Abed Charef: Algérie ’88, Un chahut de gamins.

Abed Charef:
Algérie ’88, Un chahut de gamins.?

pp 235-270 Laphomic, Alger 1990

L’auteur a écrit ce livre en décembre 1988 « à chaud »

En guise de conclusion

Explosion populaire ?

On a vu les événements tels qu’ils se sont déroulés dans la rue, avec la violence, les destructions, le deuil. Mais que cachent-ils réellement ? Est-ce simplement une explosion populaire ? Dans quelle mesure cette explosion a-t-elle influé sur le cours de la vie politique ?

L’été 88, a été marqué par deux faits majeurs : une crise sociale aiguë et une détérioration de la situation socio-économique, avec une série de grèves, d’une part, et des attaques contre le Président Chadli, d’autre part. En toile de fond , deux grands courants s’affrontent au sommet, le tout devant être placé dans une double perspective : celle du congrès du FLN, prévu pour la fin de l’année, et la conjoncture internationale, avec l’évolution régionale et internationale.

Sur ce, interviennent les événements d’octobre. Dès l’abord, la thèse d’une «explosion populaire spontanée» ne semble pas tenir comme l’écrit Révolution Africaine, début décembre, qui affirme que «la rue n’a été que le catalyseur de conflits larvés».

Reprenons ce passage entier de Révolution Africaine, très instructif, publié deux mois après les émeutes : «Cette histoire (des événements d’octobre) devra dire, parce que des indices troublants sont là, trop nombreux, trop concordants pour être occultés, que la rue n’a été que le catalyseur de conflits larvés, souterrains, opposant sans doute des conceptions divergentes du système d’organisation, de gouvernement et d’exercice de pouvoir, mais aussi, et surtout, des intérêts et des hommes, à différents niveaux de la société politique et leur prolongement dans les ramifications dans la société le».

«Indécrottable manie -transformée en méthode de gouvernement -des apparatchik de considérer les ses comme des troupes de manouvre (de mauvaises manouvres, du reste) et de s’entêter à vouloir les régenter à leur manière».

L’histoire du 5 octobre reste à écrire. Elle le sera un jour, car elle a coûté trop cher. Non pas seulement en termes matériels, mais surtout en termes de traumatismes collectifs profonds et indélébiles, parce que gravés dans les mémoires par les souffrances et les pertes humaines.

On a politisé les événements d’octobre, et c’est tant mieux ( … ). Que de dénaturations, que d’escroqueries politiques, que de ténébreuses circonvolutions pour se dédouaner par rapport à une situation rendue critique par prévarications, les concussions, les délations, le pillage du secteur d’Etat n’ont-elles pas été commises au nom de la démocratie ?»

C’est la seule fois où la presse algérienne parle ouvertement de conflit au sein du pouvoir, de manière tranchée. Mais conflit entre quels courants et quelles tendances, à quelles alliances cette situation a-t-elle donné lieu? Et surtout, conflit entre qui et qui ?

Le conflit larvé entre les deux grands courants qui cohabitaient au sein du pouvoir avait fini par apparaître au grand jour. Un courant, qui se définit «attaché aux acquis socialistes», et qui recrute en gros dans l’appareil du parti, semble le premier à avoir déclenché les hostilités, en lançant des attaques qui, par ricochet, atteignent le

Président Chadli, comme le note Le Monde daté du 15 octobre 88. Le chef de l’Etat riposte, par son discours du 19 septembre, qui annonce clairement qu’il ne veut pas se laisser faire, et qui révèle le conflit au grand publie, sans cependant désigner nommément ses opposants.

L’appareil du parti semble avoir cherché des alliances, notamment auprès du PAGS, pour lancer les grèves qui se sont succédées durant l’été. La plupart des journaux français de droite l’affirment, mais leurs informations, parfois recueillies auprès de hauts responsables algériens, ne sont pas étayées. Il est cependant établi que les conflits sociaux de l’été, auxquels le PAGS et des organisations d’extrême gauche participent de manière active, ont contribué à augmenter l’aggravation du climat social, jouant objectivement en faveur des opposants au Président Chadli. Le PAGS et les autres organisations d’extrême gauche étaient-ils au courant du «plan» de bataille dressé alors par les opposants du Président Chadli ? Rien ne permet de l’affirmer, d’autant plus que l’un des principaux mots d’ordre du PAGS durant tout l’été le mettait en conflit direct avec le FLN : Le PAGS réclamait des syndicats autonomes, et dénonçait précisément «l’hégémonie» du Parti.

Le PAGS dément cependant avoir une responsabilité dans les événements d’octobre. M. Kateb l’affirme dans Révolution Africaine, début novembre. Saout Achaab, organe central du PAGS, n° 166 daté du 14 septembre, donc trois semaines avant les émeutes, souligne les difficultés de la vie quotidiennes, et affirme que «les travailleurs luttent pour la démocratie syndicale», pour «l’emploi et la production ( …). La vie est trop chère. Elle est insupportable pour les larges masses».

Avec le recul, les objectifs du courant opposé à Chadli peuvent être définis ainsi : mener une action qui prenne un aspect populaire, avec pour objectif de faire pression au congrès du FLN, en vue de l’amener à rejeter les réformes proposées par le Président Chadli, ou de contrer éventuellement la candidature du Chef de l’Etat pour un troisième mandat.

Faits troublants

Dans son édition du 15 octobre, Le Monde, sans donner de réponses pose, dans une longue analyse que nous reprenons largement, une série de questions qui renforcent encore la thèse selon laquelle il ne s’agissait pas uniquement de manifestations spontanées. «Où étaient donc les forces de police, ce mercredi (5 octobre premier jour des émeutes) ? Elles avaient reçu des instructions précises. Même les agents de circulation avaient déserté les carrefours. Comme si tout était prévu, à défaut d’être orchestré. Qui avait donc bien pu, mardi soir (4 octobre), prévenir certains commerçants de la Rue Didouche Mourad, en leur conseillant de laisser leur rideau baissé le lendemain ? Qui étaient ces adultes à l’air sévère et décidé qui guidaient, mercredi matin, ces hordes déchaînées dans Alger, ville ouverte ?

«Qui étaient-ils ces civils, en jeans, baskets et blouson de cuir qui, au milieu des manifestants, sortaient soudain un pistolet et ouvraient le feu ? Qui étaient-ils, ces cinq hommes en civil, montés sur le plateau arrière d’une 404 bâchée, qui ont tiré sur les civils à Kouba ? Qui étaient encore ceux-là qui, à bord de voitures de sociétés nationales, lâchaient ici et là quelques rafales d’armes automatiques ? »

L’après-midi du lundi 10 octobre, alors que la manifestation intégriste pacifique allait quitter Belcourt pour se diriger vers Bab-el-Oued, Cheikh Sahnoun ( … ) a tenté de dissuader les manifestants de défiler. Des provocateurs armés sous leur djellaba immaculée, avaient été repérés ( … ). Il semble maintenant acquis que la première balle a bien été tirée du côté des manifestants (lors de la fusillade de Bab-el-Oued, déchaînant une riposte «enfer. Qui ?»

L’Express écrit de son côté, le 20 octobre : «une seule certitude pour la plupart des enquêteurs de la presse étrangère : il y a eu manipulation des émeutiers, et tentative de déstabilisation de Chadli. Ce dernier, dès le milieu de l’été, était la cible d’une campagne qui visait sa famille et ses proches, les accusant carrément de malversations. Et il semble bien que, au début du mois d’octobre, la pénurie déjà chronique des produits de première nécessité ait été aggravée à dessein, dans un climat social explosif. Mais aggravée par qui ? Par le Président lui-même, avec l’idée machiavélique d’obliger l’armée à se mouiller pour rétablir l’ordre ? Par le parti, désireux d’éviter une nouvelle candidature de Chadli au congrès du FLN ? Par une partie de l’armée, furieuse d’abandonner son soutien au Polisario et hostile à la réconciliation avec le Maroc ? Constatons simplement que les forces de police étaient étrangement absentes au début des émeutes, et que des hommes en civil, armés, se sont livrés à plusieurs reprises à de sanglantes provocations».

Sous le titre «des faits troublants», Saout Acchaab n’ 167 daté du 23 octobre &-rit : «Qui étaient ceux qui brûlaient, détruisaient avec le plus d’acharnement et avec une grande efficacité, celle de professionnels ? Certains d’entre eux ont été surpris par les manifestants, en train de communiquer par talkie-walkie. Pourquoi les forces dites de l’ordre étaient totalement absentes des rues d’Alger le 5 octobre, le jour des grandes casses ? En liaison avec la question précédente, y a-t-il des forces, au sein de différents appareils qui encouragent la casse pour justifier la répression et dénaturer le mouvement ? Sinon, pourquoi ces arrestations de patriotes qui participaient aux manifestations en s’opposant à la casse ?»

«Qui étaient derrière ces civils qui, à Alger, Oran et bien d’autres villes, tiraient sur les civils et les militaires en même temps ? ( … ). Ces questions se posent à la lumière de faits concrets. Nous en citons quelques-uns :

«A Alger : Devant le souk el fellah de la rue Volta, deux hommes sont descendus d’un taxi, ont tiré et tué au moins trois personnes.

«Au cours de la manifestation du 10 octobre devant la direction générale de la sûreté nationale, beaucoup d’observateurs ont constaté qu’il y avait des personnes qui tiraient à la fois sur les forces armées et les manifestants.

«A El Biar, le 7 octobre, les occupants d’un véhicule non identifié tirent avec des armes automatiques contre un véhicule des troupes anti-émeutes stationné à proximité d’une station-service. Les policiers ripostent. C’est la panique dans le quartier.». «A Mostaganem : deux policiers en civil ont tiré sur des manifestants et sur des civils isolés. Cela a créé la panique et obligé les militaires à tire. «A Oran : les troupes anti-émeutes de la gendarmerie ont tiré sur des fidèles qui sortaient tranquillement de la mosquée. Le quartier populaire de Sidi el Houari était calme, mais les troupes anti-émeutes de la gendarmerie occupent la rue et se mettent à tirer sur les passants. Des commandos en cagoule saccageaient tout sur leur passage. Une voiture de marque Citroën (DS 19) noire, immatriculée 99, et une autre de marque Volswagen (Golf) blanche, tournaient en ville à grande vitesse. Leurs occupants tiraient sur les jeunes.

«Par ailleurs, ce sont des groupes bien entraînés qui ont fait le feu à la grande surface «le Printania» (galeries algériennes). La police et la protection civile, alertées par les citoyens, ne sont pas intervenus».

En plus de ces faits rapportés par la presse, de nombreux autres ont été cités par des témoins oculaires. On citera un, vécu dans de nombreuses villes petites ou moyennes : les troubles ont été déclenchés par des gens venus d’ailleurs’, et qui ont disparu aussitôt après.

Manipulation

Dans la presse algérienne, la thèse de la manipulation est aussi avancée. Le 5 octobre, le Bureau politique du FLN parle de «manipulations hostiles», et met en cause des «milieux restreints et aisément réductibles, nostalgiques intéressés à accrocher l’évolution économique du pays aux influences étrangères de tous bords. Ces milieux sont aussi «soucieux de contrarier à la source la lutte résolument engagée contre la spéculation, la corruption, le renchérissement des prix et la manipulation des circuits d’importation et de distribution».

Le 7 octobre, l’APS fait état , pour la première fois , d’une «machination subversive» et d’un «complot évident»’ provoquée par «un petit nombre d’éléments hostiles» en vue de «satisfaire leurs honteux appétits». «Depuis quelques temps, des ennemis du peuple, qui tentaient de répandre leur idéologie réactionnaire bourgeoise, commençaient à se sentir démasqués. Leurs activités subversives exerçaient principalement dans les affaires douteuses et dans la distribution des produits nécessaires à la vie des citoyens, de manière à faire coup double : s’enrichir illicitement et susciter le mécontentement au sein des masses». «La preuve est faite maintenant que ces éléments hostiles sont décidés à plonger le pays dans les ténèbres et la ruine, à la seule fin de satisfaire leurs honteux appétits».

Le même jour, l’APS affirme que les «commanditaires» de ces troubles ont été «identifiés» et que «les tenants et les aboutissants seront portés à la connaissance de l’opinion publique». Elle ne donne pas de précisions sur l’identité de ces manipulateurs, mais dénonce de nouveau «une frange de spéculateurs», ainsi que certains responsables chez qui a été observée une «forme d’enrichissement inadmissible chez des gens se prétendant au service de la patrie». Elle dénonce aussi «l’immobilisme incompréhensible mais confortable «de certains responsables», et «la lenteur démesurée dans l’application des décisions».

Dans la tourmente des événements, ces deux informations étaient passées inaperçues, la thèse de la manipulation étant souvent citée en Algérie pour discréditer des milieux d’opposants ou des mouvements sociaux. Mais pour la suite des événements, elles reprennent toute leur importance : elles accréditent officiellement la thèse de la manipulation, mais provoquent aussi des interrogations, car l’APS a annoncé officiellement que «les tenants et aboutissants seront portés à la connaissance du public», ce qui n’a pas été encore fait.

Le 8 octobre, El Moudjahid accuse des «sinistres cerveaux» qui «auront fait la preuve d’une haine de ce pays et de sa jeunesse à l’égale de l’ampleur des intérêts qu’ils ont à défendre. Les forces qui ont précipité dans la rue ce mouvement de dégradation de grande envergure tout en se dissimulant elles-mêmes en arrière-plan agissent dans l’unique objectif désespéré de sauvegarder et renforcer leurs propres intérêts matériels sordides, réalisés aux dépens et aux détriments de la société».

Le même jour, devant une cinquantaine de journalistes étrangers, M. Bachir Rouis, alors Ministre de l’Information, n’exclut pas que «des mains soient en train de jeter les Algériens les uns contre les autres», pour «détourner le mouvement à leur profit». Il s’en tient ainsi à la thèse de l’explosion spontanée que certains mouvements, qu’il n’identifie pas, tentent de récupérer l’UGTA affirme de son côté, toujours le 8 octobre, qu’une tentative visant à «déstabiliser le pays» a été menée par «les ennemis jurés internes et externes de notre révolution», qui ont «tenté de tromper et de manipuler une partie de notre jeunesse et de ses enfants.

La «folle rumeur»

Les arrestations préventives parmi les militants de gauche, essentiellement du PAGS, opérées à la veille des émeutes visent à «désigner du doigt» les auteurs potentiels des émeutes, un bouc-émissaire tout prêt. Le PAGS souligne cette thèse, et la rejette. Elles montrent que quelques chose se préparait, et que le pouvoir savait ce qui allait se passer.

Mais, comme se le demande L’Express du 20 octobre, qui a laissé la situation pourrir durant l’été 88, aggravant la situation sociale qui était déjà explosive ? Mais surtout, qui a fait circuler la rumeur sur la grève générale du 5 octobre ? Cette seconde question en amène une autre : qui, quel appareil ou structure est en mesure de répandre une information avec autant «efficacité, dans tout le pays ? On a déjà vu des rumeurs prendre une ampleur énorme en Algérie, à cause essentiellement de la faiblesse de l’information et de son manque de crédibilité. Mais on a aussi vu que ces rumeurs sont souvent fondées, et qu’elles ont un objectif politique précis.

Cette question sur l’origine de la rumeur qui a précédé le 5 octobre a été souvent posée au début des événements, et deux réponses avaient été avancées : l’appareil du parti, ou des «milieux inconnus». Selon la première hypothèse, l’appareil du parti, dans le cadre de sa campagne contre le Président Chadli, s’est mobilisé à cette occasion pour lancer une grève générale, à travers laquelle il réaliserait une démonstration de force de grande envergure dans la perspective du congrès. Comme on l’a vu, Révolution Africaine opte implicitement pour cette thèse, en s’en

prenant, début décembre, à l’«indécrottable manie des apparatchiks de considérer les masses comme des troupes de manouvres et de s’entêter à vouloir les régenter à leur manière».

Cela suppose que l’appareil du parti était sûr de ses forces, et comptait sur des alliances solides. Lesquelles? La réponse soulève quelques problèmes.

Dans les usines qui constituent les principaux foyers du syndicalisme, comme Rouiba, El Hadjar, etc… les sections de l’UGTA, mise en place par le Parti, sont sérieusement concurrencées par les militants des organisations de gauche, d’abord le PAGS. De nombreuses grèves sont ainsi déclenchées contre l’avis des sections syndicales officielles. Cette rupture à la base UGTA-organisations de gauche, qui conteste totalement la représentativité de l’UGTA dans certaines unités, peut difficilement être oubliée pour laisser place à une alliance, même, si le PAGS par exemple considère que le Parti peut jouer un rôle positif contre les partisans de «l’Infitah».

Les organisation de gauche se méfient aussi du Parti et de son appareil : c’est l’équipe qui dirigeait le parti à la veille des émeutes, notamment M. Messaadia, qui les a éliminées des structures des organisations de masse, ouvrant la voie à leur «caporalisation». Ce contentieux n’est pas encore réglé : le caractère «hégémonique» et «sectaire» du Parti est même de plus en plus dénoncé par les organisations de gauche.

La deuxième hypothèse sur l’origine de la rumeur sur la grève générale affirme qu’elle provient de «structures agissant dans l’ombre», et «infiltrées dans de nombreuses institutions», selon un journal français. En langage clair, ce sont les services de sécurité qui sont visés. L’absence des services de sécurité au début des émeutes a longtemps été interprétée comme un soutien implicite aux manifestants.

A l’appui de cette thèse, sont cités de nombreux faits : à part la formule «grève générale», aucun mot d’ordre précis, aucun tract, aucun texte n’a été distribué durant les jours qui ont précédé le 5 octobre, préservant l’anonymat de ses auteurs, alors que les organisations de gauche ont des méthodes et des traditions connues : tracts, mots d’ordre politiques etc…

Mais paradoxalement, ces deux thèses ne sont pas contradictoires, mais se complètent, et peuvent offrir une réponse qui peut éclairer d’autres points restés obscurs. En effet, une alliance entre l’appareil du Parti et une partie au moins des services de sécurité, peut expliquer à la fois l’ampleur des événements, le recours de l’armée pour y mettre fin, et le limogeage de M. Messaadia et du Général Lakehel-Ayat, annoncé en même temps. Mais cette explication elle-même n’est ni complète, ni suffisante, car il y a beaucoup d’interférences entre différents appareils et structures, qui font qu’au même moment par exemple, un appareil agit pour les deux camps à la fois.

Une autre question n’est pas résolue non plus : de quels services de sécurité il s’agit ? M. Hedi Khediri, alors ministre de l’Intérieur, est considéré comme un proche du Président Chadli, et M. Bouzbid, directeur général de la sûreté nationale, est resté en place après les événements. Par contre, le Général Lakehel-Ayat a été limogé, et deux explications ont été avancées, notamment dans la presse européenne. Selon la première, il aurait agi contre le Président Chadli, ce qui semble peu probable. La -seconde hypothèse affirme par contre qu’il serait resté fidèle qu’il serait resté fidèle, mais qu’une partie de la structure de la DGPS lui aurait échappé. C’est l’hypothèse la plus souvent retenue.

Alliance des victimes des réformes

Si on prend cette alliance appareil du Parti-services de sécurité (ou au moins une frange) comme hypothèse de départ on retrouve de nombreuses constantes qui reviennent régulièrement, y compris dans des événements antérieurs.

En divisant l’ancienne sécurité militaire en deux structures différentes, la DGPS et la sécurité de l’armée, le Président Chadli a diminué leur champ d’action. Si la «sécurité de l’armée» garde son territoire d’activité précis et bien limité, la DGPS perd un«territoire» important, et se trouve, en outre, plus ou moins coupée de l’armée, principale force politique du pays. L’appareil du parti perd de son côté une grande partie de ses prérogatives dans la politique du pays, avec les réformes proposées par le Président Chadli. Dans le même sens, le nouveau discours sur l’Etat de droit, avec la création d’une Ligue des Droits de l’Homme très active, se retourne essentiellement contre la DGPS, souvent accusée d’abus, bien que la DGSN soit aussi mise en cause. En outre, M. Khediri, qui est l’un des artisans de la création de la LADH, a aussi défendu la loi sur les associations, qui a établi des brèches dans des domaines jusque-là réservés au Parti. Il a aussi mené une opération de charme «grand public» pour rétablir la confiance entre la police et les citoyens : organisations de tournois sportifs par la DGSN, distribution d’eau par les camions de la DGSN, passage à la télévision de responsables de la police, comme M. Hadj-Sadok, chef de la sûreté de wilaya d’Alger, pour expliquer les possibilités de recours des citoyens face aux abus de la police, etc…

On se retrouverait ainsi avec une alliance entre les victimes potentielles des réformes.

L’absence des forces de police le 5 octobre trouverait, dans ce cadre une explication plus solide que celle avancée jusqu’à présent. M. Khediri a déclaré que la police a été débordée, et M. Bachir Rouis a affirmé qu’elle n’est pas intervenue rapidement dans un souci d’éviter que la situation s’aggrave.

Dans d’autres circonstances, les forces anti-émeutes de la police ont pourtant faits la preuve de leur efficacité. Un manifestant a même déclaré qu’il préfère les affronter, parce que ce sont des «professionnels rompus à ce genre de situation», qu’ils n’ont généralement pas d’armes à feu, et qu’il «n’y a pas lieu de risque majeur dans un affrontements avec eux». Il semble donc que la police n’est pas intervenue en force le premier jour parce qu’elle savait qu’en face, il n’y avait pas uniquement des manifestants, mais un appareil puissant, bien organisé, agissant au milieu des manifestants, et qu’il serait difficile de savoir d’où viendraient les coups, comme l’ont montré les nombreuses provocations signalées. Une intervention de la police dans cette situation risque de mettre face-à-face deux corps armés, sans savoir si celui resté légaliste est en mesure de l’emporter sans trop de dégâts.

Ainsi, s’éclairerait cette brève dépêche de l’APS du 5 octobre, qui parle d’un «complot évident» et d’une «machination subversive», provoqués par «un petit nombre d’éléments hostiles» qui veulent «satisfaire leurs honteux appétits».

Une question mérite cependant d’être posée, pourquoi, à la veille des émeutes, des militants de gauche, essentiellement du PAGS, ont été arrêtés, alors que les islamistes n’ont pas été inquiétés ? Craignait-on que les troubles débordent à gauche, et pas dans une option islamiste ? Ou bien, voulait-on simplement dès le départ mettre le PAGS hors compétition, pour évacuer un allié éventuel de l’appareil du Parti ? La force des islamistes a-t-elle été sous-estimée, ou bien en a-t-on tenu compte dans une perspective précise ? Autrement dit, la manipulation des islamistes était-elle prévue dès le départ.

La rue s’empare du conflit

A ce stade cependant, aucune affirmation ne peut être étayée solidement, faute de déclarations ou de prises de position des principaux intéressés. Seuls quelques faits permettent de donner des indications qui, à leur tour, éclairent l’analyste, lorsque l’évolution rapide des événements et la succession des draines détruisent au fur et à mesure les versions les mieux élaborées. On retiendra cette thèse de l’alliance entre les deux grands perdants des réformes en cours car elle permet d’éclairer la suite des événements.

L’appel à l’armée, restée fidèle au Président Chadli, se situe dans cette même logique : faire appel au corps le plus apte de faire face à un coup d’Etat rampant. Mais cette explication, admise à posteriori, n’était pas envisagée pendant les événements. A cette époque, d’autres hypothèses avaient été avancées.

Selon la première et aussi la plus simple, le Président Chadli avait fait appel à l’armée, selon un schéma classique, pour réprimer les manifestations devenues incontrôlables après leur extension et le caractère violent qu’elles ont pris.

La seconde hypothèse, reprise dans de nombreux journaux a été avancée lorsque le Chef de l’Etat a fait appel à l’Armée. Cette thèse laissait entendre que le Président Chadli était contesté par l’année elle-même, et qu’en investissant Alger et les grandes villes avec l’état de siège et le couvre feu, elle se trouve en mesure «imposer au Président Chadli ses propres orientations, et éventuellement, soit le forcer à se démettre sur le champ, soit, à défaut, ne pas se présenter pour un troisième mandat, à l’occasion du congrès du Parti. Cette version était étayée par de nombreux arguments, notamment l’intention prêtée au Chef de l’Etat de «remettre l’année dans les casernes» pour en faire une année classique, sans intervention sur le champ politique.

Cette explication ne semble pas résister à une critique solide. Le chef de l’Etat est lui-même issu de l’armée, qui peut difficilement se déjuger en l’éliminant. En outre, le Chef de l’Etat a déjà opéré de nombreux changements au sein de l’ANP, mettant des éléments légalistes à des postes-clé. Le principal partisan d’une année classique, le Général-Major Belloucif, avait aussi été limogé deux années auparavant. Enfin, argument suprême, l’année est demeurée légaliste.

Reste la troisième hypothèse : le Président Chadli, sûr de l’appui de l’année, qui a déjà joué le jeu de la légalité en 1979, en assurant une transition conforme à la Constitution après la mort de Houari Boumediène, fait appel à elle, comme force suprême, pour à la fois rétablir l’ordre et contrer ses adversaires. Sachant en outre que la DGPS est impliquée dans l’opération de déstabilisation, il préfère ne pas mettre en avant d’autres corps, comme la police, ce qui risque de provoquer de nombreuses victimes.

L’armée a-t-elle été piégée, en se trouvant mouillée dans la répression ? Les faits, dans leur cruauté, disent que oui, qu’elle a été effectivement piégée, que son image a été ternie, ce qui fait objectivement le jeu de ceux qui prônent un retour de l’armée dans les casernes. Mais l’analyste montre que si elle n’avait pas pris rapidement les choses en main, la situation se serait dégradée davantage, et que de toutes les façons elle aurait été contrainte d’intervenir, la situation ne pouvant alors qu’empirer tant que le conflit au sommet ne serait pas réglé.

L’armée s’est aussi trouvée piégée à cause d’un nouveau facteur, qui ne semble pas avoir totalement été pris en compte par les deux parties : le rôle de la rue. Si on admet en effet que les opposants au Président Chadli ont tenté d’utiliser le mécontentement de la population en mettant le conflit dans «la rue», celle-ci a transformé les données du problème, en tentant de le récupérer à son profit. Ainsi, les islamistes ont tenté de s’engouffrer dans la brèche, mais ils ont échoué, la population a exprimé ses véritables revendications et non celles des appareils, et tous les débordements et excès enregistrés ont été parfois le fait de manifestants eux-mêmes, et pas seulement le fait des parties en conflits. Ceci explique les flottements enregistrés au sommet pendant deux ou trois jours, à l’issue desquels le pouvoir a réussi à récupérer les rênes : les manifestations ont pris fin après le discours du Président Chadli, le 10 octobre.

Ainsi, même si des détails restent dans l’ombre, on se retrouve finalement avec une explication générale cohérente : Les événements du 5 octobre sont le résultat d’un conflit au sommet, dans lequel les opposants au Président Chadli, exploitant une situation sociale aiguë, ont tenté de s’appuyer sur la rue. Le Chef de l’Etat a utilisé les moyens institutionnels à sa disposition pour les contrer. Les débordements enregistrés ont été le fait de «la rue», qui a tenté à son tour de tirer profit de ces événements, comme elle a continué à le faire par la suite avec la vague de contestation qui a déferlé sur le pays.

Enjeux internationaux

Les événements d’octobre se sont déroulés dans un environnement international particulièrement agité, avec une évolution rapide au Maghreb, dans le monde arabe et entre les superpuissances. Ils ne peuvent en être dissociés, «autant plus que des accusations explicites ont été portées contre tel OU tel pays, notamment la France et les Etats Unis.

Au Maghreb, le premier sommet maghrébin de l’histoire a eu lieu à Alger, début juin 88, moins d’un mois après le rétablissement des relations diplomatiques algéro-marocaines et précède de quatre mois seulement les émeutes. Ce sommet bouleverse complètement l’échiquier régional. Lors des émeutes, le Roi Hassan II, le Président Ben Ali et le Secrétaire Général du Polisario, M. Mohamed Abdelaziz, ont adressé au Président Chadli des messages de sympathie. Chacun craint les retombées de ces émeutes. La Tunisie et le Maroc, qui ont connu des événements semblables, avec cependant moins d’ampleur, redoutent l’effet contagieux qu’ils peuvent avoir. Le Polisario craint que son principal allié dans le conflit du Sahara Occidental ne prenne ses distances avec lui, sous la pression des difficultés internes. La Mauritanie, qui maintient un difficile équilibre entre ses voisins, redoute les retombées, directes ou indirectes, à cause du conflit sahraoui qui se déroule à ses frontières. Quant à la Libye, isolée sur le plan international, elle redoute que son seul allié dans la région l’abandonne, renforçant encore son isolement. Les consultations populaires qui devaient être menées pour une union entre l’Algérie et la Libye sont d’ailleurs repoussées sine-die.

Le rapprochement inter-maghrébin qui s’amorçait depuis juin 88 risque donc de pâtir des événements d’octobre, malgré les arguments politiques, économiques et culturels qui plaident en faveur d’un ensemble maghrébin. Le rapprochement maghrébin est aussi souhaité par les puissances internationales, qui y voient un élément de stabilité, mais chacune des grandes puissances voit ce Maghreb selon ses propres intérêts. Les Etats Unis y voient un moyen d’introduire ou de renforcer leur emprise sur l’Algérie et la Libye, les deux pays qui leur sont le plus hostiles. Un ensemble maghrébin permettrait en effet, par la Tunisie et le Maroc, de contourner les obstacles économiques, politiques et autres, qui gênent la pénétration américaine dans la région.

En plus de ses intérêts particuliers, la France, comme les autres pays européens, souhaitent un Maghreb relativement fort, pour éviter qu’il ne tombe sous la coupe des superpuissances. L’Union Soviétique adopte pratiquement la même position – un, Maghreb fort – mais pour des raison différentes : Moscou est occupée par ses restructurations internes et les conflits dans lesquels elle est impliquée, et souhaite que le Maghreb se construise comme puissance régionale autonome dans un premier temps, en mesure de basculer plus tard dans le camp anti-impérialiste, sous la poussée de l’Algérie, de la Libye et du Polisario.

Toutes ces puissances suivent aussi avec intérêts les réformes menées en Algérie. Les Etats Unis y voient une évolution progressive vers le libéralisme économique et une ouverture politique contrôlée. Le Washington Post appelle d’ailleurs à «soutenir la pérestroika à l’algérienne».

La France souhaite de son côté une évolution «à la tunisienne», en douceur, et l’Union Soviétique trouve dans les réformes menées en Algérie beaucoup de similitudes avec la «pérestroïka» de Gorbatchev. La position soviétique est cependant mêlée d’une certaine inquiétude de voir l’Algérie basculer progressivement dans le camp occidental, sous l’effet des difficultés économiques pour lesquelles Moscou ne peut pas remédier.

Toutes ces grandes puissances se rejoignent aussi sur un point : la nécessité de trouver une solution au conflit du Sahara Occidental. Les Américains ont de nombreux intérêts, politiques et économiques au Maroc et en Tunisie, économiques en Algérie et en Libye, et veulent les conserver. Pour eux, le conflit saharaoui est une menace de déstabilisation pour le Maroc, qui peut déboucher sur l’inconnu. La France a les mêmes intérêts, qui sont encore plus forts en Mauritanie, et souhaite préserver ses positions, en attendant de les renforcer à la faveur de l’intégration maghrébine qui offrirait un partenaire à la Communauté européenne. L’Union Soviétique, en retrait sur la scène internationale, souhaite préserver le statu-quo, car elle n’est pas en mesure d’influer directement sur le cours des événements.

Face à ces puissances, l’Algérie se trouve en position de faiblesse, en raison de ses difficultés économiques, elles-mêmes dues à la chute du prix du pétrole, qu’El Moudjahid n’hésite pas à imputer aux «Etats-Unis et leurs satellites». Le moment est favorable, pour chacune des grandes puissances, de tenter de se placer sur la scène algérienne, d’autant plus que l’Algérie sera l’élément moteur du futur ensemble maghrébin, grâce à sa position géographique, son poids économique, sa. capacité industrielle et ses potentialités, qui dépassent celle de chacun des autres pays maghrébins.

Cependant, comme on l’a vu, l’Union Soviétique apparaît pratiquement hors-course dans une éventuelle compétition internationale. Le résultat en est que si les événements d’octobre ont donné lieu à une confrontation internationale, il s’agissait essentiellement d’une confrontation franco-américaine.

«Hizb França»

Le «parti de la France» a été explicitement mis en cause par la presse algérienne et par de hauts responsables. M. Benamar Banaouda, déjà cité, a déclaré dans une interview fleuve publiée par L’Unité : «Il y a la main de la France dans les derniers événements. La preuve en est que cette opération est intervenue après la décision tranchée du Président de la République de mettre fin à l’ère des établissements scolaires sous tutelle de la France en Algérie», ce qui signifie «l’indépendance idéologique envers la France». «La France a estimé qu’il faut détruire le gouvernement algérien et le Président Chadli Bendjedid qui s’est dressé contre la francophonie. Ce point de vue est plausible et raisonnable, car l’Algérie est le pays qui compte le plus grand nombre de personnes parlant français, avec la France».

«Durant les événements, certains éléments traîtres, nostalgiques de la période coloniale se sont glissés dans les rangs des manifestants pour crier le slogan «vive la France» et «brûler les drapeaux algériens». «Dans le même temps, un ministre algérien déclare : je n’ai pas de complexe à parler en français avec mes enfants».

«Ils ont tenté d’inciter à la guerre civile, sur ordre de la France, qui a cru que c’était une occasion pour revenir. Elle attendait que ses marionnettes lui demandent d’envoyer ses milices pour «rétablir l’ordre en Algérie». Je pense que la France s’est trompée dans ses calculs concernant l’armée, car elle pensait que l’armée se mutinerait et plongerait dans l’anarchie et l’indiscipline». «Elle a tenté, à travers les événements, de susciter le désordre, de semer les rumeurs au sein de l’armée. Elle a dit qu’un soldat a tiré sur le commandant d’une région militaire (Atailia), qu’il y a des divisions au sein de l’armée, et qu’il y a ceux qui sont avec le Président et ceux qui sont contre lui. Si ce n’était l’unité de l’armée, la situation aurait empiré et on aurait eu une guerre civile». «L’important est que l’armée aurait pu se diviser s’il y avait eu multipartisme».

Avec le temps, «L’Algérie influera sur le Maroc, la Tunisie et la Mauritanie. Si ces pays sortent du giron de la francophonie, cela signifie que d’autres suivront, comme le Sénégal et autres», déclare M. Benaouda. Cette violente attaque d’un dirigeant nationaliste n’est pas la seule. Au niveau officiel, l’ambassadeur de France à Alger, M. Bernard Bochet, a été convoqué le 12 octobre, deux jours après la fin des émeutes, au Ministère des Affaires Etrangères, où on lui a exprimé «les vives protestations»du gouvernement algérien, à la suite d’une déclaration faite auparavant par un membre du Gouvernement français. M. Jacques Pelletier, ministre français de la coopération, avait déclaré que le discours du Président Chadli du 10 octobre n’était pas «très motivant pour la jeunesse» algérienne, et ne constituait pas «un élément d’apaisement du conflit». «C’est l’intégrisme», avait dit M. Pelletier.

Cette déclaration de M. Pelletier, qui reprend les clichés traditionnels sur l’Algérie, est, selon l’APS, «considérée inadmissible et constitue une ingérence intolérable dans les affaires intérieures du pays. L’attention (de l’ambassadeur de France) a été attirée sur la gravité de cette déclaration qui, au delà du jugement de valeur inacceptable qu’elle porte sur les affaires nationales, donne matière à interrogation sur ses véritables intentions, à un moment où l’ordre des choses reprend» L’ambassadeur d’Algérie en France, M.Messaoud Ait-Chaalal, effectue de son côté des démarches similaires de protestation auprès du Ministère français des Affaires étrangères.

La presse algérienne s’est elle aussi déchaînée contre la France, particulièrement contre la presse française, qui a assuré une très grande couverture des événements d’octobre. Manipulation ? Oui, disent les journaux algériens. La presse française obéit à un plan précis. Lequel ? Des exemples, nombreux, de fausses informations sont cités, comme la mort du Général Atailia, annoncée par une télévision française, ou les incidents de Tizi Ouzou, qui n’ont pas fait de victimes alors que la presse française a annoncé des morts.

AI-Chaab écrit ainsi le 12 octobre, dans un violent et long réquisitoire, que «Les événements destructeurs d’octobre étaient une occasion en or pour les médias occidentaux, tout particulièrement français, pour les grossir à leur manière quand ils n’en ont pas simplement inventé. ( … ). Tous ces médias se sont accordés à jeter l’huile sur le feu, à se lamenter sur l’avenir de l’Algérie, et à penser que la pauvre Algérie était finie. Ces médias occidentaux, et surtout français, ont été unanimes à montrer que la vie et l’édification de l’Algérie s’étaient arrêtées, qu’il n’y avait plus que sang, massacre, anarchie et troubles, tout cela sur des dizaines de photos, des quantités de pages, comme pour indiquer que la question algérienne était devenue essentielle, et que l’Algérie défaillait, avait besoin de paternité ou de tutelle. La plupart des média français ont dit la même chose, à savoir qu’il y a au moins trois facteurs incontournables : l’histoire, la géographie et la communauté algérienne en France. Par conséquent, les événements que connaît l’Algérie concernent directement la France.

«Selon cette présentation des choses, il est visible qu’existe un «sentiment d’amitié» à notre égard, et une mentalité de tutelle que la presse française s’obstine à conserver comme si l’Algérie était encore une colonie. Pourquoi l’Algérie intéresse-t-elle la France seulement quand elle est en difficulté ? N’y a-t-il pas là une tentative de faire revivre les ambitions et revenir au passé ?

«Toutes les informations n’ont visé qu’un seul objectif l’exagération des faits et l’alarmisme aux fins de nourrir les troubles et généraliser l’anarchie. L’AFP par exemple a diffusé des nouvelles plus d’une heure avant qu’elles ne se produisent (Il s’agit probablement d’une information annonçant le couvre-feu, donnée par l’AFP le 6 octobre dans l’après-midi, interprétant l’appel de la télévision invitant la population à rentrer chez elle comme un couvre-feu, qui a été décrété ensuite). Est-ce que, se demande-t-on, les journalistes français venus ici ont participé aux actes de vandalisme 9 Sûrement non. Mais d’où tiraient-ils leurs informations, et comment avaient-ils prévu les événements ? Nous disons tout simplement que la presse française, «impartiale et objective», travaille en coordination avec les services de renseignements, et bien sur, nous savons tous qui se tient derrière ces organisations qui ont fabriqué l’événement et l’information.

Le journal Libération a consacré sa première page à l’Algérie, sous le titre «l’Algérie à feu et à sang». Il est facile d’en déduire qu’une telle présentation reflétait que les services étaient prêts à considérer, sinon espéraient, un séisme politique, économique et social en Algérie. Tout cela allait de pair avec la déception d’avoir perdu l’Algérie et l’ambition d’une tutelle sur le peuple algérien.

«Même les responsables français de différentes tendances n’ont pas laissé passer l’occasion. M. Michel Jobert, ancien Ministre des Affaires Etrangères, a déclaré que l’Algérie et sa jeunesse sont sans avenir. D’autres responsables sont allés jusqu’à dire que la colonisation vaut mieux pour le peuple algérien que le FLN. Cela se passe de commentaire.

«La question n’est pas de réagir contre les médias français et les occidentaux, qui cherchent à faire leur «devoir». Mais le recours à l’alarmisme et à l’exagération, les larmes de crocodile, la distribution d’une «sympathie», tout cela gratuitement à notre égard, conduit à nous interroger sur ce qui se cache derrière cette hystérie médiatique. Il y a sans aucun doute une ferme volonté les réalisations du peuple algérien, par la déstabilisation, grâce à des agents à l’intérieur qui tentent d’affamer le peuple algérien et de faire régner une situation de tension dans le pays.

«La mort d’Algériens ne préoccupe pas ces trompettes, qui ne cherchent qu’à plonger l’Algérie dans l’anarchie et la guerre civile», conclut Abdelaziz Laayoune, auteur de cet article, intitulé : «hystérie des médias français… et espoirs déçus»

L’accusation est nette, sans ambages : la presse française est manipulée par les services de renseignements, qui orchestrent cette campagne contre l’Algérie.

Quant à Sélim Kalala, se référant au Coran, il partage l’Algérie en deux, le 24 novembre dans Achaab : «le bon arbre», qui est celui «des enfants de l’Algérie», et le mauvais, celui des «enfants de la France» qui, «depuis des siècles, continuent de sucer le sang du peuple pour le revendre au prix le plus bas. Ils ont permis à l’ennemi de le massacrer, ils lui ont préparé le chemin, ils l’ont aidé et soutenu, espérant déraciner le bon arbre et le remplacer par le malin. Ils pensaient que le peuple algérien abandonnerait alors les ressources de la civilisation arabo-islamique pour celles de la civilisation occidentale matérialiste, et ainsi s’enracinerait l’arbre».

Qui est «Hizb França» ?

Cet article accuse explicitement une catégorie d’Algériens, dont les communistes et les libéraux, d’être des «enfants de la France».

«Les enfants de l’Algérie se formaient au sein de l’association des Ouléma ou du PPA, tandis que les «enfants de la France» se formaient dans les rangs des assimilationnistes et les communistes.

«( … ) Quand la révolution a éclaté, «les enfants de l’Algérie» se formèrent dans les montagnes et les vallées, et militèrent au sein du peuple, alors que les «enfants de la France» se formaient dans les écoles que De Gaulle et ceux qui vinrent après lui avaient créées pour former les promotions successives qui devaient s’emparer des hauts postes dans les administrations et les ministères.

«Les mêmes clivages demeurent aujourd’hui:

«Les enfants de l’Algérie défendent leur religion, leur langue, leur personnalité et leur appartenance civilisationnelle. Les «enfants de la France» défendent partout la langue française, les modèles politico-économiques occidentaux.

«Les enfants de l’Algérie sont fiers de l’Emir (Abdelkader), d’Ibn Badis, et de tous ceux qui ont défendu leur appartenance à leur Nation et agi pour la soustraire au despotisme occidental. Les «enfants de la France» sont fiers de Bentoumi (militant de l’assimilation au début du siècle), de Bigeard et de tous ceux qui prônent l’Algérie française.

«( … ) Il est possible, mieux encore, il est de notre devoir de considérer l’histoire sous une nouvelle approche méthodologique afin de mieux comprendre nos réalités actuelles et les affronter. Il s’agit, soit d’appliquer le clivage révolutionnaires-réactionnaires selon la méthodologie occidentale, soit le clivage enfants authentiques-enfants d’autrui. Par tout ce qui précède, nous voulions démontrer que cette division en réactionnaires et révolutionnaires n’est qu’une tentative d’occulter toute approche civilisationnelle de notre histoire, de nous camoufler la vérité en quelque sorte. Les enfants du pays qui n’adoptent pas les idéologies occidentales deviennent réactionnaires, traditionnalistes, réformistes et les enfants de la France qui les adoptent deviennent révolutionnaires, que ces idéologies soient de gauche ou de droite. Tout cela pour empêcher de faire distinguo réel dans les rangs de notre société et trouver la vraie voie.

«Par tout ce qui précède, on peut conclure que depuis des siècles et jusqu’à nos jours, il y a en Algérie deux catégories de gens : ceux qui sont avec elles, fidèles à sa religion, sa langue et sa civilisation, et ceux qui sont contre elles, contre sa religion, sa langue et sa civilisation, même s’ils changent d’aspect et d’apparence».

Ces longs développements extraits d’Achaab sont nécessaires pour exposer les thèses de ce courant qui se revendique de l’authenticité, et qui est le principal, sinon le seul auteur des attaques contre «Hizb França». Son idéologie se base sur l’appartenance arabo-islamique, sans distinction entre classes sociales. B place les Communistes sur le même plan que les libéraux, et quand il s’attaque aux inégalités sociales, il les dénonce en assimilant les riches à «Hizb França» et les pauvres aux «bons algériens». Son analyse se base exclusivement sur des critères moraux (le bien et le mal), et non sur des critères socio-politiques et économiques.

Ce langage populiste a de l’effet sur le grand public, qui assimile lui aussi la richesse à l’occidentalisation, comme l’atteste le foisonnement de tout un vocabulaire sociologique et clichés qui reflètent partiellement cet état de fait : le «tchitchi» est le fils d’un haut responsable, il est scolarisé à Descartes, parle français, roule en moto ou en «Golf», fête le réveillon et la Noël, passe ses vacances en France, fait ses courses à Marseille, habite une villa sur les hauteurs, de préférence à Hydra, a des mours occidentales, les filles ont des relations sexuelles dès leur jeune âge, etc… Par opposition, le «bouhi», fils du peuple, prend le bus, habite un appartement exigu et sur peuplé, ne connaît pas le français, etc…

Si les clichés sont parfois fondés, ils ne rendent pas compte d’une situation sociale complexe et très différente : les riches ne se recrutent pas dans les seuls milieux francophones, bien au contraire, et de nombreux gros propriétaires terriens ou industriels ont combattu des mesures sociales au nom de l’Islam. En outre, cette analyse exclut de fait une partie de la population algérienne victime de l’histoire, née en France, et qui s’est trouvée de fait dans l’environnement français. Nombre de jeunes émigrés sont rentrés en Algérie pour affronter un monde auquel ils n’étaient pas préparés, et ont réussi à s’intégrer, malgré les préjugés et un climat hostile. D’autres par contre ont rapidement abandonné, sous la pression de ce climat d’exclusion.

Toujours dans ce chapitre, on note le silence des médias lorsqu’un accord a été conclu entre l’Algérie et la France pour que le service militaire accompli dans l’un des deux pays soit considéré valable dans l’autre. Pourtant, cette mesure qui concerne des dizaines de milliers de personnes, et qui a trait directement à des affaires de défense, est autrement plus délicate que les 1.200 enfants scolarisés à Descartes ou les quelques dizaines d’enfants issus de couples mixtes qui ont suscité un énorme battage médiatique. Cette mesure concerne essentiellement les émigrés. Il est impossible d’avoir le nombre de ceux qui ont effectué leur service national en Algérie, dont la durée est plus longue qu’en France.

Les victimes de ces attaques contre «Hizb França» sont finalement plus algériennes que françaises, car les intérêts de la France, comme ceux des Etat-Unis et d’autres puissances, sont d’abord économiques, avec ensuite leurs répercussions politiques et culturelles : quand l’Algérie avait des revenus pétroliers élevés, elle pouvait rejeter toutes formes de pression extérieure, alors qu’aujourd’hui, quoiqu’en disent les responsables, elle doit composer avec ses créanciers, y compris français.

A qui profite le crime ?

Y a-t-il eu, à posteriori, une campagne contre ce «Parti de la France», en riposte à des ingérences, ou éventuellement, une action directe de la France dans les événements, comme l’affirme la presse ?

Il est évident que la France a suivi attentivement les événements d’Algérie et leur évolution. L’absence de réaction officielle française, comme l’a dit le Premier ministre français, M. Michel Rocard, peut constituer en elle-même une indication. «Le silence peut avoir plus de signification que certaines déclarations».

Mais ce que l’analyste constate, c’est que l’Algérie était, en octobre, à la veille d’échéances politiques capitales, et ,le conflit interne qui se dessinait pouvait avoir des répercussions importantes sur le plan interne et international. C’est l’analyse de ces implications, et des intérêts de chaque partie ou pays intéressé, qui peut donner des indications sur le rôle éventuel des puissances étrangères. Selon la célèbre formule, «à qui profite le crime ?».

La France a de nombreux intérêts politiques, économiques, culturels et de géopolitique à défendre en Algérie, comme on l’a vu. Elle a aussi d’autres intérêts à mettre en place. Les grands projets que compte lancer l’Algérie (télécommunications, sidérurgie, industrie automobile, agro-alimentaire, habitat) offrent des possibilités énormes pour les entreprises françaises à la recherche de débouchés. La perspective d’édification du Maghreb peut encore renforcer l’ampleur de ces intérêts, en offrant une possibilité d’ouverture du marché algérien. Le Maghreb peut en effet offrir un moyen de contourner le verrou législatif qui protège le marché algérien : une société à capitaux français installée au Maroc pourrait investir en Algérie, mais ses bénéfices iraient à la société mère française, ou américaine, etc…

D’autres impératifs entrent aussi en ligne de compte. L’Algérie n’a pas les moyens financiers pour lancer ces grands projets. Pour des recettes de 41 milliards de dinars rapportés par les hydrocarbures en 1988, elle a remboursé 43 milliards au titre du service de la dette. Les autres revenus ne peuvent pas combler ce déficit et financer les importations à caractère social, les matières premières et produits semi-finis pour faire tourner les usines et les produits de large consommation. Le marché algérien est donc ouvert, mais à celui qui peut offrir les meilleures conditions.

Paradoxalement, dans cette situation, se rejoignent objectivement en Algérie deux courants que tout oppose apparemment : les «nationalistes», partisans du maintien à tout prix d’une position équilibrée envers les puissances extérieures, et ceux qui sont qualifiés de «parti de la France». Ces derniers qui ont parfois des intérêts économiques à défendre, veulent renforcer la coopération avec la France, tout comme les premiers, qui veulent maintenir l’Algérie dans une position d’équilibre et sont partisans d’un renforcement de la coopération des «puissances intermédiaires», comme la France, la RFA ou l’Italie, en gros l’Europe occidentale, pour éviter de tomber sous la coupe des Etats-Unis. La France étant le chef de file de cette alternative aux superpuissances, ils veulent en faire un partenaire privilégié, en attendant la construction de l’Europe, qui ouvrirait les autres frontières.

La France avait donc à défendre tout cela. Peut-on, à partir de là, dire que c’est de Paris qu’ont été suscités les troubles, avec des complicités intérieures ?

Un «Hizb» en cache un autre

Les événements d’octobre ont eu quatre répercussions directes et immédiates sur le plan international : le report sine-die des démarches unitaires avec la Libye, le ralentissement du rapprochement inter-maghrébin, la mise en veilleuse du conflit du Sahara occidental, et la tenue à Alger d’un Conseil National palestinien qui a reconnu la résolution 242 du Conseil de sécurité, avec la caution de l’Algérie.

Dans son discours du 19 septembre, le Président Chadli Bendjedid avait annoncé que des «débats populaires» sur «l’oeuvre unitaire entre l’Algérie et la Jamahyria Arabe Libyenne» devaient être lancés à partir du 20 septembre dans les deux pays, au sein de «la base militante (du FLN) et populaire». Cette déclaration confirmait les bruits qui circulaient alors sur l’existence d’un document en vue d’une union entre les deux pays, rendu public en septembre.

Ce projet prévoyait la création d’une «Union des Etats du Maghreb arabe», qui possède «les attributs majeurs d’un Etat fédéral : un emblème, une devise et un hymne». La langue arabe sera la langue officielle et l’Islam, la religion de l’Etat de l’Union, la loi islamique constituant «une des sources fondamentales de la législation».

L’Union sera dirigée par un «Conseil présidentiel fédéral», instance politique suprême, avec la direction collégiale et présidence tournante. Ce conseil sera composé des chefs d’Etat et de membres du parti du FLN algérien et des comités révolutionnaires libyen. Le «gouvernement» de l’Etat de l’Union sera un «Conseil exécutif fédéral» désigné par le Conseil présidentiel.

Sur le plan législatif, l’Union sera dotée d’une «Assemblée populaire nationale fédérale» avec un mandat de cinq ans, les membres étant désignés suivant le système propre à chaque pays. Enfin, une «cour suprême fédérale» ou «haute cour de l’Union» arbitrera les litiges d’ordre constitutionnel fédéraux ou des Etats membres.

En ce qui concerne la défense, le projet prévoit un «commandement militaire commun des forces armées», et «un plan de préservation de la sécurité des territoires de l’Union». Une «coordination» est prévue pour les affaires internationales, mais chaque pays conservera «la personnalité internationale» et la maîtrise de sa diplomatie.

Sur le plan économique, il est question «d’unification des -systèmes économiques et financiers, d’unification des politiques économiques» et de mise en place d’une industrie stratégique des industries lourdes et pétrochimiques».

L’avant-projet de l’Union algéro-libyenne s’assigne aussi, en préambule, un certain nombre d’objectifs, comme la réalisation, de l’unité intégrale» entre les deux pays, la réalisation du Maghreb arabe «en tant que noyau de l’unité arabe globale», la réalisation de l’unité arabe, l’édification d’une société «démocratique, populaire, socialiste, d’où seraient bannies toutes formes d’exploitation».

Enfin le projet stipule, comme son intitulé d’«Union des Etats du Maghreb arabe» l’indique, que cette union à deux n’est pas limitative, mais ouverte à tous les Etats arabes acceptant les dispositions de la Constitution.

La publication de ce document n’avait pas créé réellement de surprise à cette époque, car l’Union entre les deux pays était régulièrement revenue à l’ordre du jour. En juin 87, le Colonel Kadhafi avait effectué une visite à Alger, qui coïncidait avec une session du Comité central du FLN dont la résolution finale, publiée deux semaines plus tard, appelait à lancer des «débats populaires» sur l’unité entre les deux pays à partir de septembre 87. Cette résolution devait cependant rester lettre morte. Des explications avaient été avancées alors, notamment dans la presse internationale, selon lesquelles une frange de l’appareil du Parti avait promis au Colonel Kadhafi qu’il Pourrait s’adresser au Comité central. Ainsi, le leader de la révolution libyenne pourrait«forcer la main» aux dirigeants algériens en vue de les amener à lancer une action unitaire avec la Libye, rejetée à l’époque par une partie du pouvoir, qui voulait maintenir toutes les perspectives ouvertes en vue des tractations inter-maghrébines qui s’annonçaient.

Ensuite, en février 88, à l’occasion de la commémoration du bombardement de Sakiet-Sidi-Youssef, le Colonel Kadhafi repartait à l’assaut, déclarant notamment, dans une interview à l’AFP, qu’il existait déjà «un accord pour l’union entre l’Algérie et la Libye sous la forme d’un Etat unitaire (Doula Ittihadia), avec un seul pouvoir territorial ».

Cette déclaration du Colonel Kadhafi semblait alors aller à contre-courant des efforts qui étaient menés pour intégrer la Libye au sein du «Traité de fraternité et de concorde» (Algérie, Tunisie, Mauritanie). Les efforts algériens en ce sens butaient sur l’opposition de la Tunisie, soucieuse d’éviter un isolement total du Maroc sur le plan maghrébin, et de préserver aussi les démarches qui allaient suivre pour une action collective qui engloberait tous les pays maghrébins.

Qui a intérêt à s’opposer à une union entre l’Algérie et la Libye. A de nombreuses occasions, des hauts responsables américains ont exprimé leurs inquiétudes face au «rapprochement » algéro-libyen. En février 88, le Washington Post allait jusqu’à déformer les propos du Président Chadli. Le chef de l’Etat avait plaidé pour l’intégration maghrébine, alors que, selon le Washington Post, il aurait déclaré que l’intégration de la Libye au sein du Maghreb vise à éviter qu’elle ne tombe sous la coupe de l’Union soviétique.

Les Etats-Unis ont aussi provoqué la Libye à de nombreuses reprises, bombardé Tripoli et Benghazi. Le 4 janvier 89, trois mois après les événements d’octobre, deux avions libyens sont abattus par des missiles américains, après une campagne de presse selon laquelle Tripoli s’apprête à produire des armes chimiques. Le Ministre algérien de la Santé, le Pr. Abdelhamid Aberkane, s’était rendu pourtant à Tripoli une semaine plus tot pour visiter l’usine incriminée, et déclarait qu’il s’agit d’une entreprise de produits pharmaceutiques.

Ces incidents avaient connu un précédent le 19 août 1981, lorsque deux autres avions libyens avaient été abattus par la chasse américaine. Us font partie d’une série d’actions lancées par les Etats Unis contre la Libye, sous différents prétextes : Le Golfe de Syrie ne fait pas partie des eaux territoriales libyennes, Tripoli soutient le terrorisme, ou constitue une menace par l’armement qu’elle veut produire. C’est en fait une véritable guerre d’usure lancée par le champion du «monde libre» contre le seul état arabe radicalement opposé à la politique américaine dans le monde arabe.

L’Union entre l’Algérie et la Libye constituait ainsi un enjeu très important pour la région. Un bloc formé des deux pays, dans la perspective de l’édification du Maghreb, peut en effet constituer une «locomotive», à l’image de ce que représentent la RFA et la France pour l’Europe. Ce «bloc-locomotive» peut donner au futur ensemble maghrébin une orientation anti-impérialiste prononcée : la Libye cherche des alliances pour rompre son isolement et renforcer ses positions, et l’Algérie, confrontée à de sérieuses difficultés financières, pourrait affermir ses positions face aux pays occidentaux grâce à un appui financier de la Libye. Qui a intérêt à contrecarrer cette démarche ?

Le Maghreb lui-même est un enjeu important dans la stratégie géopolitique des grandes puissances, comme on l’a vu plus haut. L’accélération des démarches en vue de l’édification maghrébine, avec la réunion des commissions sectorielles et de la grande commission mixte à Alger, puis à Rabat (après les événements d’octobre) a déjà permis d’élaborer les premiers documents du futur ensemble maghrébin. Sur ce, est intervenue l’annonce de l’Union entre l’Algérie et la Libye. Constituait-elle un danger pour ceux qui voulaient un Maghreb raisonnable et pro-occidental ? En tout état de cause, l’Algérie s’était trouvée en octobre sur deux fronts en même temps : mener à son terme l’union avec la Libye, et poursuivre les démarches pour la construction maghrébine. Or, la construction du Maghreb butait sur l’obstacle du conflit du Sahara Occidental, et la multitude des problèmes politiques et économiques, alors que l’Union avec la Libye pouvait être menée à un rythme rapide, et se réaliser avant le Maghreb, sur lequel elle pouvait influer, en lui donnant éventuellement une orientation plus ou moins radicale. Qui peut y voir un danger ?

Une union algéro-libyenne peut aussi constituer un nouvel atout en faveur du Front Polisario, qui bénéficie déjà du soutien de l’Algérie, mais plus de celui de la Libye. Tripoli avait en effet mis fin à toute son aide militaire et financière au Polisario à la suite de la signature du traité d’Union. d’Etats marocco-libyen d’août 84. Un Sahara Occidental libre, sous la conduite du Polisario, se joindrait naturellement à un ensemble algéro-libyen. Ceci constituerait une menace pour ceux qui veulent un Maghreb «modéré» et «équilibré». Qui y voit une menace ?

Une «punition» ?

Si on adopte la thèse de la manipulation extérieure, une question se pose : qui est en mesure de mener un plan d’une telle envergure, avec la conjonction d’une série de faits qui n’ont apparemment aucun lien entre eux, mais qui constituent une véritable toile d’araignée ?

Fin 1985, le prix du pétrole chute, à cause de l’action de l’Arabie Saoudite, qui avait déclenché «la guerre des prix». L’Algérie est frappée de plein fouet par le brutal rétrécissement de ses entrées en devises. Les responsables, dont M. Abdelhamid Brahimi, qui avait fait ses études aux Etats Unis, disent dans un premier temps que l’Algérie est épargnée, grâce aux mesures qu’elle a prises. Pourtant la situation s’aggrave, et l’Algérie se trouve, fin 88, confrontée à de sérieuses difficultés financières. Elle est pratiquement en état de cessation de paiements.

Pourtant, malgré ce coup que représente la baisse de ses revenus, l’Algérie maintient ses positions politiques indépendantes. Mieux, elle réussit à aider à réunifier l’OLP en avril 87, ce qui insuffle à la résistance palestinienne un nouvel élan, avec pour résultat l’Intifadha, dans les territoires occupés.

Lorsque l’Intifadha atteint son rythme de croisière, l’Algérie parvient à réunir, en juin 88, un sommet arabe extraordinaire consacré exclusivement à la question palestinienne. Le sommet se tient malgré les pressions américaines : quelques jours après le discours du Président Chadli, en février 88, dans lequel il appelait à la tenue de ce sommet, le général Vernon Walters, spécialiste du Maghreb, arrive à Alger. Son message est clair : les Etats Unis ne veulent pas de sommet arabe. Les pays du Golfe, proches des Etats Unis hésitent. Ils sont mis devant le fait accompli : l’Algérie convoque le sommet pour le 7 juin, forçant ainsi la main aux autres pays arabes.

Aucun pays ne peut se désister, et le sommet parvient à des résultats politiques très importants : c’est là que le désengagement de la Jordanie envers les Territoires occupés est décidé, offrant à l’OLP la possibilité de proclamer l’Etat palestinien sur un territoire qui n’est pas israélien, et n’est plus jordanien sur le plan juridique.

Forts de ces résultats, et de la poursuite de l’Intifadha, les dirigeants palestiniens décident, en août, de tenir une réunion extraordinaire du CNP, consacrée à la proclamation de l’Etat palestinien. L’Algérie accepte naturellement d’abriter ce CNP, qui ne peut déboucher que sur des résultats positifs pour l’OLP, qui a alors le vent en poupe, grâce à deux facteurs : l’Intifadha et le consensus arabe.

Sur ces entrefaits, surviennent les événements 8 octobre. Un mois plus tard, le CNP proclame l’Etat palestinien, à Alger. Deux fait méritent d’être soulignés : quelques mois auparavant, M. Messaadia avait déclaré à un journal du Golfe qu’il était contre la tenue d’une conférence internationale de paix sur le Proche-Orient, qui signifierait une reconnaissance de fait d’Israël. Le 15 novembre, le CNP reconnaît la résolution 242 du Conseil de sécurité, qui considère les Palestiniens comme des réfugiés, et ceci avec la bénédiction de l’Algérie. Comment en est-on arrivé là ? Comment expliquer cette évolution ? S’il y a une ingérence extérieure dans les événements d’octobre, au profit de qui s’est-elle traduite dans les faits ? La presse algérienne a présenté le CNP comme un succès, occultant ce volet relatif à la résolution 242. Un journaliste de la télévision, interviewant M. Georges Habbache, secrétaire général du Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP) lors du CNP, lui à même reproché «l’intransigeance» de son organisation.

Après les événements, l’Arabie Saoudite aurait versé plusieurs centaines de millions de dollars à l’Algérie. Il s’agit même, plus probablement, de sommes dépassant le milliard de dollars. On peut aussi citer la réunion extraordinaire du Conseil des Ministres saoudiens, consacrée aux événements d’octobre. Des navettes de camions frigorifiques ont de leur côté franchi la frontière marocaine pour ramener des produits alimentaires, selon l’AFP Qui a payé ?

Retour (Octobre 88)

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