L’économie domine la visite de Bouteflika à Washington

Seize ans après la visite de Chadli Bendjedid aux États-Unis

L’économie domine la visite de Bouteflika à Washington

Des compagnies pétrolières, principalement américaines, les Etats-Unis étant le plus grand consommateur énergétique, mettraient, au-delà de 2003, plus de 7 milliards de dollars en investissements

Par Younes Hamidouche, La Tribune, 14 juillet 2001

Les dossiers économiques, notamment dans le domaine énergétique, semblent avoir été l’élément essentiel du programme de la visite du président Bouteflika le week-end dernier (jeudi et vendredi) à Washington. Seize années après la précédente et la seule visite d’un chef d’Etat algérien aux Etats-Unis, la chose économique aura gagné quelques marges par rapport au politique. Même la presse américaine a évoqué l’événement, notamment sous l’angle schématisant de la visite du président d’un «pays riche en pétrole et en gaz».Les entretiens au cours du tête-à-tête Abdelaziz Bouteflika- George Walker Bush ont été qualifiés de «probants et significatifs» alors que les relations entre les deux pays sont relevées au niveau de l’excellence. Ces dernières, selon le président algérien, «ont franchi une nouvelle étape, une étape qualitative». A sa sortie jeudi après-midi de la Maison-Blanche, Bouteflika a fait part à la presse des «conclusions très positives et des résultats très prometteurs» auxquels il est parvenu avec son homologue américain, Bush Junior.Ce «moment exceptionnel dans les relations entre l’Algérie et les Etats-Unis d’Amérique», pour reprendre les termes du président Bouteflika, au-delà de son aspect économique, n’a bien évidemment pas manqué d’intérêt vu sous un autre angle. «Parmi les questions sur lesquelles nous avons eu un échange de vues constructif, je citerai l’évolution de la situation au Maghreb, les défis de la paix et du développement, en particulier en Afrique, le processus de paix au Moyen-Orient, ainsi que les thèmes globaux que sont la question de la paix et de la sécurité internationales, l’équilibre dans le monde, la mondialisation, ses opportunités et ses répercussions sur les pays les moins nantis et vulnérables aux chocs externes, ainsi que la prévention et la lutte contre le terrorisme». Bouteflika a réitéré la détermination de l’Algérie à s’engager résolument dans le processus des réformes économiques et parachever son passage à «une économie de marché dynamique et créatrice d’emplois et de richesses». Le tout pour la garantie d’un «Etat de droit», souligne-t-il lors de sa visite qui intervient dans une période toujours marquée par la répression enregistrée lors du mouvement de protestation né en Kabylie avant de se propager à d’autres régions de l’est et du centre du pays. Le fil de la visite de Bouteflika à Washington indique l’importance de l’escale américaine de ce mois de juillet 2001. Arrivée mercredi dernier, peu avant minuit (vers 18h00 locales), à la base Andrews, près de Washington, où il a été accueilli par le secrétaire d’Etat adjoint Keiswetter et le chef de protocole d’Etat des Etats-Unis, Dunhan, le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, a, en compagnie de l’ambassadeur d’Algérie, Driss Djazaïri, salué les ressortissants algériens avant de rallier la résidence de Blair House. Le lendemain matin, Bouteflika avait débuté sa visite par la rencontre de congressmen avant de s’entretenir, dans l’après-midi, avec son homologue George W. Bush. Bouteflika a rencontré plusieurs sénateurs dont Kennedy, président de la commission des affaires sociales au Sénat (Rusel Building).Au cours d’un déjeuner de travail avec Joe Pihs, membre du Congrès, Bouteflika a rencontré également d’autres membres de cette institution. Tout comme il a rencontré Mme Condoleeza Race, conseillère à la sécurité nationale des Etats-Unis. Le chef de l’Etat algérien a aussi reçu à sa résidence le secrétaire d’Etat américain aux affaires étrangères, Colin Powell. Il est à noter qu’avant son entretien pendant plus d’une heure avec Bush Junior, Bouteflika a été l’hôte à déjeuner du vice-président Dick Cheney. En somme, et au vu du programme, notamment durant la première journée de cette visite officielle, le voyage de Bouteflika aux Etats-Unis a une forte connotation économique. Le ton a été donné avant même le début de cette visite, la deuxième du genre d’un président algérien après celle de Chadli Bendjedid en 1985. C’est ainsi que la Chambre de commerce américaine en Algérie, affiliée à la Chambre de commerce américaine (American Chamber-Amcham) domiciliée à Washington, a été mise sur pied mardi dernier à Alger. Elle a pour rôle de «développer des activités et d’offrir des services contribuant à promouvoir l’industrie, l’investissement des capitaux, le tourisme ainsi que les relations commerciales et financières entre l’Algérie et les Etats-Unis». Les volets économiques et financiers ont été au centre des rencontres qu’a eues le chef de l’Etat à Washington avec des responsables américains, signe de la volonté des deux pays de renforcer leur coopération dans ces domaines.Bouteflika s’est entretenu notamment avec David Lesar, président de la firme Halliburton spécialisée dans l’engineering pétrolier. Cette rencontre est la seconde du genre après celle de l’an dernier entre le chef de l’Etat algérien et l’actuel vice-président, Dick Cheney, qui était à la tête de cette société.Un autre entretien eut lieu avec John Robson, président de l’Eximbank, spécialisée dans la garantie des crédits à l’exportation. Récemment, cette banque avait accordé des crédits à Air Algérie pour l’acquisition d’avions auprès du constructeur américain Boeing. Par ailleurs, un dîner a réuni Bouteflika et des capitaines d’industrie, essentiellement du secteur pétrolier. Business toujours, le chef de l’Etat a eu hier une rencontre avec Spencer Abraham, secrétaire américain à l’Energie.Des compagnies pétrolières de ce pays, plus grand consommateur énergétique, mettraient, au-delà de 2003, plus de 7 milliards de dollars. Les investissements américains dans ce domaine atteindraient 1,4 milliard de dollars pour l’année en cours (2001) à travers les compagnies BP Amoco, Arco, Amerada Hess, lland E et AAC. Un accord (Trade and investment framework agreement – TIFA) devait être signé hier entre les parties algériennes et américaines. Cet accord ouvrirait la voie à d’autres accords sectoriels, et deviendrait la référence à laquelle seront subordonnés les accords de non-double imposition et de protection réciproque des investissements entre les deux pays.Sur un plan plus large, les Etats-Unis et l’Algérie qui, pour l’un est membre du G8 (Allemagne, Canada, Etats-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni et Russie) et l’autre est l’un des six interlocuteurs des pays du Sud (Algérie, Afrique du Sud, Nigeria, Mali, Bangladesh et Salvador), ont prévu, dans ce cadre, d’avoir un «échange de points de vue approfondi» à l’occasion de la prochaine réunion prévue en Italie. La sécurité dans le monde, avec le dossier du terrorisme, aurait eu sa part à l’occasion de cette visite. Au-delà des à-côtés, comme celui rapporté par l’AFP, selon lequel la Maison-Blanche a été partiellement évacuée jeudi matin, quelques heures avant l’arrivée sur place du président Bouteflika, à la suite d’une fausse alerte à la voiture piégée, ce sont les points de vue des deux parties sur cette question qui importent. La déclaration faite, jeudi dernier, par l’ambassadeur américain sortant en Israël, Martin Indyk, selon laquelle l’Iran «parraine le terrorisme» et que «les Iraniens ont échoué à répandre leur Révolution aux pays voisins du Golfe, en Algérie, en Egypte, bien qu’ils le tentent certainement» serait-elle à mettre dans le cadre de la «menace islamiste» à laquelle le département d’Etat semble accorder un intérêt particulier depuis que les attentats ont fortement ciblé des positions américaines un peu partout à travers le monde ?

————————————————-

Washington, entre la loi du business et la peur d’un nouvel anti-américanisme

Tout en optant pour l’approfondissement des relations économiques avec Alger, Washington ne ferme pas les yeux sur les questions démocratiques

Ahmed Kaci, La Tribune, samedi 14 juillet 2001

Que pourra-t-on retenir du voyage de Bouteflika aux Etats-Unis d’Amérique après sa rencontre en face-à-face avec Bush durant quatre-vingt minutes ? Que l’Amérique a choisi ses intérêts au détriment du respect de la démocratie et des droits de l’Homme comme le laissent supposer certains analystes, à l’instar de John Entelis, repris par le Los Angeles Times. Pour ce spécialiste du Moyen-Orient à l’université de Fordham, «on assiste avec Cheney comme vice-président à la fusion des intérêts économiques [business] et des intérêts politiques». John Entelis estime que «l’Algérie représente le plus édifiant exemple que les priorités de l’administration américaine sont les affaires et les échanges financiers et non la démocratie, les changements sociaux et les droits de l’Homme». Et pour cause, John Entelis semble appuyer son analyse sur l’influence qu’exerce le patron d’Halliburton sur les décisions du NSC (Conseil national de sécurité) où Dick Cheney est accrédité d’un activisme des plus débordants. Cette thèse ne résiste cependant pas à l’analyse des relations algéro-américaines pour d’autres spécialistes. Ces derniers ne prêtent pas trop d’importance au poids de Dick Cheney tant est que le processus de décision au sein du NSC prend en compte beaucoup de paramètres que ceux obéissant aux intérêts de quelques groupes pétroliers aussi puissants qu’ils paraissent. Les Etats-Unis, selon Mona Yacoubian, précédente conseillère au département d’Etat dont un article est cité par le New York Times, doute fort que Bouteflika puisse aujourd’hui se targuer d’avoir le soutien des Etats-Unis alors que les critiques des organisations des droits de l’Homme et les pressions de la diaspora algérienne prennent de plus en plus l’effet d’une condamnation sans équivoque. Aux yeux de cette spécialiste, si le gouvernement américain a été obligé par le passé de soutenir le régime algérien face au chaos islamiste, aujourd’hui la nouvelle donne plaide pour pousser fermement le pouvoir algérien à plus de respect pour les droits de l’Homme et le changement, en plus des réformes économiques. La déclaration faite par Bouteflika à la presse américaine que «l’Algérie va devenir un Etat de droit» laisse penser que les discussions qu’il a eues avec Walker Junior Bush ne se sont pas arrêtées aux seules questions de business. L’administration américaine a été destinataire de nombreux rapports sur les atteintes aux droits de l’Homme et sur la carence démocratique du régime d’Alger de nombreuses sources : de l’opposition algérienne comme Hocine Aït Ahmed qui avait rencontré des responsables du département d’Etat, de Crisis Group dont les rapports sont pris au sérieux par le département d’Etat mais surtout des partenaires américains au sein de l’Union européenne, etc. Et il n’est pas du tout évident que l’administration américaine prenne des risques en restant sourde à la détérioration de la situation en Algérie. Une telle position comporte le risque de se mettre à dos les organisations des droits de l’Homme aux Etats-Unis et dans le monde et le danger de ressusciter le sentiment anti-américain, tête de pont de l’impérialisme mondial. D’autant que l’on assiste depuis quelques années à une résurgence inattendue des organisations, notamment de gauche, sous le mot d’ordre de l’anti-mondialisation qui ne profite en dernière instance qu’à l’économie et aux entreprises américaines. Les dernières menaces contre les intérêts américains dans la région qui émaneraient de groupes fondamentalistes sont prises très au sérieux par les Etats-Unis.En somme, s’il est encore trop tôt de tirer les conclusions de la visite de Bouteflika aux Etats-Unis, les nombreux indices évoqués démontrent que la stratégie d’un pays est une chose très sérieuse pour qu’elle se laisse mener uniquement par la logique du business. L’histoire de la diplomatie américaine a maintes fois été prise au piège par d’inattendues situations que la prudence commande outre-Atlantique que toutes les cartes soient intégrées dans le jeu au gré de la conjoncture pour ne pas être débordée.

——————————————–

La presse américaine «couvre» la visite du Président

Intérêts économiques et droits de l’Homme à l’ordre du jour

 

Karimene Toubbiya, La Tribune, 14 juillet 2001

La presse américaine a rendu compte de la visite officielle du président Bouteflika aux Etats-Unis, sur un ton volontiers critique. Les journaux américains ont fait part de deux entrevues, l’une avec le président Bush et l’autre avec le vice-président Dick Cheney. Dick Cheney, responsable d’une importante compagnie pétrolière Halliburton Co. est donc également concerné à ce titre. D’après un porte-parole de la Maison-Blanche, «le président américain a pressé son homologue algérien d’aller de l’avant en opérant les réformes économiques et politiques qui s’imposent. Le président algérien a assuré être engagé dans ces réformes et a souligné que le déficit budgétaire a été réduit, que l’inflation a chuté et que la balance des échanges est stabilisée». D’après le Los Angeles Times, «les deux chefs d’Etat ont exprimé le désir commun de voir l’investissement américain en Algérie dépasser les 4 billions de dollars investis actuellement». Toujours dans le Los Angeles Times, Bush a insisté sur «les progrès à faire dans le domaine des droits de l’Homme et la nécessité de réformes politiques». Les conflits en cours au Moyen-Orient et la question du Sahara occidental ont également été abordés. Bouteflika a confié à la presse américaine que «la question du terrorisme et de l’impact négatif qu’il pourrait avoir sur les intérêts américains en Algérie a été débattue».Les journaux américains ont rapporté que durant le temps de l’entrevue et également lorsque le président répondait aux questions des journalistes américains, «des contestataires étaient campés devant la porte de la Maison-Blanche huant et sifflant Bouteflika». «Les Algériens, en général, n’ont aucune confiance en leur Président», explique le Los Angeles Times.Le New York Times, après avoir rappelé que cette visite est la première qu’effectue un leader algérien depuis 16 ans aux Etats-Unis, en resitue le contexte marqué par des marches ralliant «plus d’un million de protestataires, le mois dernier». La répression des marches et l’interdiction de la protestation sont également narrées. «L’arrivée du chef de l’Etat algérien qui paraît donner plus d’importance aux investissements qu’aux droits de l’Homme est critiquée par les groupes défenseurs des droits de l’Homme et les spécialistes de la question», rappelle le New York Times. Mona Yacoubian, ex-spécialiste de l’Algérie auprès du Département d’Etat, écrit : «Cette visite va permettre au président Bouteflika de se féliciter du soutien des Etats-Unis alors que c’est le message contraire qui devrait être donné.» «Dans le passé, Washington a été obligé de soutenir, à son corps défendant, le régime algérien car la seule alternative réaliste au chaos étaient les réformes islamistes», continue-t-elle dans un article adressé à un institut spécialiste du Proche-Orient. Une étude sérieuse sur l’Algérie a été faite par le Washington Times du 8 juillet reprenant l’Histoire de l’Algérie et tous ses derniers développements. La situation en Kabylie et dans l’Est y est examinée dans les moindres détails. Des spécialistes tels que Daho Djerbal, Saïd Chikhi et des journalistes algériens sont cités pour leurs écrits et recherches.Un journal économique américain, The Oil Daily, estime, lui, que «la situation en Algérie menace de devenir très embrouillée durant les mois à venir».

 

 

 

 

  Version imprimable  
AccueilAWViolations des droits humainsArticlesAnalyse & OpinionGalerieLiensRecherchewww.algeria-watch.org