Qui est le fusible?

Qui est le fusible?

Par K. Selim, Le Quotidien d’Oran, 30 mai 2001

L’ampleur de la révolte des jeunes de Kabylie, qu’aucune institution en place ne semble en mesure de calmer, est telle qu’on ne peut plus éviter de penser à ses conséquences politiques. Octobre 88 avait eu ses effets politiques, qui ont été « rattrapés » quelques années plus tard, à la faveur d’une bifurcation dans la violence.
Ce printemps sanglant des wilayas du centre du pays ne peut manquer d’en avoir, avec en sus, chez les jeunes et dans la société en général, une solide méfiance à l’égard de ce qui sera proposé par les autorités. Confusément, on sent déjà que les acteurs apparents ou cachés au sein du pouvoir, sont à la recherche du « fusible » à offrir en sacrifice au violent échec, qu’est la contestation en Kabylie. Bien entendu, il est difficile – et il faut le redire, même si cela peut être lassant – de saisir tout ce qui se passe au sein de ce pouvoir et quels sont, au delà du rôle codifié des institutions, ses véritables acteurs.
Par contre, la presse étant un reflet direct ou indirect, un vecteur conscient ou inconscient des différentes forces en présence, on peut schématiquement déceler deux pistes.
La première est celle qui voudrait, que ce soit le Président lui-même, qui soit le « fusible », et son départ serait en quelque sorte un acte suffisamment fort, pour espérer atténuer la tempête. On peut trouver cette thèse exprimée, avec une certaine violence, par des journaux qui dressent un bilan tellement sinistre de l’action présidentielle, que son départ paraîtra sa meilleure action en deux ans d’exercice. Les partisans du fusible-président l’accusent d’avoir dangereusement entretenu l’immobilisme, dans la quête d’un pouvoir « total », qui ne pouvait que lui être contesté par les autres acteurs du système.
Cette quête aurait eu pour effet, selon eux, une mise en veilleuse totale des institutions et une mort, par inertie, des relais politiques et sociaux.
L’autre thèse, celle des partisans du Président, accuse ses adversaires cachés, mais qui sont « visibles  » à travers la presse, d’avoir orchestré une cabale complexe et sophistiquée pour stopper net l’élan de Bouteflika, juste au moment, où il lançait un ambitieux programme de relance économique, avec plus de 7 milliards de dollars à la clé. Pour eux, même l’amendement du code pénal – bien que demandé par le Président – a été utilisé, pour servir à « fédérer » les oppositions à Bouteflika et à l’empêcher de « réussir », et par conséquent, de songer à un second mandat. Paradoxalement, les deux thèses ne s’annulent pas; elles se valent, y compris dans leur côté dérisoire, au vu du faramineux échec, que constitue une jeunesse qui ne croit en rien, ni à l’état, ni même aux adultes en général. Dérisoire, car il est patent, qu’il y a un échec de l’ensemble du régime et de tous ses acteurs, puisqu’aucune des institutions en place ne s’est trouvée capable de ramener un semblant de calme. Un échec tellement frappant, qu’on a sorti immédiatement la batterie défensive de « l’échec des partis politiques ». Dérisoire car, du point de vue de la société, – qui ne calcule pas, mais qui ne supporte plus de voir ses enfants se brûler depuis dix ans dans des violences à répétition – ni Bouteflika, ni tel ou tel général ne sont des fusibles valables devant l’ampleur du traumatisme. C’est l’ensemble du régime qui est mis en cause et qui se trouve en position de fusible.
La grande intelligence de ceux qui nous gouvernent, serait de le comprendre et de reprendre le chemin du vrai dialogue politique, pour aller au changement du régime. Ni plus, ni moins, sinon les fusibles ne cesseront de sauter un à un, tandis que le pays ne ferait que sombrer dans une dangereuse anomie.

 

 

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