La coalition en quête de repères

La coalition en quête de repères

Contestations ou voix d’outre-tombe

Ahmed Cheniki, Quotidien d’Oran, 28 septembre 2000

Les choses semblent quelque peu se compliquer pour Benflis qui se retrouve, dès son entrée en fonction, devant une série de contestations qui ne risqueraient pas de rester au niveau d’appareils sans réel impact sur la société, mais pourraient les dépasser pour investir la société réelle.

Ainsi, le refus d’augmenter les salaires, après les promesses faites par l’ancien Chef du gouvernement et le ministre des Finances, ne semble pas avoir contenté le citoyen, qui voit, impuissant, son pouvoir d’achat se dégrader alors que les discours officiels ne cessent d’évoquer une embellie financière, à tel point qu’il se pose la question-massue: où va l’argent du pétrole ? Surtout quand on sait que la situation économique ne s’est nullement améliorée, comme d’ailleurs les investissements productifs, ni le chômage qui ne cesse d’augmenter tragiquement. Les conflits longtemps latents commencent à se découvrir et à interpeller le quotidien et la «classe» politique, aujourd’hui condamnée à s’exprimer si elle ne risque pas, une fois les élections décidées, de choir dans les abîmes profonds de l’oubli et du rejet.

Ainsi, le RCD de Saïd Sadi, le nouvel «ami» du président, voit sa base remuer. Nahnah, d’habitude bavard, se morfond dans un silence peu accepté par ses troupes. Le RND n’accepte plus de jouer les seconds rôles ou les seconds couteaux dans le conflit originel qui l’a opposé, depuis sa naissance, au pater FLN voulant, à travers la paire Bouteflika-Benflis, retrouver une place de leader. L’UGTA, encore une fois arrimée au pouvoir, qui voit le nombre de syndiqués connaître une incroyable décrue, laisse faire et ne semble pas encore prête à réagir aux propos de Benflis concernant la privatisation et l’augmentation des salaires. Elle se trouve aujourd’hui traversée par des conflits internes d’appareils, mais de plus en plus éloignée des revendications des travailleurs, encore prisonnière du schéma du parti unique.

Avec cette situation, même si les partis «coalisés» sont encore sans réaction sérieuse, l’avenir, surtout avec l’approche des élections, va être chaud. Ce qui pousserait éventuellement certaines formations à quitter le gouvernement et à s’y opposer fermement, d’autant plus que leurs calculs et leurs espérances auraient été vains. Le RND reviendra bien à de meilleurs sentiments malgré ses gesticulations, mais il est presque certain que les partisans de Saïd Sadi n’accepteraient plus davantage de concessions, d’autant plus que cette relation avec Bouteflika est fondée sur des relations «amicales» et personnelles. Khalida Messaoudi serait même une «conseillère» du président. Mais il faut dire à l’actif des députés du RND qui défendent -et c’est normal en politique- leurs privilèges, qu’ils ont eu le courage de s’opposer, malgré les limites de leur action, contrairement à d’autres partis dont on ne connaît pas l’analyse de la situation.

L’accroc RND n’est-il pas un avertissement lancé à Benflis et à Bouteflika qui pensaient que les choses étaient simples ? Les «partis» coalisés, impuissants, ont certes accepté le mépris avec lequel le président les a traités en changeant le gouvernement sans les consulter, mais ils attendaient le moment propice, c’est-à-dire le temps où le rapport de forces lui serait défavorable, pour réagir. L’analyse de Bouteflika sur les partis politiques et leur impact réel sur la société est-elle juste ou est-elle tout simplement prisonnière du schéma du parti unique dans lequel s’est toujours placé le président ? Ainsi, ses tentatives de composer avec les appareils, en incluant au gouvernement Belkhadem et Amimour, qui représenteraient le contrat de Rome et le courant dit arabiste, correspondraient-elles aux véritables forces travaillant la société ou se limiteraient-elles à des clans d’appareils, comme d’ailleurs la présence de Rédha Malek ?

On dirait que Bouteflika regarde l’Algérie à travers le prisme du FLN des années 70-80 où cohabitaient de nombreux clans aujourd’hui plus ou moins autonomes. D’ailleurs, la composante du gouvernement obéit à cette logique où les postes importants sont détenus par des personnalités «libres», proches du président, alors que les portefeuilles secondaires sont dominés par les ministres issus des différents partis. C’est en quelque sorte la reproduction du schéma FLN-postes étatiques (ministres, walis, chefs de daïra…) au temps du parti unique.

Aujourd’hui, les choses sont davantage complexes, d’autant plus que, jusqu’à présent, les questions économiques sont en suspens et le chômage n’est pas du tout maîtrisé. Bouteflika réussira-t-il à immobiliser la société après avoir «chloroformé» des «partis» politiques. Les jeux d’appareils sont-ils suffisants pour contenir le mouvement social ?