Louisa Hanoune à El Watan

LOUISA HANOUNE A EL WATAN /
«Zeroual ne peut pas partir avant d’avoir traité les dossiers urgents»

Dans cet entretien qu’elle nous a accordé une semaine jour pour jour après l’annonce par M. Liamine Zeroual de la tenue d’une élection présidentielle Mme Louisa Hanoune, nous livre son appréciation quant à cette décision inattendue. Elle nous parle aussi de son appréhension d’un pourrissement de la situation socio-économique et politique, impulsé par des ambitions électorales démésurées.

Quelle lecture faites-vous de la décision de M. Liamine Zeroual d’organiser une élection présidentielle anticipée ?

Cela a été une surprise, sauf peut-être pour ceux qui sont au courant des moindres détails de ce qui se passe en haut. Mais il est tout à fait normal que la classe politique soit surprise par cette décision. Bien sûr, il y avait déjà un malaise apparent dans le discours présidentiel du 20 août. Mais pour celui du vendredi 11 septembre, nous nous attendions à d’autres décisions. Comme il n’y avait aucun événement politique ni de date historique coïncidant avec ce jour, il était clair que le président allait annoncer des choses importantes, sinon graves. C’est la raison pour laquelle notre exécutif s’est réuni dans la nuit de vendredi à samedi. Nous pensions quand même qu’il annoncerait des mesures répondant à l’attente des citoyens, notamment sur le plan sécuritaire, sur la rentrée sociale explosive, sur les questions des droits de l’homme… Finalement, il s’agissait de l’annonce de son départ anticipé. Sur les raisons de ce départ précipité, nous préférons ne pas spéculer parce que nous sommes, malheureusement, dans un pays où l’opacité règne encore, où le peuple n’est jamais réellement informé de ce qui se décide en haut lieu. Le plus important pour nous est que cette décision aggrave la situation car, quelque part, c’est la preuve que tant qu’il n’y a pas de décisions politiques, tant qu’il n’y a pas de volonté clairement exprimée de la part de tous les responsables, de tous les partis, de rétablir les conditions de vie normale, il est impossible de faire des projets d’avenir. Par ailleurs, cette décision ne correspond à aucun article de la Constitution. Il existe un vide juridique en la matière. Et puis, les Algériens et les Algériennes ont-ils besoin d’une élection anticipée ? Pour le Parti des travailleurs, le besoin n’est pas de mettre en ouvre un cadre optimal pour les élections, mais d’asseoir les conditions politiques, économiques et sociales nécessaires pour que le peuple algérien puisse vivre, manger, scolariser ses enfants, les soigner, travailler… C’est ça l’urgence. Nous avons eu trois scrutins et la situation s’est aggravée, elle est plus complexe.

Vous avez peut-être l’impression qu’on fait un retour vers la situation prévalant après la démission de Chadli Bendjedid…

Non, c’est différent. Chadli a été démis. Il a lu, de manière laconique, un discours qui lui a été préparé. Sans vouloir encore une fois spéculer, nous avons entendu parler de la volonté de M. Zeroual de se retirer. Nous ne nous attendions, toutefois, pas à ce que cette volonté s’exprime maintenant et sous cette forme, et ce, parce que nous avons besoin d’apaisement. Il ne faut pas que la situation s’embrase davantage : une rentrée sociale houleuse, vraiment dramatique pour la grande majorité des familles, des salaires trop bas et souvent impayés, des entreprises fermées, des attentats, etc. Il ne faut certes pas occulter les côtés positifs. Sur la question des disparus par exemple, une petite brèche a été ouverte. Les familles s’inquiètent à présent. Elles interpellent le président en lui disant : «Vous ne pouvez pas partir sans avoir réglé ce dossier que vous avez ouvert.» C’est pour cette raison que nous avons commencé par nous demander de quoi a besoin le peuple algérien ? Les gens se préoccupent surtout de l’instabilité qui persiste et de la dégradation des conditions de vie. Je vous rappelle qu’il y a eu trois élections : la présidentielle, les législatives et les locales. Nous nous retrouvons pourtant avec les mêmes problèmes, aggravés par la corruption, la déliquescence, au niveau des rapports sociaux… Pour nous, aucun scrutin ne peut être libre et honnête, ne peut résoudre les problèmes si au préalable ne sont pas réunies les conditions politiques, c’est-à-dire la paix, une vie normale, le travail pour tous, etc. Comment peut-on demander à un Algérien qui n’arrive pas à nourrir ses enfants, qui est désespéré, d’aller voter ? J’insiste là-dessus. Les partis politiques ont fait beaucoup de promesses électorales, notamment en faveur de la paix, mais ils ne les ont pas tenues. Le peuple sait ce qui se passe à l’APN grâce à la retransmission en direct des débats. Les Algériens ont appris à connaître les partis et à les juger, non seulement sur leurs déclarations mais aussi sur leur vote. Pour nous, la priorité n’est pas d’organiser une présidentielle anticipée, de changer M. Zeroual par un monsieur je-ne-sais-pas-qui, mais de répondre aux aspirations légitimes. M. Zeroual parle de l’alternance au pouvoir. Il y a eu des élections sans qu’il y ait modification du politique. Idem pour le gouvernement. Que M. Ouyahia parte ou reste importe peu. L’essentiel est de savoir quelle politique compte mettre en ouvre le gouvernement, quel qu’il soit, par rapport aux besoins urgents de la population. Nous nous interrogeons sérieusement sur ce qui peut se produire pendant ces six mois.

Appréhendez-vous un pourrissement de la situation socio-économique et politique au cours des mois à venir ?

Oui. Nous avons peur que la situation s’envenime davantage à cause de la course vers le koursi. Nous vivons dans des conditions d’extrême fragilité. Nous craignons des dérapages au moment où nous avons besoin de mesures hardies, courageuses pour l’apaisement et l’amélioration du contexte sécuritaire. Nous interpellons M. Zeroual pour qu’il règle ces problèmes. Six mois sont suffisants pour la prise des bonnes décisions. En six mois, il a toute latitude de rattraper le retard des trois années de son mandat. Il a, par exemple, les pouvoirs de convoquer un congrès solennel qui regroupera tous les acteurs politiques – les institutions, les corps constitués, les partis politiques et les personnalités influentes – pour dégager une issue à la crise, pour que cesse l’effusion de sang. Il est inadmissible d’entendre le porte-parole du ministère des Affaires étrangères répéter au lendemain de chaque carnage que ça va mieux. Trente-neuf personnes massacrées par-ci, quinze par-là, il est quand même scandaleux de continuer à donner des chiffres qui n’ont apparemment pas de valeur aux yeux de certains. Pour nous, les vies humaines sont très chères. On est même arrivé à nous dire qu’il reste uniquement 3 200 ou 3 600 terroristes. Il faut que cette mascarade cesse, car pour aller voter, il faut rester en vie, avoir réfléchi et donc mangé et ne pas avoir des préoccupations terrifiantes. Nous pensions que M. Zeroual allait désamorcer toutes ces bombes. Ce n’est pas trop tard. Il a encore le temps de respecter ses engagements. Quelles que soient les difficultés qu’il a rencontrées au cours de son mandat, il doit ramener la stabilité, du moins l’amorce d’une solution dans ce sens. Un président, de par la Constitution consacrée par voie de référendum, bien que je sois contre, a des pouvoirs. Il doit les exercer pour répondre à tous ses engagements électoraux. Il a promis de rétablir la paix, de rompre avec l’ancien système, de lutter contre la corruption, de garantir la justice sociale. Et bien, il peut tenir ces promesses en six mois. C’est une question de volonté politique.

Pour vous, le président n’a pas le droit de se dérober à ses obligations, dans le sens où il devra traiter les dossiers brûlants avant de partir…

Absolument. Le Parti des travailleurs pense cela et le réaffirme. Il interpelle M. Zeroual, aujourd’hui plus que jamais, à ne pas se désengager de ses promesses, d’autant, je le répète encore, qu’il possède les pouvoirs nécessaires.

Ne trouvez-vous donc pas des points positifs au mandat de Liamine Zeroual ?

Il a annoncé que sa mission est remplie. Mais la réalité est là. Nous sommes tous des Algériens, nous vivons dans ce pays. Personne ne nous convaincra que la violence a reculé lorsque des Algériens sont massacrés par dizaines de façon horrible. Personne ne nous convaincra qu’il y a amélioration sur le plan économique dès lors que par centaines des entreprises sont dissoutes et que par milliers des pères de famille se retrouvent à la rue. Personne ne nous convaincra qu’il y a eu une amélioration concernant les questions démocratiques lorsque nous constatons les conséquences du Code de la famille, de la non-reconnaissance de tamazight ou du bâillonnement de la presse avec à chaque fois des pressions nouvelles. Tant qu’il n’y a pas l’amorce du rétablissement des conditions normales de vie, nous considérons que le mandat du président Zeroual est un échec. Quels sont les obstacles qu’il a rencontrés ? C’est la question que nous posons depuis tout à l’heure. Malheureusement, nous ne savons rien. Une chose est sûre : il a encore le temps de modifier le cours des événements. Il fera son bilan avant de partir et nous le ferons avec lui.

Le Parti des travailleurs présentera-t-il un candidat à l’élection présidentielle, qui devient, quoiqu’on puisse penser, un fait établi ?

Nous n’avons encore rien décidé. Nous avons tout le temps. Cela dit, c’est certain, nous nous préparerons à cette échéance. Nous pouvons réunir les 75 000 signatures, nous sommes disposés à discuter avec les autres partis. Le mouvement Ennahda nous a déjà contactés. Mais nous voulons discuter de la paix, des conditions politiques de cette élection, non des moyens matériels. Sans la paix, il ne saurait y avoir d’élection libre. De surcroît, nous revenons à la case départ. Il y aura la présidentielle, puis les législatives qui suivront après la dissolution de l’APN.

C’est une éventualité…

Certains journaux l’ont déjà annoncé. C’est en effet la conséquence logique. Pour notre part, nous pensons que le peuple algérien a plus que jamais besoin d’une véritable Assemblée détentrice de tous les pouvoirs et émanant de la volonté populaire.

Comment voyez-vous la composante des institutions de l’Etat après la présidentielle et ne croyez-vous pas que l’alternance au pouvoir n’est qu’une vision de l’esprit dans le contexte actuel ?

A ce stade, personne ne peut prétendre savoir ce qui va se passer. C’est un avenir incertain. Vous savez, les grands de ce monde déclarent que tout va bien sur le plan économique et le lendemain, c’est l’effondrement total en Russie. Ils disent après que la Russie vit des problèmes mais que sa situation va s’améliorer ; puis c’est l’affaissement généralisé à Wall Street par effet de dévaluation du rouble. Le gouvernement algérien annonce, quant à lui, à chaque conseil des ministres qu’il continuera à appliquer la même politique économique tablant sur 15 dollars le prix du baril du pétrole. Jeudi dernier, le CAC 40 a chuté de manière vertigineuse et ALCATEL a perdu 40 % de la valeur de ses actions. C’est un système qui est en train de leur échapper à l’échelle internationale. Comment voulez-vous qu’on sache, dans un pays secoué par une violence, par une vraie guerre, ce qui se passera dans six mois, avec cet élément nouveau : l’élection présidentielle.

Quelle appréciation portez-vous sur le rapport du panel onusien rendu public dernièrement ?

Nous l’avons lu. Nous ne sommes ni surpris ni déçus. Nous n’avons jamais appelé une quelconque institution internationale à venir régler nos problèmes. Ce n’est pas nous qui avons invité le panel, mais le gouvernement. D’ailleurs, le terme panel est inapproprié. C’est M. Attaf qui veut nous normaliser, y compris à travers le vocabulaire. Pour nous, c’est une mission d’information composée de personnalités ayant chacune un parcours différent. Elles ne sont pas sur la même longueur d’onde, il suffit de lire séparément les déclarations de chacun de ces membres. Ce sont aussi des personnes qui ne sont pas au fait de notre culture, ni de la situation que nous vivons, et elles ne sont pas indépendantes. Chacune d’elles assume de hautes responsabilités dans son pays. Elles n’ont pas pu voir tout le monde, à l’instar de Abassi Madani et de Hachani. Ce rapport est, de ce fait, très contradictoire du début jusqu’à la fin. Par exemple, il affirme que c’est un terrorisme aveugle et sans revendication. Parallèment il dit qu’il est islamiste. Le rapport se prononce aussi, par certains biais, contre les atteintes aux droits de l’homme. Sans trop m’attarder là-dessus, il est vrai que le rapport du panel a mis à l’aise le gouvernement algérien justement par les contradictions qu’il comporte. Le rapport est dépassé parce que l’annonce du départ anticipé de M. Zeroual préfigure une nouvelle situation politique.Pour notre part, nous savions que les conclusions du rapport ne règleraient aucun des problèmes auxquels se trouve confronté le peuple algérien. Bien au contraire, en préconisant l’accélération des privatisations par exemple, la mission fait preuve de mépris à l’égard de la souffrance de la majorité.Pour nous, c’est la preuve qu’aucune solution ne peut être viable si elle n’est pas l’ouvre des Algériens eux-mêmes. C’est d’ailleurs ce que nous avions déclaré à la mission onusienne à Alger en disant que le peuple algérien a la capacité de s’en sortir pour peu que les partis assument leurs responsabilités et que s’exprime la volonté de tous, pouvoir et partis.C’est encore cela l’essence même de l’initiative que nous avions réalisée les 7 et 8 mai dans la tenue de la conférence pour la paix et la fraternité afin que s’instaure la démocratie, et c’est aussi la raison pour laquelle nous nous adressons aujourd’hui au président pour qu’il convoque un congrès regroupant les partis et les institutions, y compris les corps constitués, les personnalités influentes pour dégager les voies et moyens de restaurer la paix immédiatement.

Souhila H.