Appels au lynchage des femmes: «Aucune clémence ne sera manifestée à l’égard des auteurs»
El Watan, 20 juin 2018
Les appels à la violence lancés sur la Toile sont désormais pris en charge par l’autorité judiciaire à travers l’ensemble des wilayas.
C’est ce qu’a déclaré le ministre de la Justice, Tayeb Louh, lors de son passage lundi dernier devant les députés à l’Assemblée populaire nationale. «Pour ce qui est de l’utilisation des réseaux sociaux pour diffuser la violence contre la femme, le ministère public a mis en mouvement une action publique dans plusieurs wilayas et l’auteur de ces crimes a été identifié et placé en détention», a affirmé le garde des Sceaux, précisant que «l’instruction se poursuit pour déterminer l’identité des autres instigateurs».
Le ministre de la Justice n’a pas manqué de mettre en garde contre «ce genre de comportements», en rappelant : «Toute action punie par le code pénal entraîne une mise en mouvement systématique de l’action publique par le ministère public qui protège les intérêts du peuple.» A ce titre, il n’a pas manqué de préciser à ceux qui se cachent derrière leurs écrans pour proférer des menaces ou inciter à la violence, que «l’Algérie dispose d’une instance compétente et des techniques pour l’identification du coupable».
Tayeb Louh n’a pas pris de gants pour lancer des menaces à peine voilées contre «ceux qui veulent faire revenir l’Algérie à la décennie noire et la destruction du pays» en promettant qu’«aucune clémence ne leur sera manifestée» parce que, a-t-il souligné, «le peuple refuse de revivre ces années après le combat mené par toutes les institutions de la société, à leur tête l’Armée nationale populaire (ANP) et le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, qui a su convaincre les Algériens de la charte de paix et de réconciliation nationale et le rétablissement de la stabilité du pays».
C’est la première fois qu’un appel à la violence à l’égard des femmes est pris en charge par les autorités judiciaires. Il faut reconnaître que le ministre de la Justice a été violemment critiqué par les députés de la précédente législature, au moment où il défendait la loi relative à la violence à l’égard des femmes devant l’APN.
A l’exception de certains, les parlementaires étaient très nombreux à avoir fustigé le texte qui, selon eux, risque de faire éclater la cellule familiale parce qu’il pénalise la violence conjugale et donne le droit à l’épouse de porter plainte contre son mari qui la violente. Des réactions qui ont poussé le ministre à lâche en plénière : «J’ai une épouse et des filles que je veux protéger contre la violence.»
Le projet de loi est resté longtemps dans les tiroirs avant d’être adopté au forceps. Cela dénote le poids assez lourd des esprits rétrogrades et misogynes au sein de la société et qui s’expriment souvent par la violence à l’égard des femmes. On se rappelle du silence de marbre qui a suivi l’agression de Rym par un groupe de jeunes, à Alger, parce qu’elle faisait son jogging juste avant la rupture du jeûne, et surtout la scandaleuse réaction des services de la gendarmerie qui, selon elle, ont refusé de prendre sa plainte.
Le crie de colère de Rym avait suscité un large mouvement de solidarité au sein de la société civile et des milliers de personnes ont couru avant la rupture du jeûne, pour exprimer leur soutien à Rym et dénoncer l’agression qu’elle a subie. Cette réaction a fortement gêné les esprits obscurantistes et misogynes, lesquels ont lancé des appels pour asperger les visages des femmes non voilées d’acide, afin de les défigurer et de les obliger à se cloîtrer à la maison. Ces messages ont soulevé l’indignation des mouvements associatifs féminins et des militants des droits de l’homme, ainsi que de nombreux citoyens et citoyennes.
Des plaintes ont été déposées contre les auteurs, dont les comptes, signalés par les internautes ont été bloqués. Mise en mouvement, l’action de la justice et l’enquête de la police ont permis l’identification d’un des lanceurs d’appel, à Oran, lequel a été présenté au parquet et placé sous mandat de dépôt.
Force est de constater que la violence se nourrit du silence des victimes, mais aussi de la société. Il a suffi que les internautes réagissent pour que les autorités policières et judiciaires passent à l’acte pour faire en sorte que les libertés des uns et des autres soient respectées.
Salima Tlemçani