L’ONU accable le pouvoir algérien

Droits de l’homme: l’ONU accable le pouvoir algérien

Les experts onusiens réclament des mesures concrètes pour protéger la population.

Par JOSÉ GARÇON

Le samedi 1er et dimanche 2 aout 1998

 

Pour la première fois, une instance de l’ONU a mis gravement en cause l’Algérie sur les droits de l’homme et «recommande des mesures concrètes» à ce sujet. Les dix-huit experts indépendants du Comité des droits de l’homme de l’ONU à Genève n’ont été convaincus ni par le rapport que lui a présenté le gouvernement algérien les 20 et 21 juillet, ni encore moins par les réponses de sa délégation à leurs questions. «Dialogue de sourds et des débats sportifs», avait commenté à l’issue de ces travaux la présidente (française) du comité Christine Chanet, tandis que les experts onusiens déploraient le caractère «trop général, juridique et sans précisions concrètes» du texte comme des explications apportées verbalement par Alger qui Un expert onusien n’avait fourni aucune des indications habituellement consignées dans ce genre de document, à commencer par le nombre de prisonniers.

Le rapport d’une dizaine de pages rendu public hier par l’ONU à la suite des discussions de Genève ne mâche guère plus ses mots. «Nous sommes loin d’être satisfaits des réponses (de l’Algérie) sur les innombrables cas d’exécutions sommaires et extrajudiciaires», affirme-t-il en déplorant aussi «les maigres informations sur les groupes de légitime défense fournies par le gouvernement dans son rapport, sa présentation orale et ses réponses».

Le texte de l’ONU – qui n’estime pas utile de consacrer plus de cinq lignes aux «points positifs» du document algérien (la création d’un observateur des droits de l’homme et d’un médiateur de la république) dresse un tableau de la situation aux antipodes des thèses d’Alger. Particulièrement s’agissant des massacres.

Le comité de l’ONU s’affirme en effet «préoccupé par l’absence de mesures de protection préventives ou urgentes des victimes par la police et le commandement de l’armée dans les secteurs concernés» et par les «affirmations répétées de collusion de membres des forces de sécurité dans la perpétration d’actes de terrorisme». En conséquence, les experts onusiens pressent Alger de prendre des «mesures concrètes pour prévenir les attaques (terroristes) et, si elles ont lieu malgré tout, de défendre rapidement la population». Ils demandent en outre que «des enquêtes soient menées par un organe indépendant pour déterminer qui sont» les agresseurs «et les juger». Même exigence d’«enquêtes indépendantes sur le comportement des forces de sécurité dans tous les massacres, à tous les échelons, du plus petit au plus élevé» et «le cas échéant de sanctions pénales et disciplinaires».

Le Comité de l’ONU, qui avait insisté lors des débats de Genève de l’absence de contrôle des milices, réitère dans son rapport ses préoccupations concernant «leur rôle et leur entraînement» et s’interroge sur «la légitimité d’un tel transfert de pouvoir de l’Etat à des groupes privés et du risque réel que l’exercice de ce pouvoir fait peser sur la vie et la sécurité, ajouté à l’impunité». Enfin, la sévérité des experts onusiens sur la torture ou les disparitions imputées aux forces de sécurité indique on ne peut plus clairement leur incrédulité face aux dénégations d’Alger. Tout en prenant acte de ces dénégations, le comité de l’ONU se dit là encore «gravement préoccupé par les affirmations répétées faisant état d’une utilisation systématique de la torture» et par «la manière routinière dont les tribunaux acceptent des confessions arrachées sous la torture». Concernant les disparitions, l’ONU déplore encore «l’insuffisance des réponses» algériennes et dénonce «le nombre de ces disparitions et l’incapacité de l’Etat à remédier à des violations aussi graves». Elle demande également aux autorités de «créer un fichier central des cas de disparitions et des actions entreprises jour après jour pour faire la lumière sur chacun d’entre eux».

Le représentant algérien à l’ONU, Mohamed-Salah Dembri et les treize personnes qui composaient sa délégation, voient en fait sanctionner non seulement le vide du rapport d’Alger, mais une langue de bois et des dénis de vérité qui ont irrité tous les experts. «Le flou des explications et les sempiternels arguments sur l’ingérence, le complot ou la responsabilité des européens dans la crise ne marchent plus face à la gravité de la situation», remarquaient certains d’entre eux à l’issue de la réunion de Genève au cours de laquelle l’Algérie s’est engagée à répondre par écrit aux questions soulevées par le comité de l’ONU. La publication du rapport onusien survient en tout cas au moment où la «mission d’information de l’ONU» dirigée par l’ancien président portugais Mario Soarès poursuit sa visite en Algérie. Les conclusions de cette ONU en mission à Alger pourront-elles être moins rigoureuses que celles de l’ONU siégeant à Genève? La crédibilité de la délégation Soarès en dépend sans doute.

©Libération

  

 

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