« Tel qu’il est conçu, ce projet de loi est contraire à l’intérêt national »

LE PRESIDENT DE LA FEDERATION NATIONALE DES TRAVAILLEURS DU PETROLE, DE LA CHIMIE ET DU GAZ (FNTPCG) AU QUOTIDIEN D’ORAN

« Tel qu’il est conçu, ce projet de loi est contraire à l’intérêt national »

Par Hamid Guemache, Le Quotidien d’Oran, 3 mars 2001

L’avant-projet de loi sur les hydrocarbures suscite de vives inquiétudes au sein des travailleurs du secteur. La fédération des pétroliers rejette le projet. Son président qui est aussi secrétaire national de l’UGTA chargé des questions économiques, Mohamed Lakhdar Badreddine, détaille dans cet entretien ses arguments.
Le Quotidien d’Oran: L’avant-projet de loi sur les hydrocarbures suscite des réactions hostiles de la part des syndicalistes du secteur. Quels sont vos arguments ?

Mohamed Lakhdar Badreddine: Cet avant-projet de loi sur les hydrocarbures introduit beaucoup de nouveautés. Il privatise l’activité d’une manière générale. La loi de 1992 n’a pas ramené beaucoup d’investisseurs à cause du problème de la sécurité. On a considéré que du fait qu’il n’y a pas assez d’investisseurs étrangers dans le domaine, il fallait faire une loi plus avantageuse. Ce n’est pas cela qui nous dérange. C’est le fait qu’on déplume la Sonatrach (SH) parce qu’on la met sur le même pied d’égalité avec le privé national ou étranger. Et on introduit deux agences qui seront des agents supplémentaires entre l’Etat et les investisseurs.

Q. O.: Alors vous êtes contre la création de ces agences, c’est l’un des points importants du projet que vous contestez ?
M. L. B.: Absolument. La notion d’intérêt national est contraire à l’existence de ces agences qui seront à la charge du Trésor public. En considérant que l’Etat veut récupérer ses prérogatives, on n’est pas contre. Mais à condition qu’il les récupère réellement. Et ça ne sera pas le cas avec ces deux agences qui non seulement deviendront des agents supplémentaires entre l’opérateur et l’Etat, mais aussi des charges sur le Trésor public. Quel statut auront ces agences si elles seront des sociétés par actions ? Cela posera problème avec les charges supplémentaires qui seront induites. De plus, l’avant-projet de loi introduit l’utilisation par les investisseurs étrangers de tous les moyens de production et de transport de SH. Ce qui est aussi inadmissible.

Q. O.: Que craint la fédération de cet avant-projet ?
M. L. B.: Cette ouverture n’apportera pas beaucoup à l’Algérie. Elle profitera aux multinationales qui auront entre les mains les richesses nationales. C’est cela que nous craignons le plus.

Q. O.: Lors de son passage à Arzew, le ministre de l’Energie et des Mines a affirmé que ceux qui ne veulent pas de son projet ont des intérêts à défendre…
M. L. B.: C’est devenu une tradition. A l’époque, celui qui parlait contre Boumediène était contre la révolution. Avec les islamistes, celui qui n’était pas d’accord avec le FIS était contre Dieu et voilà que celui qui est contre l’avant-projet de loi de Chakib Khelil a donc des intérêts. Ce n’est pas démocratique de dire des choses pareilles ! Je peux dire alors que celui qui veut passer ce projet de loi a des intérêts lui aussi. On n’en finira pas. Mais si le ministre a des preuves sur ce qu’il dit, alors qu’est-ce qu’il attend pour les rendre publiques ? On lui lance un défi. D’ailleurs on est prêts à l’affronter dans un débat télévisé en présence des journalistes et on verra !

Q. O.: Pourquoi la séparation entre l’Etat et la Sonatrach vous inquiète ?
M. L. B.: Ce n’est pas bon. Il faut un débat national sur cette question.

Q. O.: Comment vous imaginez ce débat ? Qu’est-ce que vous proposez exactement?
M. L. B.: Il faut approfondir le débat avec les cadres de SH. On a confiance en eux. Il faut leur demander leur avis.

Q. O.: C’est ce que le ministre dit faire avec ses tournées dans les zones pétrolières…
M. L. B.: Le ministre y va pour présenter son programme. Il n’y va pas pour leur demander leur avis. Les cadres ont peur de dire ce qu’ils pensent. S’ils parlent, leurs postes sont en jeu. Il y a eu un cadre qui a parlé à Alger, il a été empêché de se déplacer à Arzew.

Q. O.: Dans le programme du gouvernement, l’ouverture du capital de SH est envisagé. Vous n’avez pas réagi à l’époque lors de sa présentation…
M. L. B.: C’est le programme du président qui nous intéresse. Et il n’évoque pas l’ouverture du capital de Sonatrach.

Q. O.: L’avant-projet de loi n’inclut pas l’investissement en aval. Les syndicalistes ont soulevé ce problème au ministre. C’est l’une des faiblesses de ce projet…
M. L. B.: Effectivement. Pour la création d’emploi, les gens qui viendront en Algérie doivent investir en amont et en aval. D’autant qu’il n’y a pas suffisamment d’investissement en aval, alors on doit leur imposer de le faire. Il y a d’autres faiblesses. Comme les contrats de 40 ans, c’est beaucoup. Le nouveau projet de loi prévoit 25 % pour la SH sur des découvertes auxquelles elle n’a pas pris part, pourquoi ce n’est pas plus ? En tous les cas, on fera nos propositions au ministre dans quelque temps. On ouvrira un débat avec lui. Mais tel qu’il est conçu, cet avant-projet de loi est désavantageux pour les entreprises algériennes et la Sonatrach particulièrement.

Q. O.: Que seront les incidences de cette nouvelle loi sur la Sonatrach et ses travailleurs ? Y aura-t-il compression des effectifs ?
M. L. B.: On ne peut pas parler encore d’incidences. Ce n’est pas les puits de SH qui seront touchés. C’est l’activité. Mais ce qui est sûr, c’est que la SH va perdre sur le plan financier et ne pourra pas se développer. Elle n’aura pas suffisamment d’argent et à partir de là, des problèmes vont surgir et tout deviendra possible.

Q. O.: Justement, la Sonatrach est-elle prête à affronter la concurrence des multinationales ?
M. L. B.: La SH est prête à affronter les multinationales si elles sont à armes égales et ce n’est pas le cas. Les multinationales sont supérieures. Elles ont la technologie et leurs ambassades. Et si l’Algérie et le ministère sont contre la SH, elles ne sont pas à armes égales. Le nouveau projet de loi sur les hydrocarbures banalise la SH.

Q. O.: En lisant les différentes déclarations de la fédération des pétroliers, on ne trouve pas de critiques précises. Vous rejetez le fond de l’avant-projet. Mais le système actuel a des défaillances. Que faut-il faire ? Est-ce que vous êtes pour le maintien des choses en leur état ?
M. L. B.: C’est le fond du projet, son côté politique, qui nous intéresse. Pas les détails et les aspects techniques. La fédération rejette le fond du projet et certaines choses qui sont essentielles et déterminantes pour l’avenir de Sonatrach et du pays. Nous avons une entreprise qui a fait ses preuves et défendu l’intérêt national. Il faut qu’elle soit préservée. Et nous allons combattre pour cela !

Q. O.: Récemment lors de son passage à Arzew, le ministre de l’Energie et des Mines a dit qu’il attend des propositions concrètes de la part de la fédération des pétroliers et que les déclarations qui font peur ne serviront à rien. Est-ce que vous avez des propositions ?
M. L. B.: Le ministre peut dire ce qu’il veut, il est libre. Pourquoi il ne nous a pas associés à ses rencontres. Si on prouve que cette loi est bonne pour l’intérêt national, on ne la refusera pas. Mais pour l’instant, on n’est pas convaincus. On pense que l’intérêt national sera mieux défendu en gardant le statut actuel de SH.

Q. O.: Et si le projet passe ?
M. L. B.: Il deviendra force de loi. Nous allons batailler avant qu’il ne soit adopté.

Q. O.: Comment ?
M. L. B.: Nous allons consulter notre base. C’est elle qui décidera dans le cas où le ministre rejette nos propositions. Il y aura la conférence d’Alger au début du mois de mars. Des décisions seront prises.

Q. O.: Depuis 1992, les champs pétroliers du Sud sont ouverts aux multinationales qui y sont présentes. L’UGTA a accepté cette ouverture…
M. L. B.: L’ouverture de 1992 a été bénéfique à l’Algérie. Il y a eu un consensus sur cette décision prise lors d’une tripartite. Ce n’est pas le cas cette fois.

Q. O.: La faible exploitation des réserves algériennes en pétrole et gaz naturel est l’un des arguments du ministre qui défend son projet…
M. L. B.: Il faut retenir que SH n’a pas investi de 79 à 82. C’est un problème d’argent. Nous sommes pour le maintien du système actuel. Il est extraordinaire. Pour ramener les investisseurs, il faut régler le problème de sécurité. Le statut actuel de SH doit être maintenu. On part de l’idée que les investisseurs étrangers ne sont pas nombreux à cause de la loi, ce qui est faux. Ils ne sont pas nombreux à cause du problème de la sécurité.

Q. O.: Mais au Sud, la sécurité est assurée…
M. L. B.: Les gens ont toujours peur !

Q. O.: Alors selon vous, quelles sont les véritables raisons qui ont poussé le ministre à élaborer ce nouveau projet de loi ?

M. L. B.: Je pense que c’est une injonction des institutions financières internationales dans la cadre de la mondialisation. Il n’y a pas que les hydrocarbures qui sont concernés, c’est toute l’économie nationale !

Q. O.: Avec vos prises de position sur les avant-projets de loi de Chakib Khelil et de Hamid Temmar, vous vous êtes fait une réputation de dur de l’UGTA…
M. L. B.: Il n’y a pas d’aile dure à l’UGTA. Chaque secrétaire national exprime la position du secrétariat national (SN). Je me prononce sur les questions économiques parce que je suis chargé du dossier et mes positions sont adoptées par le SN. Je ne suis ni le dur, ni le modéré de la centrale syndicale. Que les choses soient claires !

 

 

algeria-watch en francais