L’énigme des « dossiers classés »

L’énigme des «dossiers classés»

Fayçal Metaoui, El Watan 12.12.00
Les cours spéciales, créées suite à l’instauration dans le pays de l’état d’urgence, avaient pris en charge des dossiers liés à l’activité subversive.

Le déroulement des procès au sein de ces juridictions d’exception ne répondait pas forcément aux normes universelles de droit. Situation qui a fait que les autorités décident de les supprimer. Mais que s’est-il passé après ? Les dispositions pénales portées par le décret législatif qui a créé ces cours en 1992 ont été introduites, d’une manière tout à fait contestable, dans le code pénal et le code de procédure pénale. Résultat : une législation exceptionnelle est devenue ordinaire, au mépris de toutes les règles de droit reconnues jusque-là. Les cours spéciales, de super-tribunaux criminels en réalité, ont jugé des centaines de personnes impliquées dans des activités terroristes. Plusieurs peines capitales ont été prononcées, souvent par contumace. Qu’en est-il de ces peines ? Une décision, prise par le président Zeroual, a suspendu les exécutions des condamnés à mort. Ceux qui sont actuellement en prison ne savent toujours pas quel sera leur sort puisqu’ils n’ont bénéficié ni de Agrâce ni de commutation de peines.
Les magistrats des cours spéciales traitaient des dossiers sur base d’instructions souvent inachevées et se référaient régulièrement aux procès-verbaux d’interrogatoires de la police judiciaire. Aucun des procureurs de ces juridictions ne prenait des initiatives de diligenter des enquêtes judiciaires suite à des actes terroristes. Ils se contentaient de ce que leur présentait la police judiciaire (police, gendarmerie, DRS). Les tribunaux criminels, qui ont repris les dossiers laissés par ces cours spéciales, n’ont pas fait mieux. A ce jour, l’opinion publique ignore que sont devenues les enquêtes menées sur les assassinats de journalistes et d’intellectuels. Elle ignore aussi l’action de la justice après les dizaines de massacres perpétrés contre la population civile, à supposer que les crimes contre les éléments de l’ANP soient pris en charge par la justice militaire. Les procureurs de la République des différentes régions du pays, obligés qu’ils sont de tenir informés les citoyens, n’ont pas dit quelle suite ont-ils donné aux premières investigations après les boucheries de Aïn Defla, Médéa, Blida, Chlef, Raïs ou ailleurs. Ont-ils ouvert des enquêtes et ont-elles abouti ? C’est parce que la justice tourne le dos aux réclamations des familles des victimes de ces actes barbares que le doute se fraie un chemin dans la confusion actuelle. Pourquoi la justice ne traduit-elle pas, dans des procès publics et équitables, les auteurs de ces actes criminels, sur lesquels elle a pu établir des preuves formelles ? Pourquoi fait-elle semblant de faire son travail sans aller jusqu’au bout ? Est-on en face du syndrome des dossiers classés ? Autre question : pourquoi les familles des milliers de victimes ne se sont-elles pas constituées partie civile afin d’obliger les juges à faire leur travail dans la transparence ?
Le dispositif de la concorde civile, parce que limité dans le temps, ne peut pas théoriquement suspendre les procédures ou les instructions en cours. Récemment, et pour ne citer que cet exemple, le dossier de la tentative d’assassinat du général à la retraite Kamel Abderrahim a rebondi. La police a arrêté un jeune franco-algérien, Mohamed Bilem, qui faisait l’objet d’un avis de recherche. Au moment des faits en 1993, Mohamed Bilem se trouvait à Lille, au nord de la France où il vit depuis sa naissance.
La gendarmerie, pour retenir son inculpation, s’est basée sur une photo, prise depuis plus de quinze ans, et montrant ce jeune émigré avec un cousin à lui. Ce dernier a fait partie d’un groupe armé et a bénéficié des lois de la repentance. Ce dossier, sur lequel nous reviendrons bientôt, montre à lui seul la complexité de la situation.
D’abord, il est évident de constater que l’enquête sur la tentative d’assassinat sur l’ancien militaire n’a pas été abandonnée (est-ce le cas des autres actes criminels ?). Ensuite, il est curieux de remarquer que sept ans après les faits tant la police que la justice en sont toujours au point de départ. Parfois, la vérité est aussi victime de la bureaucratie et de la fuite en avant.

 

 

 

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