Betchine poussé vers la sortie en Algérie

Betchine poussé vers la sortie en Algérie

La démission du conseiller de Zeroual s’inscrit dans les luttes au sommet du pouvoir.

José Garçon, Libération, mardi 20 octobre 1998

Féroce, la lutte se sera étalée pendant cinq mois dans les colonnes de la presse privée algérienne avant de connaître, hier soir, son épilogue (provisoire?). On apprenait en effet «de source officielle» lundi, la démission de Mohamed Betchine, Le conseiller et de son poste de ministre-conseiller à la présidence. ami du président Depuis juin, cet ancien chef de la Sécurité Zeroual était militaire, ami personnel du chef de l’Etat Liamine surnommé «monsieur Zeroual et considéré comme l’un des 5 ou 6 hommes Import-Import» par forts du régime était la cible d’une campagne de la presse en raison presse d’une violence sans précédent. Celui-ci, s’y de son empire est vu reprocher pêle-mêle, son affairisme débridé, financier. son «clanisme» et même d’avoir été responsable de la torture lors des émeutes qui ont ébranlé tout le pays en octobre 1988. Si les activités économiques d’un Betchine, surnommé «monsieur Import-Import» par la presse dans une allusion à son empire financier, irritaient fortement des généraux qui n’apprécient pas la remise en cause du partage des chasses gardées commerciales, l’offensive menée contre lui avait aussi des motifs très politiques. Elle était motivée par l’élection présidentielle anticipée, initialement prévue en 2000. Dans cette perspective, la place prise par Betchine était particulièrement encombrante aux yeux du haut état-major militaire qui, dans cette affaire, a su être soutenu par le puissant chef de la Sécurité militaire, le général Mediene. Le conseiller du chef de l’Etat contrôle en effet le RND, le parti présidentiel créé sur mesure en 1995 pour l’élection de Zeroual, et, fort de ses anciens réseaux, s’était assuré de véritables «services» parallèles.

Les attaques menées contre Betchine visaient-elles seulement à empêcher son ascension, y compris à la magistrature suprême qu’on le soupçonnait de lorgner? Ou, ciblaient-elles aussi le chef de l’Etat qui, depuis son élection, a commis l’erreur impardonnable, dans un pays où le Président ne doit être que l’expression publique du (fragile) équilibre des «décideurs», de prétendre devenir un chef à part entière? A plusieurs reprises en effet, Zeroual avait répondu à ceux qui, au sein de la haute hiérarchie militaire, lui demandait le départ de son conseiller, que celui-ci «équivaudrait au sien». Une chose est sûre: c’est à l’issue du premier round de cette campagne de presse que, le 11 septembre, Zeroual a annoncé sa décision d’écourter son mandat de deux ans et la tenue d’une élection présidentielle anticipée en février. Ce jet de l’éponge du chef de l’Etat n’aura pas suffi à calmer le jeu. Loin de là.

Après quinze jours d’accalmie, la campagne contre le clan présidentiel en général, et Betchine en particulier, a repris. Au passage, elle aura mis à nu un fonctionnement du système dont la dénonciation aurait été rejetée avec mépris par Alger si elle avait été le fait de l’opposition ou des organisations humanitaires. Mohamed Adami, le ministre de la Justice proche de la présidence – qui a démissionné dimanche, vingt-quatre heures avant Betchine – s’est vu ainsi reprocher pêle-mêle, dans le quotidien El Watan, par un «groupe de magistrats anonymes», des moeurs «dissolues» et d’avoir ordonné un transfert de prisonniers au cours duquel 32 détenus seraient morts étouffés en juin 1997.

Cette relance des hostilités visait-elle à empêcher toute velléité réelle ou supposée de la présidence de jouer un rôle dans l’organisation de la future élection présidentielle et de mettre des bâtons dans les roues d’un commandement militaire dont le moins que l’on puisse dire est qu’il n’a, jusqu’ici, pas trouvé d’accord sur le successeur de Zeroual? La volonté de Betchine de ne pas «lâcher» le RND a-t-elle relancé cette guerre au sommet? La démission du conseiller et ami du chef de l’Etat en marque en tout cas une nouvelle étape. Sans qu’il soit possible pour l’instant de savoir si Betchine a finalement accepté, garanties à la clé, de se soumettre ou si son départ vise au contraire à le libérer de son «obligation de réserve» pour mieux mobiliser ses réseaux. Il n’ignore pas en tout cas qu’il pourrait faire figure de bouc émissaire pour un système qui a bien besoin, après le torrent de boue déversé ces dernières semaines de montrer qu’il entend nettoyer la maison.

 

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