Alger redoute le rapport de la mission de l’ONU

Alger redoute le rapport de la mission de l’ONU

L’Algérie n’a pas pu verrouiller la visite des émissaires.

José Garçon, Libération, 5 août 1998

Depuis des années, la question des droits de l’homme brouille l’image du «pays en voie de démocratisation» qu’Alger veut donner aux Occidentaux. Le laisser-faire des forces de sécurité lors des grands massacres aux portes de la capitale aura aggravé le malaise. C’est dire l’importance que revêtait pour Alger la visite, qui s’est achevée hier, de la «mission d’information» de l’ONU dirigée par l’ancien président portugais Mario Soares et composée de cinq autres personnalités, parmi lesquelles l’Américain Donald Mac Henry et la Française Simone Veil. La campagne menée à la veille de l’arrivée de cette délégation, le 22 juillet, par les médias publics et l’agence officielle APS ne laissait guère de doute sur ce qu’Alger en attendait: améliorer son image et enterrer ainsi la fameuse «commission d’enquête internationale», dont les autorités algériennes ne veulent pas entendre parler. La mission onusienne «mettra fin au débat inquisiteur et au chantage aux droits de l’homme, et l’Algérie, qui n’aura plus alors à s’épuiser dans des campagnes d’explication, pourra alors consolider, en toute sérénité, sa place naturelle sur la scène internationale», expliquait même l’APS.

Douze jours et des dizaines d’entretiens plus tard, Alger, habituée aux missions «trois petits tours et puis s’en vont», redoute d’avoir trop vite triomphé. La presse tout entière se faisait, hier, l’écho de cette inquiétude en se demandant si le rapport de ce panel «allait normaliser ou, au contraire, compliquer les relations entre l’Algérie et la communauté internationale». «Les recommandations de Soares et de ses collègues peuvent mettre un terme aux pressions des ONG humanitaires comme elles peuvent les renforcer», estimait le quotidien Liberté, tandis que le très officiel El Moudjahid s’interrogeait: «Commission d’enquête ou d’information? Est-il vraiment utile de jouer sur les mots quand des Algériens se font égorger?»

Indépendance. Les méthodes de travail, le large spectre des rencontres de la délégation et le temps consacré à chaque entretien (deux heures minimum) sont à l’origine de ces inquiétudes car aux antipodes des missions précédentes. Jusqu’ici, en effet, la plupart des délégations n’ont pas accordé une importance essentielle aux droits de l’homme, de leur plein gré ou que les autorités aient rendu impossibles des rencontres avec les avocats des prisonniers ou les familles de «disparus». La mission Soares – qui a signifié son indépendance en habitant dans un hôtel international de la capitale -, a au contraire largement abordé ce dossier. Elle a, certes, rencontré des ministres, le tout-puissant chef d’état-major Mohamed Lamari et le président Liamine Zeroual, tout en évitant les représentants de la «famille révolutionnaire» ou des «organisations de masse» qui ne lui en auraient pas appris plus.

Fax anonymes. Elle a respecté son engagement de ne pas voir de responsables du FIS. Mais elle s’est aussi entretenue avec tous les organismes de droits de l’homme, les personnalités sensibles à ce dossier, des partis d’opposition, bref, des interlocuteurs susceptibles de donner le pouls de pans entiers de la population qui échappent au regard des visiteurs étrangers. «Nous avons le droit de recevoir qui nous voulons», aura même rétorqué Soares pour couper court aux questions sur les critères du choix des interlocuteurs du panel, qui s’est rendu en Kabylie, à Beni Messous, un des trois villages martyrs près d’Alger et, fait sans précédent, a passé six heures à la prison de Serkadji, théâtre d’une mutinerie matée dans le sang début 1995 (100 morts, dont 96 détenus). La délégation a aussi reçu des dizaines de fax et de lettres, déposés ou envoyés anonymement à son hôtel.

Ces signes d’indépendance, sa volonté de savoir «qui sont les auteurs de la violence» et l’absence de toute information sur l’état d’esprit du «panel» ont ajouté à l’inquiétude des autorités et de la presse. Aux deux extrêmes de l’éventail politique, le quotidien le Matin, très opposé à toute négociation avec le FIS, et l’islamiste «modéré» Mahfoud Nahnah ont dénoncé cette «commission d’enquête qui ne dit pas son nom», tandis que le FLN (ex-parti unique) refusait de rencontrer la mission. Tous semblent cependant ne pas vouloir injurier l’avenir en attendant le rapport préliminaire que la délégation remettra jeudi à Kofi Annan, le secrétaire général de l’ONU.

«Outrageant». Un rapport sévère tomberait particulièrement mal pour Alger, qui a rejeté lundi le rapport «outrageant» du Comité des droits de l’homme de l’ONU de Genève, qui recommandait des enquêtes indépendantes sur le comportement des forces de sécurité lors des massacres. Reste à savoir si une mission onusienne, en visite à Alger, pourra se montrer moins rigoureuse que l’ONU à Genève.

©Libération

 

 

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