Algérie : intrigues sur fond de massacres

Algérie : intrigues sur fond de massacres
Le péché de Liamine Zeroual

Le Nouvel Observateur, 25 septembre 1998

Ce qui divise les parrains des divers clans militaires qui se disputent le pouvoir à Alger, ce n’est pas le problème de la lutte contre les intégristes mais le partage de la manne pétrolière et des bonnes affaires de l’import-export

L’élection présidentielle anticipée à laquelle a appelé le président Zeroual ne correspond à aucun des cas de figure prévus par la Constitution. Ce n’est pas nouveau. Lors du raz de marée du FIS aux élections législatives du 26 décembre 1991, suivies de la « démission » du président Chadli Bendjedid, on a assisté au même scénario : c’est l’état-major de l’armée qui punit le président en exercice lorsque ses initiatives déplaisent aux militaires. Chadli a payé pour avoir passé un accord de cohabitation avec les islamistes. Aujourd’hui, c’est Zeroual qui est sur la sellette parce qu’il a laissé prendre trop d’influence à son conseiller et ami le général Betchine. On lui en veut notamment d’avoir créé le RND (Rassemblement national démocratique), sorte de néo-FLN qui, quelques mois à peine après sa fondation, a raflé la mise aux élections législatives, locales et sénatoriales. La fraude a été massive et grossière, mais le poids politique de Betchine s’en est trouvé considérablement renforcé. Compte tenu de la maladie de Zeroual, Betchine pouvait alors préparer sa candidature pour la prochaine présidentielle en l’an 2000. Il aurait toute les chances de la remporter, dans la mesure où tout le dispositif électoral est aux mains de son parti, le RND. Mais d’une candidature du général Betchine l’état-major ne veut pas entendre parler. Pour le comprendre, il faut jeter un regard sur le système des clans qui règne dans l’armée algérienne. La grande naïveté consisterait à croire que cette armée est divisée entre « éradicateurs » et « réconciliateurs », c’est-à-dire entre adversaires et partisans d’une réintroduction du FIS dans le champ politique. Si cette thèse était recevable en 1992, elle ne l’est plus aujourd’hui : le FIS est atomisé, l’AIS, sa branche armée, a déposé les armes durant l’automne ; quant aux GIA, ils n’ont aucune revendication politique et appliquent à la lettre le mot d’ordre d’Ali Belhadj, du temps où le FIS était à son zénith : « Nous ferons triompher la voie de l’islam, dussions-nous exterminer les deux tiers de la population… » Ce n’est pas l’attitude à adopter face à cela qui détermine les divisions parmi les militaires, mais la lutte des clans pour le contrôle des leviers du pouvoir. Les clans se sont formés après l’indépendance, lorsqu’au sein de l’Armée nationale populaire le colonel Boumediene a écarté les chefs de guerre détenteurs de la légitimité historique au profit des jeunes officiers de l’armée des frontières est (Tunisie) et ouest (Maroc). Les anciens de l’historique wilaya 1 (Aurès-Nementcha, à l’est) n’auront d’autre choix que de se lancer dans les affaires, tandis que le pouvoir réel reviendra notamment aux officiers du réseau Boussouf (services secrets) issus de l’Ouest. Plus tard se glisseront parmi eux Liamine Zeroual et Mohammed Betchine, pourtant tous deux originaires de l’Est. Mais ils ont été promus au cours des années 80 par le président Chadli à qui ils avaient prêté main-forte lorsque celui-ci dirigeait la région militaire d’Oran, au plus fort du conflit sahraoui. Du côté des « Boussouf boys », un homme va connaître une irrésistible ascension sous Chadli : c’est Mohamed Abbas Medienne, alias le général-major Tewfik. Il est aujourd’hui à la tête de la DRS (Direction de la Recherche et de la Sécurité), les services secrets algériens. Avec Mohamed Lamari, chef de l’état-major, il forme la partie visible du clan abusivement appelé « éradicateur ». Zeroual et Betchine forment feu le clan « réconciliateur ». La sourde lutte entre ces deux franc-maçonneries, toutes deux issues du système Chadli, vient de connaître son dénouement avec l’annonce d’une élection anticipée. La ligne de fracture entre les deux clans n’est ni idéologique ni politique. Le contrôle du pouvoir signifie simplement l’accès au gros business. Comme au temps de la colonisation, l’Algérie continue à être gérée comme un « grenier » : « La libéralisation sauvage de l’économie, sous la houlette du FMI, a surtout permis de remplacer le juteux monopole d’Etat par celui qu’exercent les nouveaux parrains qui se sont partagé le marché de l’importation – près de 10 milliards de dollars chaque année. Le poids d’un parrain est proportionnel à celui de ses protections au sein du pouvoir », explique Djilali Hadjadj, journaliste à « El Watan ». D’un autre côté, il y a bien sûr la manne pétrolière. Avec la seule compagnie américaine Amoco, l’Algérie a signé un contrat de partage de production de près de 1 milliard de dollars par an pour une durée de vingt ans, auquel s’ajoute un « droit d’entrée » de 30 millions de dollars, ainsi que le remboursement de 111 millions de dollars de dépenses antérieures effectuées par la Sonatrach (compagnie pétrolière algérienne), etc. L’accord a été conclu par Youcef Yousfi, ministre de l’Energie et ami intime de Zeroual. A-t-il omis de répartir équitablement cette manne entre les parrains des divers clans de l’armée ? Ce qui est sûr, c’est que l’annonce de l’élection, sous la pression de l’état-major de l’armée, constitue un échec majeur pour le président en place et annonce la reprise en main du pouvoir réel par le noyau dur des militaires. Pendant ce temps, les massacres continuent

Y. B.

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