tensions sociales qui ne manqueront pas de s’exprimer au regard des problèmes qui s’accumulent, à l’érosion du pouvoir d’achat et face à l’obligation de la relance de la machine économique, selon de nouveaux paradigmes. Signe de cette difficulté : ce cafouillage autour des subventions, véritable bombe à retardement. Et que fait aujourd’hui le gouvernement pour anticiper sur cette rentrée sociale qui s’annonce à tout point de vue compliquée,
la dernière avant l’échéance électorale ? Hormis les sorties de certains ministres, force est d’admettre qu’il donne l’impression d’être prisonnier d’un agenda politique et de considérations dont il est difficile d’en saisir les contours. En une année à la primature, Ahmed Ouyahia n’a pas fait le moindre déplacement à l’intérieur du pays — si l’on excepte la sortie à Arzew —, histoire d’aller à la rencontre de la population. Cette “entorse”, qui charrie quelques relents politiques, réduit l’Exécutif à une forme de statu quo incompatible avec les exigences de la situation. D’où, probablement, ces rumeurs cycliques sur un imminent remaniement. Et le prochain est annoncé pour bientôt, surtout après le scandale de la cocaïne qui a ébranlé nombre d’institutions.
Assurément, la rentrée sociale s’annonce problématique.

Karim Kebir