« Le général algérien Nezzar très critique à l’égard du président Bouteflika attendu à Paris

Le général algérien Nezzar très critique à l’égard du président Bouteflika attendu à Paris.

«Je ne vois pas de signaux forts…»

Marc Berdugo (LCI), Libération, 9 juin 2000

A la veille de l’arrivée d’Abdelaziz Bouteflika en France, le général Khaled Nezzar fait partie de ceux, de plus en plus nombreux, qui dressent un bilan très critique de la première année aux affaires du président algérien. Homme fort de l’Algérie lors de l’annulation en 1992 des législatives remportées par le FIS, Nezzar appartient au cercle très restreint des «décideurs» militaires qui exerce dans l’ombre le vrai pouvoir en Algérie. Son hostilité au chef de l’Etat ne date pas d’hier. «Canasson», lui ava
it-il lancé pendant la campagne électorale en mars 1999 avant de se rallier au consensus du haut commandement militaire pour porter Bouteflika au pouvoir. Aujourd’hui, l’enthousiasme des décideurs à l’égard de leur élu a nettement diminué. Et Nezzar réaffiche depuis quelque temps son jugement initial. «Je ne veux pas parler au nom de l’armée que j’ai quittée il y a cinq ans», précise l’ex-ministre de la Défense qui revendique «suivre avec attention la situation de [son] pays!
». Certains y verront le signe d’une ambition personnelle. D’autres analyseront malgré tout ces critiques comme un «avertissement» de la hiérarchie militaire pour rappeler à Bouteflika la modestie de la réalité de son rôle. Formulées devant un média français au moment où le Président s’envole pour Paris, elles donnent en tout cas l’ambiance des sempiternelles luttes de pouvoir qui paralysent tout à Alger. L’interview que nous publions a été filmée pour Lignes de front, émission réalisée par Libération et LCI

On entend dire partout que l’armée algérienne décide de tout et détient les rênes du pouvoir depuis l’indépendance. Etes-vous agacé par ce jugement ?
Khaled Nezzar. -Excessivement, car c’est tout à fait faux. C’est vrai qu’on a recours à nous, car le socle de la République n’a pas été construit. (…) Je n’ai pas la prétention d’envoyer des messages. Je voudrais seulement que ce pays se stabilise, peu importe qu’il y ait un conservateur ou un démocrate au pouvoir, pourvu que les choses fonctionnent normalement.

Le Président dit qu’on ne le laisse pas faire tout ce qu’il souhaite…
-Je n’ai pas entendu le Président dire que l’armée le gêne en quoi que ce soit. Je l’ai au contraire entendu faire l’éloge de l’armée à plusieurs reprises. Aucun militaire par exemple n’a été impliqué dans la formation du gouvernement. On a raconté des tas d’histoires là-dessus, mais c’est faux. L’armée n’aspire qu’à faire son métier. Il faut que les politiques fassent le leur.

La situation s’est améliorée sur le plan sécuritaire…
-Il faut poursuivre la mobilisation de l’armée et des services, mais aussi celle des citoyens pour que la paix revienne. Il y a beaucoup de choses à faire. On peut les faire. On ne peut pas attendre que les textes soient parfaits…

Considérez-vous que ces choses sont faites aujourd’hui ?
-Personnellement, je n’en sais rien. Sont-elles préparées au niveau des textes ? C’est possible. Je ne crois pas que les gens (à la présidence, ndlr) soient en train de se croiser les bras. Mais je ne vois pas de résultat concret sur le terrain alors que ça fait plus d’un an déjà (que Bouteflika est aux affaires, ndlr). Quand je sais qu’il reste moins de quatre ans de mandat présidentiel, moi je me pose des questions, c’est sûr.

Que faudrait-il faire ?
-Il faut donner un signal fort qui redonnerait confiance aux Algériens. Je préfère ne pas parler au nom de l’armée, je donne un avis personnel, même si je connais plus ou moins l’armée, j’y ai passé plus de quarante ans. Depuis que je l’ai quittée il y a cinq ans, beaucoup de gens parlent à mon sujet de «parrain», de quelqu’un qui tire les ficelles, alors que je ne sors pas de la maison, que je ne vais même pas voir les compagnons de l’armée… Parfois, on se salue par téléphone, mais rarement.

Vous exprimez cependant un sentiment assez majoritaire dans l’armée ?
-Je suis un citoyen et j’exprime ce que pensent les citoyens : ils veulent voir les choses changer concrètement, de manière plus palpable, et partir sur d’autres bases. Il faut créer un cadre à travers des lois, des décisions hardies pour aller de l’avant.

Vous semblez déçu par le politique ?
-La période a été longue… Avoir attendu plus d’un an pour former le gouvernement et par la suite rien du tout… On ne voit rien venir, c’est vrai que ça déçoit plus ou moins. On aurait bien voulu que les choses aillent plus vite. On (Bouteflika, ndlr) a parlé beaucoup, c’était une bonne chose de donner une autre image de l’Algérie à l’extérieur. Maintenant c’est fait. Alors il faudrait penser à l’intérieur du pays, à régler le problème des Algériens.

En 1992, vous avez joué un rôle important dans la décision d’arrêter le processus électoral…
-Je ne regrette rien. J’ai pris mes responsabilités, je les assume…

Imaginez-vous une Algérie où l’on vous demande des comptes ?

-Je l’accepte… si je suis jugé pour avoir arrêté le processus électoral qui nous aurait menés à la catastrophe. (…)

Etes-vous aujourd’hui un homme apaisé ?
-Je n’ai pas de combat à mener. J’aspire à la retraite. Mais tant que la situation est comme elle est, vous ne pouvez pas être apaisé. J’aurais voulu que pendant ce mandat présidentiel au moins… Il faut qu’il y ait des hommes qui prennent des décisions, qui soient capables d’en prendre. Il faut donner des signaux forts pour que la confiance revienne. Je ne vois pas ces signaux aujourd’hui. Mais peut-être que ça va venir…

Il est difficile de ne pas entendre cela comme un avertissement…

-Qu’est-ce que je représente pour lancer un avertissement ? Mais je suis peut être un garde-fou… Qu’est-ce que je peux faire ? Rien. Sauf être un garde-fou, convaincre la presse, les gens, pour que ça aille dans le bon sens. J’ai une excellente relation avec le Président, avec les compagnons (d’armes, ndlr)… Ce que je veux, c’est que les choses puissent fonctionner normalement. « 

 

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