Un texte de l’ONU qui égratigne peu Alger
Un texte de l’ONU qui égratigne peu Alger
Un mois et demi après sa visite, la mission Soarès rend ses conclusions.
Par JOSÉ GARÇON
Libération, 16 septembre 1998
C’est finalement un rapport mi-chèvre mi-chou que la mission d’information de l’ONU en Algérie a remis, hier, à son secrétaire général Kofi Annan. Après une visite de quinze jours à Alger fin juillet et début août, cette mission, dirigée par l’ancien président portugais Mario Soarès et composée de cinq autres personnalités, parmi lesquelles la Française Simone Veil, aura mis un mois et demi pour rédiger un rapport dont Europe 1 a obtenu lundi une copie.
Ce délai semble s’expliquer par la nécessité de trouver un compromis entre les membres d’une délégation dont les vues divergeaient sensiblement. Le résultat ? Un document de 45 pages, dont une dizaine seulement – parmi lesquelles six pages de «recommandations» – sortent d’un constat très général. Il faut continuer à aider Alger dans sa «lutte antiterroriste et sur le plan économique» si les réformes démocratiques engagées se poursuivent et malgré «les bavures dans la lutte contre le terrorisme», recommandent en substance les délégués de l’ONU qui ont accepté les termes du débat voulu par Alger sur les droits de l’homme en refusant «de mettre sur le même plan» les violences des forces de l’ordre et celles des terroristes. A lui seul, ce refus suffit sans doute à satisfaire le pouvoir qui sait combien l’image du «pays en voie de démocratisation» qu’il entend donner aux Occidentaux est brouillée par ce problème. Les disparitions par centaines, les tortures nombreuses et les tueries – que souligne la mission – sont, elles aussi, relativisées par un constat : «Les forces de sécurité font ce qu’elles peuvent, parfois mal.» Les «signes d’espoir» relevés par le texte sont un ultime motif de satisfaction pour Alger : une presse qui ferait preuve «de plus en plus d’audace», des syndicats qui seraient de plus en plus critiques sur les conséquences sociales d’une politique économique de plus en plus libérale…
La liste des entraves à la mission de l’ONU est en revanche un peu plus gênante pour les autorités. Ainsi, la mission «regrette» de n’avoir pu se rendre sur les lieux d’un massacre à Blida ; de n’avoir pu rencontrer les dirigeants islamistes, Abassi Madani et Ali Benhadj, «ni même, et malgré plusieurs demandes répétées», Abdelkader Hachani, alors que ce dernier est en liberté ; de n’avoir pu s’entretenir avec la famille de Matoub Lounès (le chanteur tué en juin en Kabylie), les autorités arguant que celle-ci «n’était pas une bonne source d’information». Regret de n’avoir pu rencontrer non plus Ali Tounsi, directeur général de la sûreté, au prétexte qu’«il n’était pas à Alger»… pendant quinze jours. Regret enfin – mais cela ne concerne pas directement les autorités – que des gens n’aient pas voulu recevoir la mission, «notamment Mouloud Hamrouche» (l’ex-Premier ministre, ndlr).
Le rapport pointe également le «manque de démocratie», de «transparence», souhaite non sans humour que les autorités sachent «mieux communiquer avec leur peuple» et relève un élément qui en dit long sur la corruption au sommet de l’Etat. Évoquant l’incarcération sans jugement de 1 200 cadres, le texte avance une hypothèse sur la raison de leur mise au secret : les empêcher de «dire ce qu’ils savent sur la corruption».
En Algérie, le bilan du massacre d’Aïn Defla, dans la nuit de samedi à dimanche, s’est alourdi : 37 personnes au moins – et non 27 – y auraient été tuées. Enfin, Washington a tenu à souligner l’importance d’un scrutin présidentiel «libre et équitable» après l’annonce d’une élection anticipée. Et de préciser : «Nous suivrons de près le déroulement de ce processus.».