11 janvier 1992 – 11 janvier 2001: La transition inachevée

11 janvier 1992 – 11 janvier 2001
La transition inachevée

Yacine Benali, Liberté, 11 janvier 2001
Le soir du 11 janvier 1992, lorsque Chadli Bendjedid annonçait sa démission à la télévision, une autre fissure venait d’apparaître dans un système cultivant une réputation, surfaite, d’invincibilité.
À trop vouloir manipuler le feu en un insondable exercice de prestidigitation, l’initiateur de la Constitution de février 1989, qui marquait à travers son fameux article 42 le début du pluralisme politique, a fini par se brûler et quitter, tout penaud, le Palais d’EI-Mouradia. Une page venait d’être tournée dans le chapitre, fort mouvementé, de la transition post-Octobre 88. Au moins par ses déclarations intempestives à la veille du déclenchement du « chahut de gamins », selon la formule malheureuse de Ali Ammar, Chadli est l’un des responsables de la tragédie qui souillera à jamais la mémoire collective des Algériens. Par on ne sait quel subterfuge, l’ancien colonel de l’ANP et tout-puissant chef de la 2e Région militaire a retourné une situation, très compromise au départ, en sa faveur, en promettant au pays des réformes en profondeur. Tout de suite, des secteurs entiers de l’opinion, enivrés par les senteurs de la liberté toute proche, ont foncé dans l’interstice consentie par le pouvoir pour créer une cascade de partis ou d’associations de toute nature. Dans le sillage de l’ouverture inespérée, même le FIS, mouvement de nature insurrectionnelle, trouva grâce aux yeux des « marionnettistes » qui voyaient là un moyen de couper, en temps opportun, la jeune pousse démocratique.
Cet acte représente le commencement de la fin pour Bendjedid pour lequel des âmes « bien-pensantes » condescendront, plusieurs mois après son départ des affaires, une once d’innocence : lui aussi a été victime de son entourage ! Quelques-uns parmi ses proches collaborateurs, l’incontournable Larbi Belkheir tout particulièrement, trouvent grâce, près d’une décennie après ce cuisant échec d’une expérimentation démocratique, aux yeux des nouveaux gouvernants. Mais là aussi, il y a des défaites très vite transformées, dans le secret de quelque laboratoire de l’ombre, en victoires épiques. Les régimes passent mais des hommes, toujours les mêmes, restent inamovibles, tels les gardiens du temple.
Tout de suite, après sa piteuse sortie de scène, ce fut la curée ; ses soutiens d’hier se retournant, comme par enchantement, contre lui et le vouant aux gémonies. Des années plus tard, alors que plusieurs témoins de l’époque trouble avaient déversé leur fiel sur le « coupable de tous les maux », Chadli continue à observer un pesant mutisme au nom d’un mystérieux deal passé avec les « décideurs ». L’Histoire, comme il est de coutume en nos contrées, ne nous révélera peut-être jamais la teneur de cet accord secret. Comme nous ne saurons sans doute rien sur les tenants et les aboutissants véritables du drame d’Octobre 88.
On alla quêter dans son exil marocain le sauveur Boudiaf et on l’installa d’autorité à la tête du HCE, un autre subterfuge pour éviter le recours aux urnes que nos gouvernants ne sauraient voir en compagnie d’une mosaïque de personnalités de divers horizons. Très tôt, il s’attela à la tâche immense de réconforter les Algériens et de leur rendre la confiance en leur État. Jusqu’au bout, l’un des pères fondateurs de la Révolution de Novembre crut en la réalisation d’un tel dessein. Ultime accès de candeur : il investit toute sa confiance et reçut en retour une salve de tirs mortels dès qu’il eut le dos tourné.
Ce fut un funeste après-midi de juin à Annaba. Six mois durant, tout un pays crut en la concrétisation d’un espoir fou : l’ouverture réelle vers la démocratie. Un espoir vite étouffé car ceux qui ont laissé « échapper » octobre ne voulaient sans doute pas que l’exemple fasse tache d’huile et menace leur empire sur ses bases.
Neuf années plus tard, la transition, interminable litanie d’opportunités de démocratisation ratées, dure toujours et la dernière mouture de la Constitution, revue et corrigée sous Zeroual, donne encore l’occasion à de rocambolesques joutes entre le premier et le deuxième personnage de la République à cause de certaines dispositions transitoires. Bouteflika a désigné ses hommes dans le tiers présidentiel et c’est presque sans surprise que l’opinion publique accueille le retour de quelques dinosaures du FLN. L’Histoire a bégayé puisque Messaâdia, symbole de l’échec tant décrié par la rue en octobre 1988, revient pour hanter les couloirs de 1’hémicycle Zighoud.
Là où en 1963, quelques preux révolutionnaires tentèrent de placer l’Algérie sur la voie de la démocratie…

 

 

 

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