300 enfants laissés à quai à Alger
300 enfants laissés à quai à Alger
Libération, 22 juillet 1998
Depuis des mois, ils en rêvaient. Prendre pour la première fois un immense paquebot. Et partir. Dimanche, dès 8 heures du matin, ils étaient 300 venus de Tlemcen, de Boumerdès, de Béjaïa, de Tizi Ouzou, parfois d’Alger à attendre, surexcités, ce premier départ en vacances. Chaleur étouffante, appréhension pour certains de quitter leurs parents… Mais rien ne semblait devoir entamer la joie de ces gamins appartenant tous à des familles démunies. Jusqu’à ce que le couperet tombe au moment de l’embarquement. «Aucun enfant ne quittera l’enceinte portuaire. Nous avons des ordres», explique un policier. Panique des parents et des organisateurs, quatre associations. Le temps passe. La tension monte. Huit heures plus tard, à 16 heures, les gamins sont toujours bloqués sur le port. Ils n’ont rien mangé. Ils ont vu les autres passagers embarquer. Beaucoup ont supplié des douaniers, qui n’en menaient pas large, de les laisser partir. En vain. Alors, ils ont regardé, en larmes, le paquebot s’éloigner. Sans eux. «Exténués, rapporte le quotidien El Watan, de nombreux enfants se sont allongés par terre. D’autres ont déversé leur colère sur les canettes et les bouteilles d’eau minérale en jouant avec dans un bruit assourdissant.» Les parents et les responsables des associations, eux, ont tenté de comprendre. Ils avaient pourtant pris toutes les précautions. A commencer par celle d’exclure de leur liste les enfants «victimes du terrorisme». En effet, une note signée en octobre 1997, après les grands massacres aux portes d’Alger, par quatre ministères, dont ceux de l’Intérieur et des Affaires étrangères, interdit l’envoi de ces gamins à l’étranger par des ONG. Officiellement, pour des raisons de «dignité nationale», l’Algérie considérant qu’elle est parfaitement en mesure de s’occuper de ses ressortissants, à moins que les autorités algériennes, réputées craindre tout ce qui brise le huis clos national, redoutent maintenant les mots d’enfants. Compte tenu de cette exigence, seuls en tout cas des enfants démunis étaient candidats au départ. Une autre note interdisant aux ONG d’envoyer tout gamin à l’étranger pourrait être à l’origine de ces vacances ratées