Il appelle à la constitution d’une force armée en Kabylie
La dérive de Ferhat Mehenni !
El Watan, 6 juin 2018
L’appel à la constitution d’une force armée est, selon Ferhat Mehenni, «une nouvelle étape de la démarche et du processus de conquête de l’indépendance de la Kabylie».
Nouvelle sortie surprenante de Ferhat Mehenni. A partir de Londres, où il a animé une conférence de presse lundi dernier, il appelle ouvertement à la mise en place d’un «corps de contrainte» et «de sécurité» en Kabylie. «Pour que cette indépendance devienne réalité, j’appelle la Kabylie, j’appelle le peuple kabyle, à accepter de bonne grâce et en toute conscience la mise sur pied d’un corps de contrainte, d’une organisation de sécurité de la Kabylie», lance-t-il, en faisant référence à l’appel du 18 juin 1940 du général de Gaulle, lors de la Deuxième Guerre mondiale.
Poursuivant, Ferhat Mehenni appelle aussi «la jeunesse à s’engager dans ce corps de contrainte et ce corps de sécurité». Cet appel à la constitution d’une force armée est, selon lui, «une nouvelle étape de la démarche et du processus de conquête de l’indépendance de la Kabylie». «Pour cet objectif, le pouvoir algérien fera tout pour m’éliminer, de préférence politiquement, mais surtout, mais aussi, physiquement», estime-t-il. Pourquoi a-t-il décidé de passer à une étape supérieure dans la radicalité ?
Est-il manipulé par des officines occultes, d’ici ou d’ailleurs, pour mettre, une nouvelle fois, la Kabylie dans un brasier dévastateur ? Qui veut une nouvelle tragédie et pour quel but ? En tout cas, cette sortie a surpris plus d’un, d’autant que le mouvement lancé, dans la foulée des événements du Printemps noir en 2001, s’est inscrit dans le combat pacifique.
Cet appel suscite déjà l’indignation du Rassemblement pour la Kabylie (RPK). Ce mouvement mis en place par d’anciens du MAK, appelle «tous les militants, toutes tendances confondues, à faire preuve de vigilance». «Il y a dans l’histoire des fautes politiques qui peuvent avoir pour conséquence la perte inutile de vies humaines.
La Kabylie a trop versé de sang pour s’engager dans de nouveaux drames. Notre responsabilité à tous est de participer à les éviter et de travailler à la construction d’un projet fédérateur qui donne l’espoir à notre jeunesse», explique le RPK dans une déclaration rendue publique hier. Le bureau du RPK, lit-on dans le même document, considère que les propos de Ferhat Mehenni «sont d’une extrême gravité pour les passer, cette fois-ci, sous silence».
«Son appel à la constitution de »force de contraintes » et de »sécurité » pour se substituer à l’autorité de l’Etat est de nature à ouvrir une brèche à la violence et déboucher à terme sur une guerre civile en Kabylie», indique le RPK, qui insiste sur la résistance pacifique. «Le combat des mouvements démocratiques a toujours été pacifique et a vocation à le demeurer ! Jeter la jeunesse kabyle dans une confrontation avec les services de sécurité, procède de l’abdication de toute responsabilité politique.
C’est l’exposer à un affrontement sanglant pire que ce que nous avons vécu au cours des événements de 2001», souligne encore le RPK. Et d’ajouter : «S’engager sur le terrain de la violence, c’est offrir une aubaine aux clans du pouvoir dans leurs manœuvres de stigmatisation de la Kabylie à la veille de l’échéance présidentielle de 2019.»
Rappelant le contexte régional marqué par la violence et la destruction, le RPK affirme que «la Kabylie a, comme toute société, besoin de vivre en paix et personne n’a le droit de remettre en cause cette profonde aspiration pour quelque intérêt ou objectif que ce soit».
Madjid Makedhi
Ferhat Mehenni : Du grand militant à l’aventurier
El Watan, 7 juin 2018
Incroyable parcours que celui de Ferhat Mehenni. L’icône de la chanson kabyle engagée, du combat identitaire, un des artisans du Printemps berbère de 1980, fondateur du MCB, militant pour les libertés démocratiques, dérive dangereusement.
Ferhat Mehenni, ce fils d’un martyr de l’Algérie, né en 1951 à Illoula Oumalou, à Tizi Ouzou, a écrit cette semaine sa propre nécrologie. Celui qui devait être le symbole parfait des luttes pour la liberté et la reconnaissance de l’identité n’est plus.
Ferhat Mehenni a connu la torture dans les geôles du régime durant les années 1980, il a connu la persécution et les pires sévices de la dictature, il a connu les affres de Lambèse-Berrouaghia.
Après l’ouverture politique de 1989, il fonde, avec Saïd Sadi et Mokrane Aït Larbi, le Rassemblement pour la culture et la démocratie. C’est le parcours unique et exemplaire d’un grand idéaliste.
Rien ne le prédisait à une telle fin. Mais depuis 1995, on ne reconnaît plus l’homme. Figurant parmi les otages de l’Airbus à l’aéroport d’Alger en 1994, Ferhat Mehenni fera de rares apparitions politiques, il reprendra du service dans le domaine qu’il maîtrise le mieux : la chanson.
Il sortira un album qui passera inaperçu, mais dans cette période ce sont ses démêlés avec le défunt Matoub Lounès qui le mettront au devant de l’actualité. Il avait déclaré que le rapt du chantre de la musique kabyle était organisé.
A l’issue d’un long procès à Paris, Mehenni en sort perdant en payant une indemnité de plusieurs milliers de francs. Le défunt Matoub racontait qu’il les lui a restitués, vu la précarité dans laquelle il vivait.
Après des années de disette, Ferhat Mehenni replonge dans la politique en surfant sur la vague de la contestation en Kabylie. Il lancera alors le Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK).
En 2004, Ferhat Mehenni perd son fils Meziane, tué dans des conditions non encore élucidées à Paris. Petit à petit, le fondateur du MAK se radicalisera en virant de l’idée de l’autonomie vers le séparatisme. Il proclama la naissance de l’Etat kabyle à Paris et nomma un gouvernement avant de faire un voyage en Israël. Comme tous les mouvements d’essence fasciste, le Mak prendra alors une autre tournure. Ferhat Mehenni veut mettre en pratique son sinistre projet.
Avant qu’il n’appelle aujourd’hui à la création de milices en Kabylie, Mehenni affirmait l’année dernière qu’«il est temps de mettre sur pied un véritable Etat capable d’imposer son autorité. Il faut qu’on ait des hommes qui puissent imposer des orientations. S’ils disent que la Kabylie doit entrer en grève et que tout doit fermer, il faut que cela se fasse et que les récalcitrants prennent leurs responsabilités».
Le message est clair. Pensant avoir une assise populaire, il passe à l’action violente en voulant imposer de force ses choix et ses décisions. Ferhat Mehenni veut plonger la Kabylie dans le chaos.
Said Rabia