l’Affaire Abane Ramdane

L’Affaire Abane Ramdane

Extraits du livre de: Ali Kafi, et réactions de Ben Khedda

Moudhakirat Er-raïs Ali Kafi
min al-mounadil as-siyassi ila al-qaïd al-askari
1946-1962

« Mémoires du Président Ali Kafi,
du militant politique au dirigeant militaire
1946-1962″
P.121-123
Ed. Dar El Casabah

Ces extraits ont été traduits par Malik Talbi

ABANE ET LA DOUBLE STRATÉGIE DE DOMINER LA RÉVOLUTION

Abane n’avait ni une orientation de gauche ni des ambitions
idéologiques, sinon celle d’étendre son pouvoir sur la révolution et
d’arracher ses leviers de commande à la délégation extérieure ; ce qui
s’est avéré dans les résolutions du congrès de la Soummam concernant
[la primauté de] l’intérieur sur l’exterieur et du politique sur le
militaire, lui même s’étant compté parmi les politiques. C’est
pourquoi [les membres de] la délégation exterieure devinrent de
simples chargés de mission. Par ailleurs il eut recours aux groupes
qui ne croyaient même pas à la révolution comme Ferhat Abbas et le
Cheikh Abbas fils du Cheikh El Houssein.

Il faut faire la distinction entre d’une part notre lecture actuelle
de l’histoire et la reconstruction des faits tels quels [avec du
recul] et d’autre part ce qui était vécu à l’époque. Je ne pense pas
qu’il y avait alors quelqu’un qui soupçonnait Abane Ramdane de quoi
que ce soit. C’était déjà un militant du PPA. En revanche Abane
avait ses propres calculs. C’est pourquoi d’ailleurs il vint [au
congrès] avec Larbi BenM’hidi. Mais après une année du congrès, nous
avons entendu une autre version des dirigeants de la révolution.
Amirouche, Krim Belkacem et Ben Tobbal insistaient sur l’existence de
liens entre Abane et la France et l’ont accusé d’entretenir à leur
insu des liens avec l’ennemi. On a su alors qu’il était condamné à
mort par la révolution.

Le procès verbal de réunion qui s’est tenue entre moi et Amirouche et
qui existe encore avait été rédigé par Lamine Khan, et la position
d’Amirouche sur Abane y est claire. Le Moujahid Salah Zaamoum me
disait à notre retour de Tunisie vers l’Algérie qu’Abane a été
executé. Je lui répondais que je l’avais laissé à Tunis et je lui ai
demandé d’oublier ce qu’il disait car c’était faux. Mais ce qui se
disait lors de la réunion à Tunis est qu’Abane a été exécuté par
Mahmoud Cherif et Abd Allah Ben Tobbal. La lutte était intérieure au
CCE et ne nous intéressait pas vraiment.

Amirouche dit qu’Abane voulait créer une polémique à l’intérieur de la
Wilaya III et qu’il avait des relations avec un membre de la direction
de celle-ci qui s’est rendu au colonisateur français. Pour clarifier
[Kafi qui parle], des informations sures lui sont parvenues concernant
l’existence de lien d’un membre du CCE avec l’ennemi et il rajoute
: »J’en ai été convaincu lorsque Salah Zaamoum m’a dit cela »[1].
Amirouche a clairement accusé Abane dans ce procès verbal.

ABANE ET LE TEMOIGNAGE DE LA CONDAMNATION

L’information officielle traitant de la mort d’Abane disait qu’il
était tombé dans le champ d’honneur alors qu’il était à la tête d’une
armée qui se dirigeait vers le Nord-Constantinois et qu’il est rentré
dans un accrochage avec l’ennemi. Mais en réalité, ces accrochages
n’eurent jamais lieu. J’avais informé les dirigeants de ma Wilaya de
la mort d’Abane, qui travaillait pour son propre compte.

Je me rappelle qu’il était venu demander mon aide. Et après qu’il
avait loué mes mérites, il avait tenté de me tirer de son côté
concernant ses différents avec Krim et Ben Tobbal mais j’étais resté
neutre. Quant à ce qui se disait sur Abane , à savoir qu’il était « au
seuil de la trahison », pour ce qui est de sa condamnation à mort, ceux
que j’ai rencontrés parmi les dirigeants de la révolution niaient
cela. Tout ce qu’ils m’ont attesté est qu’il y avait des contacts
entre Abane et l’ennemi.

Abane avait des contacts secrets avec l’ennemi qu’il n’avait pas
divulgués à ses collègues dans la direction jusqu’à ce qu’ils les
aient découverts par leurs efforts et leurs propres moyens. Et c’est
là où les soupçons l’ont entourés. Ceci poussa ses collègues à le
persuader d’aller avec eux au Maroc sous prétexte de rencontrer le roi
Mohammed V. Là il fut jugé et exécuté.

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[1] Par « lui » et « il rajoute », Kafi fait clairement référence à
Amirouche. Or comme Kafi semble s’appuyer sur le Procès Verbal qu’il
cite en Annexe et que vous trouverez ci-joint, il a l’air de confondre
entre les propos d’Amirouche qui ne fait que rapporter et la
déclaration du Dr Si Mohammed arrêté pour complot
contre-révolutionnaire.

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P.402-403

Procès Verbal de Réunion

Réunion du 27/11/1958 entre les Sagh-Ethani Si Ali Kafi et Si
Amirouche en présence de Kh. Lamine.

Ordre du jour:

1) Situation de l’extérieur : Cas Abbane et …

[…]

Cas Abbane:

– Présentation du cas Abbane par le Sagh-Ethani Si Amirouche:

a) – Le Sagh-Aouel Si Salah membre de la Wilaya n°4 de retour de
Tunisie, lors de son passage dans la Wilaya n°3 rapporte que le frère
Abbane Ramdane aurait été éxécuté affirmant à l’appui de ses doutes
qu’il aurait reçu en réponse à une lettre écrite par lui au
Sagh-Ethani Ouamrane une lettre de ce dernier dans laquelle il lui
était dit que « dans l’interêt national il est trop tard pour faire
quelque chose pour Abbane ».

b) – A l’annonce de la mort de Abbane des responsables de la Wilaya
faisant en cela crédit à la propagande ennemie, posent des questions
sur les circonstances de cette mort.

c) – Déclarations du Dr Si Mohammed résponsable du Service Sanitaire
de la Wilaya n°3 arrêté pour complot contre-révolutionnaire : « On m’a
dit qu’on avait dans notre organisation un membre du CCE; je ne l’ai
cru qu’à la mort de Abbane. »

d) – L’attitude de Abbane nous a parue suspecte dès le 20 Août 1956
par le rôle de division qu’il a joué entre les résponsables de la
Wilaya n°3.

e) – Les membres du complot contre-révolutionnaire arrêtés en Wilaya
n°3 parraissent avoir été pour la plupart sinon tous des amis de
Abbane: exemple Benmerzoug Ahmed dit Abdellah chef de la zone n°2,
Wilaya n°3, qui rejoignit à Alger apès le congrès d’Août; et qui
actuellement est « Lieutenant-Colonel » dans les rangs ennemis qu’il
rallia en Juin 58.

Le Sagh-Ethani Si Ali Kafi:

a) – Si Sallah est rentré avec moi de Tunisie. À cette date, Abbane
était bien en vie.

b) – À l’époque de l’annonce de la mort de Abbane, de grands
accrochages s’étaient déroulés à la ligne Morice.

c) – Il est normal que nous soit inconnue la nature éxacte des
rapports des membres du CCE entre eux, mais il est vrai que Abbane
avait été l’objet de sanction à caractère d’une limitation déactivité.

d) – Récit des tentatives d’enlèvement par l’ennemi dont ont été
l’objet les frères Ben Tobbal et Krim à Tunis.

e) – On peut s’étonner de l’attitude du frère Si Salah pour le bruit
qu’il a répandu à son passage retour de Tunisie.

[…]

Signé : Amirouche & Kafi

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L’apport de Ramdane Abbane à la Révolution

43ème Anniversaire du Congrès de la Soummam

Benyoucef Ben Khedda La tribune/ Mercredi 18 Août 1999

Abbane Ramdane a toujours constitué une énigme dans notre histoire
nationale : plus particulièrement celle de la guerre de libération.
Cette particularité est due au caractère exceptionnel de cet homme qui
a su marquer la révolution. Elle est due aussi à la manière avec
laquelle les gardiens de la mémoire officielle ont orienté l’écriture
de cette page de notre histoire. Beaucoup de choses n’ont pas encore
été dites sur la période 1954-62; des zones d’ombre subsistent et
menacent à chaque fois cette mémoire officielle de s’écrouler. C’est
ainsi : les totems finissent toujours par tomber et le temps en est
le plus grand ennemi. Mais cette chute n’est pas sans danger si notre
histoire n’est pas assumée dans la sérénité et par le débat
démocratique. Sans préjugés ni a priori.L’affaire Abane, qui nous
hante depuis l’indépendance, a rejailli cette fois-ci à la faveur de
la publication des Mémoires de Ali Kafi. Les passages qu’il a
consacrés dans son livre à Abane Ramdane ont soulevé un tollé général
dont nous espérons qu’il se traduise en un débat fécond sur la guerre
de libération et les tragédies qui l’ont accompagnées. La réponse de
Benyoucef Benkhedda aux écrits de Kafi sont à ce titre fort louables
et permettent de mieux saisir la personnalité exceptionnelle de celui
qui fut l’un des grands stratèges de larévolution. La Tribune

Chaque année la date du 20 août vient nous rappeler l’un des
moments-charnières de notre guerre de libération: le Congrès de la
Soummam, c’est-à-dire les premières assises de la jeune révolution
algérienne, en 1956. Un tel événement-fondateur a imprimé à
l’histoire de notre lutte un tournant majeur par la plate-forme qui en
est issue et qui trace les contours de l’édifice institutionnel de la
Révolution. On y retrouve, explicités, les trois éléments clés qui
identifient la nature du mouvement de libération et sous-tendent sa
cohérence idéologique et politique : une légitimité révolutionnaire
articulée sur un programme et une stratégie structurée; un statut
organique définissant les rouages de la Révolution et leur mode de
fonctionnement; une direction unique et homogène.Le nom du Congrès de
la Soummam reste intimement lié à celui d’un personnage d’une trempe
peu commune: Ramdane Abbane. Homme de conviction et de caractère, il
a été l’un des principaux promoteurs de l’idée de ce Congrès, comme il
a été à la fois l’inspirateur avisé de ses orientations et l’artisan
déterminé de sa préparation et de son succès.

Un homme de passion

Tout autant, le souvenir de Abbane demeure également associé à une
autre ‘uvre maîtresse pour la réussite de laquelle il s’est dépensé
avec passion: la promotion de la Zone autonome d’Alger -la fameuse
ZAA- en un fer de lance d’une redoutable efficacité. C’est sous ses
auspices, en effet, que l’organisation FLN/ALN d’Alger a pris un essor
fulgurant. Si elle s’est transformée en vitrine éloquente de la
Révolution en marche, l’élan incisif qu’il a su lui communiquer y est
certainement pour beaucoup.Abbane n’avait de cesse de hisser Alger au
rang de capitale de l’Algérie en armes. Avec l’installation en
septembre 1956 de l’Exécutif suprême du FLN dans cette agglomération,
il trouva en Ben M’hidi le compagnon idéal qui nourrissait des
ambitions identiques. Ensemble désormais, ils s’acharneront à mettre
Alger au diapason d’une ville symbole d’une fière citadelle où se
développait dans le vacarme des bombes, l’expérience inédite des
maquis urbains. Le triumvirat que nous formions alors avait reçu du
CCE mandat de superviser l’organisation algéroise. A leurs côtés, et
tout en y contribuant de mon mieux, j’ai pu apprécier combien leur
rôle avait été déterminant pour insuffler une âme au combat de la ZAA.
En améliorant et en renforçant les capacités de ses deux branches,
politique et militaire, en l’impliquant chaque jour davantage dans une
confrontation exacerbée avec l’ennemi, ils ont permis à la Zone
autonome de conquérir ses lettres de noblesse. En peu de temps, ils
ont réussi à faire de cet appareil révolutionnaire de premier ordre,
un outil offensif doté d’une force d’impact considérable. Les deux
chapitres qui suivent, consacrés successivement au Congrès de la
Soummam et à la Zone autonome d’Alger, font partie d’un livre en
chantier devant paraître prochainement (plaise à Dieu). Je profite de
l’occasion du 20 août pour en livrer la première mouture et apporter
ensuite mon témoignage sur le personnage Abbane, l’un des plus grands
acteurs de l’histoire du mouvement national. Un événement ne saurait
être saisi et compris que s’il est replacé dans son contexte
historique . a) Le contexte historique En Algérie: On sait que
l’insurrection algérienne a été déclenchée par les éléments du CRUA
(Comité révolutionnaire pour l’unité et l’action), tous issus de l’OS
(Organisation Spéciale) branche armée du PPA-MTLD, à la suite de
l’éclatement de la direction de ce parti en deux factions: Comité
central et Messali.La direction du Mouvement national révolutionnaire
assurée jusque-là par le Comité central du PPA-MTLD passe alors aux
«6» du CRUA qui sort au grand jour le 1er Novembre 1954 sous le sigle
du FLN (Front de libération nationale).Le partage des responsabilités
entre les «6» , après la réunion du 23 octobre 1954 à Bologhine
(ex-Saint-Eugène), s’était fait ainsi :Zone 1, Aurès-Némencha,
Mustapha Ben Boulaïd,Zone 2, Nord-constantinois, Mourad Didouche,Zone
3, Kabylie, Belkacem Krim,Zone 4, Algérois, Rabah Bitat,Zone 5,
Oranie, Mohammed-Larbi Ben M’hidi. (Les zones seront remplacées par
les wilayate après le Congrès de la Soummam).Boudiaf, quant à lui,
désigné «coordonnateur» par ses pairs, s’envole pour Le Caire porteur
de la Proclamation du 1er Novembre 1954 qui sera lue sur les ondes de
Sawt-El-Arab, la Radio du Caire, dans la nuit du 31 octobre au 1er
Novembre 1954. Ben Bella, Aït Ahmed et Khider, établis déjà depuis
deux ou trois ans dans la capitale égyptienne où ils représentaient la
délégation extérieure du PPA-MTLD avaient entre-temps opté pour le
CRUA et avec les «6» ils constituaient à «9» la première direction du
FLN.Avant de se séparer à Bologhine, les «6» s’étaient donné
rendez-vous à la mi-janvier 1955, semble-t-il, pour une évaluation de
la situation ; les événements surgis de la guerre ne leur permirent
pas de se rencontrer.Didouche meurt le 12 janvier 1955 dans un combat
face à l’ennemi. Ben Boulaïd est arrêté le 12 février 1955 à la
frontière tuniso-libyenne, alors qu’il se rendait au Caire pour hâter
l’entrée des armes promises.Boudiaf et Ben M’hidi se déplacent entre
le Maroc et l’Egypte en vue de prospecter le marché des armes et
organiser leur envoi en Algérie.Abbane, libéré en janvier 1955 après 5
ans de détention, regagne son village natal de Azzouza en Kabylie.
Là, il est contacté par Krim et Ouamrane.Bitat est arrêté le 23 mars
1955. Ouamrane prend la relève à la tête de la zone IV et confie, en
accord avec Krim, la responsabilité d’Alger à Abbane.Une «direction»
de fait s’impose avec Abbane, qui en devient l’âme, Krim, chef de la
zone de la Kabylie et Ouamrane, chef de l’Algérois ; Ben Khedda est
l’un des assistants de Abbane au début de 1956.Abbane impulse à cette
direction un souffle nouveau ; elle devient la véritable direction
nationale de l’Algérie, un centre de coordination entre les chefs de
l’intérieur et entre ces derniers et ceux de l’extérieur.

Une mobilisation considérable

Abbane la transforme en plaque tournante du FLN, vitrine de la lutte
pour l’indépendance. Par les tracts qu’il rédige, il lance des mots
d’ordre et des proclamations qui ont des répercussions au-delà des
frontières. Sa devise était : «La libération de l’Algérie sera
l’oeuvre de tous les Algériens, et non pas celle d’une fraction du
peuple algérien quelle que soit son importance.» Autour de lui se
forme une équipe qui réalise un travail de mobilisation et de
propagande considérable aussi bien en direction de la population
musulmane qu’envers les libéraux et les progressistes de la population
européenne.Vis-à-vis de la population musulmane, il déclenche une
dynamique d’union nationale qui se solde entre l’automne 1955 et le
printemps 1956 par l’adhésion au FLN des membres du Comité central du
PPA-MTLD et de leurs partisans (les «centralistes») , de l’UDMA de
Ferhat Abbas, de l’Association des Ulémas de Bachir Brahimi, ce qui
élargit les assises du Front, son champ d’intervention et isole les
messalistes avant de les marginaliser totalement sur le territoire
national ; cependant, ils restaient majoritaires en France où une
lutte sanglante et meurtrière était engagée entre leur parti : le MNA
et le FLN ; l’enjeu en est l’émigration algérienne forte de 300 000
âmes, d’où ils envoient fonds et instructions à leurs maquis encore
actifs à Alger-ville, en Kabylie et dans le Sud du pays. Le PCA
(Parti communiste algérien) a éclaté à cause de sa composition mixte
formée d’Européens et d’Algériens et de sa sujétion au PCF (Parti
communiste français) allié au parti socialiste de la SFIO de Guy
Mollet au sein du Front républicain qui accédera au gouvernement en
mars 1956.Alger servira de base logistique non seulement à l’Algérois
et à la Kabylie toute proche, mais à toute l’Algérie : médicaments,
argent, effets militaires y sont collectés et acheminés dans toutes
les régions sans distinction.On assiste alors à une accélération de
l’intégration des catégories socioprofessionnelles : juillet 1955,
création de l’UGEMA, 24 février 1956, création de l’UGTA qui vient
remplir le vide laissé par la CGT (Confédération générale des
travailleurs) d’obédience CGT française, l’UGCA (Union générale des
commerçants), 19 mai 1956, appel à la grève des étudiants lancée par
l’UGEMA qui mobilise la jeunesse des lycées et de l’université
contribuant ainsi à enrichir le maquis.Les étudiants et les quelques
intellectuels qui avaient adhéré au Front posaient déjà des questions
d’ordre idéologique : nature de l’Etat algérien indépendant, réforme
agraire, problèmes sociaux et économiques, stratégie de la guerre,
etc.En dehors des tracts et des communiqués paraissant
occasionnellement, le FLN ne disposait pas encore d’un journal pour
propager ses idées, s’affirmer sur le plan public, faire connaître son
point de vue sur les événements, relater les exploits de l’ALN,
dénoncer les massacres et les tortures de la police et de l’armée
françaises.Abbane créa d’abord une commission dont le résultat se
traduira par l’élaboration du «Projet de la Plate-forme de la
Soummam».En juin 1956, paraît El Moujahid, organe central du FLN,
entièrement composé, tiré et diffusé par des militants d’Alger. Il
sera diffusé non seulement en Algérie, mais parmi l’émigration
algérienne en France, en Tunisie, au Maroc et au Caire. Il fera
connaître les positions officielles du FLN dont il augmentera
considérablement l’audience.Vient s’ajouter à cette dimension
médiatique, Kassamene, l’hymne du grand poète nationaliste Moufdi
Zakaria, qui va galvaniser les moudjahidine et le peuple dans le
combat pour l’indépendance.A Alger commencent à défiler alors les
journalistes internationaux pour leur reportage aussi bien en ville
que dans les maquis.Parallèlement, se poursuivait, grâce à un noyau de
militants d’Alger l’encadrement de la population, dans une structure
spécifique : la Zone autonome d’Alger avec ses deux volets :
politique et militaire. Mais l’obstacle majeur dans la lutte pour
l’indépendance demeure la minorité européenne forte d’un million
d’habitants sur les 10 que comptait alors le pays , ce qui avait fait
de l’Algérie une colonie de peuplement « l’Algérie française » dont
ils détenaient les rênes du pouvoir. La Révolution grandissante
inquiète ce bloc raciste et colonialiste qui commence à se fissurer.
Des individus et des groupuscules appartenant aux trois confessions
catholique, protestante et juive (catholique surtout), émus par les
massacres de civils musulmans, prennent position contre la répression.
Cependant, la grande majorité reste fidèle à l’armée et au
gouvernement de Paris.En FranceEn France, l’Algérie est devenue la
première préoccupation du gouvernement et de l’opinion publique.En
mars 1956, le Front républicain socialo-communiste a remporté les
élections législatives et Guy Mollet, chef de la SFIO, est porté au
pouvoir. Grâce aux «pouvoirs spéciaux» votés par la nouvelle
Assemblée, le gouvernement de gauche augmente le potentiel répressif
de son armée. De 200 000 hommes en 1956, l’effectif de cette dernière
va être doublé et porté à 400 000. En même temps, Guy Mollet lance
son triptyque : cessez-le-feu, élections, négociations. Son idée
était d’obtenir la reddition de l’ALN. Après quoi, il organiserait
des élections en vue de dégager des «élus» avec lesquels il
«négocierait». Un moyen d’imposer une solution militaire. Pour le
FLN, il n’y avait pas d’autres perspectives que la guerre.Les maquis
avaient fini par faire leur jonction. Cependant des conflits
frontaliers éclataient à l’exemple de celui de la zone II s’opposant à
la base de l’Est pour le contrôle de la bande frontalière de
Tunisie.Dépassements, encadrement déficient, structures différentes
d’une zone à l’autre caractérisaient l’ALN. Son extension dépendait
étroitement de l’armement et les promesses faites de l’extérieur ne se
réalisaient pas. C’est en se rendant au Caire que Ben Boulaïd fut
arrêté à la frontière tuniso-libyenne, et c’est pour armer les
djounoud que Zighoud Youcef lança sa fameuse opération du 20 août
1955.A l’ONU, lors de la session de 1955, les délégués arabes ont
tenté d’inscrire la «Question algérienne» à l’ordre du jour. Elle fut
rejetée par la majorité acquise à la France et ses alliés.L’attitude
des gouvernements arabes, bien que favorable à l’Algérie,
particulièrement de celui de l’Egypte, est sujette à des fluctuations
sous la pression de la France qui monnaie son aide économique et
financière. Le porte-parole du FLN à la radio Sawt el Arab
Abderrahmane Kiouane, libre jusque-là dans ses interventions, est
censuré. Le danger est grand de voir la Révolution algérienne
instrumentalisée par Djamel Abd-Ennasser qui jouit d’un immense
prestige auprès des masses arabes du Golfe à l’Atlantique et dont il
ambitionne le leadership.Le colonel Fethi Dhib, l’un des responsables
des services spéciaux du Raïs, man’uvre dans ses rapports avec les
membres de la délégation extérieure où il privilégie Ben Bella. Un
gros problème se posait à la direction du FLN partagée entre Alger et
Le Caire, celui des positions officielles sur telle ou telle question
pesant sur le cours de la Révolution: ainsi l’ouverture des
négociations qui pouvaient ébranler la cohésion politique du FLN et
semer la division, cette maladie mortelle des révolutions. Jusqu’ici,
l’identité de formation des dirigeants tous issus du même parti : le
PPA-MTLD, avait empêché l’éclatement. Mais le danger pouvait survenir
devant les initiatives de la France.

L’absence d’une direction nationale

Déjà des dissonances apparaissaient entre Abbane qui affirmait : «Pas
de négociations sans la reconnaissance préalable par la France de
l’indépendance algérienne», alors que de son côté Khider au Caire
parlait d’«Assemblée nationale constituante».La France ne se privait
pas d’exploiter ces contradictions. Et quand les journalistes
posaient aux officiels français la question des «négociations»,
ceux-ci répondaient invariablement «Avec qui?», se contentant de
parler de «fait national algérien», de «table ronde» destinée en
réalité à noyer le FLN dans un ensemble de partis sans
représentativité : MNA, PCA et autres formations et personnalités
musulmanes et européennes. S’il existait des commandements à
l’échelle zonale, si au Caire la délégation extérieure assurait avec
plus ou mois d’efficacité la représentation du FLN, par contre, il
n’existait pas une direction centrale coordonnant les activités du
FLN, politiques et militaires, nationales et internationales, obéie de
tous, constituant une autorité en mesure de se poser en interlocuteur
valable vis-à-vis de l’adversaire, porte-parole de la Révolution et du
peuple algérien.A un moment donné il fut question d’une direction de
«12» membres: 6 de l’intérieur (Ben Boulaïd, Zighoud, Krim, Bitat,
Abbane, Ouamrane) et 6 de l’extérieur (Ben M’hidi, Ben Bella, Aït
Ahmed, Khider, Debbaghine, Boudiaf).Un des sujets de discorde, qui ne
cessait de tendre les rapports entre Alger et Le Caire, c’était les
éléments envoyés d’Alger pour représenter le FLN sur la scène
internationale et qui étaient contestés par ceux du Caire :
Debbaghine, Ferhat Abbas, Kiouane, Tewfik El Madani.Cependant, dans
chacune de ces lettres au Caire, Abbane revient à la charge sur la
question des armes où il parle de «carence». C’est pour tenter de
régler tous ces problèmes politiques, militaires et autres et désigner
la direction officielle du FLN absente de la scène politique depuis 2
ans qu’Abbane finit par prendre l’initiative de s’adresser aux chefs
de maquis en vue d’une rencontre. Il avait déjà l’accord de Krim
(Kabylie), Ouamrane (Algérois); il n’arrive pas à joindre Ben Boulaïd,
évadé de la prison de Constantine depuis novembre 1955 et dont il
était sans nouvelles. A Youcef Zighoud (Nord Constantinois) il
délègue Saâd Dahlab pour en savoir davantage ; et c’est ainsi que le
futur négociateur d’Evian inaugure son activité «diplomatique» au FLN.
Concernant la réunion des chefs du FLN, il y avait identité de vue
entre Zighoud et Abbane. Les éléments qui étaient à l’extérieur sont
également touchés par ce dernier: Aït Ahmed, Ben Bella, Ben M’hidi,
Boudiaf. Seul Ben M’hidi qui avait déjà pris la décision de rentrer
le fera et sera à Alger en mai 1956. On ne connaît pas exactement les
motifs pour lesquels les autres membres qui étaient à l’extérieur
n’ont pas suivi l’exemple de Ben M’hidi. b) Les décisions du Congrès

CNRA et CCE

Le Congrès se réunit à Ifri-Ighzer Amokrane, sur la rive gauche de la
Soummam, à quelques kilomètres d’Akbou, le 20 août 1956. Le
procès-verbal de la première séance donne la liste des présents. «Les
membres présents étaient :- BEN M’HIDI, représentant de l’Oranie
(président de Séance),- ABBANE, représentant le FLN (secrétaire de
séance),- OUAMRANE, représentant de l’Algérois,- KRIM, représentant de
la Kabylie,- ZIROUd, représentant du Nord constantinois,- BENTOBBAL,
adjoint de Zirout.Membres absents :- BEN BOULAID, représentant des
Aurès-Nemenchas,- SI CHERIF, représentant du Sud (excusé après avoir
adressé son rapport à la réunion).» 1Comme on le voit, le Congrès se
réduit à six membres. En dehors des séances, chacun se retrouvait
avec d’autres éléments de sa zone : Ali Kafi, Mostefa Ben Aouda et
Brahim Mezhoudi avec Zighoud et Ben Tobbal ; Saïd Mohammedi et Aït
Hamouda Amirouche avec Krim (zone III) ; Déhilès, Si M’hammed
Bouguerra et Ali Mellah (Si Chérif) avec Ouamrane (zone IV). Chaque
chef de zone présenta un état de la situation : effectif des
moudjahidine, armement état d’esprit des combattants et de la
population.Le Congrès procéda à la désignation des organes de
direction de la Révolution : -CNRA (Conseil national de la Révolution
algérienne) et – CCE (Comité de coordination et d’exécution). Le
CNRA, direction suprême, joue le rôle de parlement du FLN : Assemblée
législative, symbole de la souveraineté nationale, elle prend les
décisions d’orientation politique, militaire, économique et sociale.
Elle désigne l’exécutif: le CCE. Le CNRA engage des négociations
avec l’adversaire, se prononce sur la guerre et la paix. Le CNRA
désigné par le Congrès de la Soummam se composait de 34 membres: 17
titulaires et 17 suppléants (voir tableau ci-dessous).Le problème
crucial de l’armement revenait sans cesse dans les débats et le bilan
de la délégation extérieure fut jugé négatif. Le Congrès se résolut à
la seule décision révolutionnaire : prendre les armes là où elles
étaient, c’est-à-dire chez l’ennemi.Des décisions importantes furent
prises concernant l’ALN: limites territoriales des wilayate,
hiérarchisation, organisation en unités depuis le demi-groupe composé
de 4 combattants dirigés par un caporal jusqu’au bataillon qui compte
350 combattants dirigés par le colonel de la wilaya.En vue d’humaniser
la guerre, furent strictement interdits l’égorgement, l’exécution des
prisonniers de guerre, la mutilation des cadavres. Deux principes
fondamentaux furent votés : primauté du politique sur le militaire et
primauté de l’intérieur sur l’extérieur.

La plate-forme de la Soummam

La plate-forme de la Soummam analyse la situation politique 20 mois
après le déclenchement de l’insurrection, fixe les objectifs à
atteindre et les moyens d’y parvenir. En outre, elle pose le problème
des négociations et les conditions de cessez-le-feu qui serviront de
base, cinq ans plus tard, aux négociateurs d’Evian :II) Cessez-le-feuC
o n d i t i o n s :a) politiques :1°) – Reconnaissance de la nation
algérienne indivisible.Cette clause est destinée à faire disparaître
la fiction colonialiste de «l’Algérie française». 2°) –
Reconnaissance de l’Indépendance de l’Algérie et de sa souveraineté
dans tous les domaines, jusque et y compris la défense nationale et la
diplomatie.3- Libération de tous les Algériens et Algériennes
emprisonnés, internés ou exilés en raison de leur activité patriotique
avant et après l’insurrection nationale du 1er Novembre 1954.4-
Reconnaissance du FLN comme seule organisation représentant le peuple
algérien et seule habilitée en vue de toute négociation. En
contre-partie le FLN est garant et responsable du cessez-le-feu au nom
du peuple algérien.b) militaires :Les conditions militaires seront
précisées ultérieurement.(Extrait de la Plate-forme du Congrès de la
Soummam.)Contre la propagande de la France qui accusait le FLN d’être
au service d’une puissance étrangère, la Plate-forme de la Soummam est
catégorique : «La Révolution algérienne est un combat patriotique
dont la base est incontestablement de caractère national, politique et
social. Elle n’est inféodée ni au Caire, ni à Londres, ni à Moscou,
ni à Washington». L’allusion au «Caire» déplut fortement à Fethi Dhib
et bien sûr à Abd-Ennasser qui voulait se faire passer pour le «tuteur
de la Révolution algérienne». Certes il n’y a pas eu de doctrine mais
un effort pour combler le vide idéologique et politique existant : ce
n’était qu’une plate-forme. Elle ne pouvait que fixer les objectifs
stratégiques de la guerre et les moyens d’y parvenir, notamment les
conditions du cessez-le-feu. Son mérite aura été d’avoir fourni aux
militants et aux cadres du FLN, à l’extérieur comme à l’intérieur, des
repères d’orientation clairs et précis pour la poursuite du combat.
Le principe de la nation algérienne, partie intégrante du Maghreb
arabe, fut solennellement rappelé.Vis-à-vis de la minorité européenne
le droit d’opter pour la nationalité algérienne fut reconnu à titre
individuel et sur demande de l’intéressé. Ce qui a honoré la
Révolution algérienne, c’est qu’il n’y a jamais eu de pogrom
anti-juif. Le boycott des commerçants juifs fomenté par des
provocateurs dès le début de la Révolution fut étouffé dans l’oeuf par
le FLN. Pas de profanation de synagogues, ni d’églises, ni de temples
protestants au cours des 7 années et demi de guerre, malgré la
participation active de la majorité d’entre eux à la répression. La
Plate-Forme de la Soummam a fait connaître au monde le visage d’une
Algérie luttant pour une cause juste, dépourvue de chauvinisme et de
haine raciale, ouverte à tous ses habitants, y compris aux
non-musulmans, tournée vers l’avenir.

Les insuffisances du Congrès

Il y a eu d’abord les absences : celle de la wilaya des
Aurès-Némencha et celle du chef de la base de l’Est, Amara Bouglez,
qui alimenteront l’opposition au Congrès. Boussouf, l’adjoint de Ben
M’hidi à la tête de la Wilaya V et qui en assurait l’intérim, reprocha
à Ben M’hidi d’avoir engagé la wilaya sur des questions impliquant
l’avenir du pays, alors qu’il aurait été délégué uniquement pour «des
questions d’ordre organique et de coordination».Ben Bella contestera
la présence de «certaines personnalités» au CNRA («centralistes»,
UDMA, les Ulémas), la primauté de l’intérieur sur l’extérieur et la
primauté du politique sur le militaire. Cet avis fut partagé par
d’autres membres de la délégation extérieure. L’évaluation précise de
la situation militaire n’a pas été faite. L’on se contenta de dresser
le bilan de chaque wilaya en armes, hommes, finances, sans étude de
l’ensemble des forces en présence, algériennes et françaises,
d’étudier le problème de la guérilla et son évolution. La grande
préoccupation des maquisards et du Congrès était de se procurer des
armes et d’étendre le conflit à tout le territoire. On était à la
veille d’une guerre d’extermination. L’élaboration d’une stratégie
militaire dans ces conditions était impossible ; les congressistes
n’avaient pas une vision claire des étapes à parcourir. On ne pouvait
exiger de ces maquisards poursuivis à mort par l’armada française et
la multitude de ses services de renseignements et d’espionnage
d’accomplir des prouesses. Leur mérite a été de se réunir en pleine
guerre, au milieu de mille dangers, et d’avoir fondé une légalité
révolutionnaire qui durera jusqu’à l’indépendance et qui servira par
la suite de fondement aux institutions de l’Etat algérien. Et le rôle
de Abbane a été là, il faut le reconnaître, prédominant. Le Congrès a
doté la Révolution d’une autorité nationale: le CNRA et d’un organe
suprême d’exécution: le CCE. Ce ne sont pas les congressistes de la
Soummam qui ont étudié et adopté le texte de la «Plate-forme de la
Soummam». Il en confièrent la tâche au CCE. Celui-ci lui consacra
plusieurs séances à Alger et procéda à sa publication le 1er novembre
1956 non sans avoir envoyé un exemplaire du procès-verbal à la
Délégation extérieure du FLN.L’éventualité du «gouvernement
provisoire» fut laissée à l’initiative du CCE.Lorsque le Congrès de la
Soummam définit à Alger le statut de «Zone autonome» il tient compte
de sa situation spécifique : zone du fait de son exiguïté
territoriale, wilaya à part entière de par son potentiel humain, la
qualité de ses cadres et les objectifs qui lui étaient assignés par la
Révolution. Sur 700 000 habitants que comptait le Grand-Alger, plus
de la moitié était d’origine algérienne embrigadées dans les
structures du FLN. La Casbah, à elle seule, comptait 80 000
habitants.

II La Zone autonome d’Alger

La ZAA a fonctionné comme telle. Aux yeux du CCE, de par son
importance stratégique sur l’échiquier national, de par la portée
psychologique nationale et internationale de ses interventions, de par
son rôle de caisse de résonance de la Révolution, elle était
considérée comme une wilaya, et même un peu plus, elle était la wilaya
du CCE lui-même.Jusqu’à début 1956, l’organisation FLN d’Alger était
structurée en réseaux politico-militaires qui, parfois, se
chevauchaient et se concurrençaient. Tous ces réseaux gravitaient
autour de Krim et surtout de Ouamrane et de Abbane, ce dernier secondé
par Ben Khedda.Parmi les plus importants de ces réseaux, citons :- les
réseaux Lakhdar Rebbah, Mohammed Ben Mokaddem et Rachid Amara, – le
réseau Hachemi Hammoud et Hachemi Touati,- le réseau Ahcène Laskri et
Ben Mohammed Hammada,- le réseau Ahmed Chaïb (Ahmed Loghrab), – le
réseau Cherif Debbih,- le réseau Arezki Bouzrina (Hdidouche) et Ahmed
Ghermoul, le réseau Mustapha Fettal et Belkacem Bouchafa.Toutes les
têtes de file de ces réseaux ont été des adjoints de Abbane. A partir
de mars-avril 1956, l’organisation d’Alger est restructurée en trois
régions ; les anciens réseaux étaient dissous et leurs membres
intégrés au sein de ces régions. L’opération de restructuration
confiée à Brahim Chergui à cette date durera jusqu’à août-septembre
1956.En septembre 1956, l’organisation algéroise du FLN prend la
nouvelle dénomination de «Zone autonome d’Alger», avec toutes les
prérogatives d’une wilaya.Siège du CCE, la ZAA est sous l’autorité
statutaire du CCE. Trois des membres de ce dernier en supervisent
désormais les activités : Abbane, Ben M’hidi et Ben Khedda.Sur le
plan organisationnel, la ZAA se composait de deux branches distinctes,
mais complémentaires : La branche militaire, dont le suivi des
activités est confié à Ben M’Hidi: formée de groupes et de commandos
de fidaïne, auxquels s’ajouteront à partir de l’été 1956 les «réseaux
bombes». La branche militaire a été dirigée successivement pa :
(Mustapha Fettal (octobre l 955-mars 1956), (Belkacem Bouchafa (avril
1956- août1956), (Yacef Saâdi (août1956- septembre 1957).Avant le
Congrès de la Soummam, la branche militaire activait sous l’autorité
directe d’Ouamrane, lequel était, de la sorte, le responsable
hiérarchique de Fettal, puis de Bouchafa.A la fin de 1956,
l’état-major de la branche militaire était constitué comme suit : –
Responsable : Yacef Saâdi ; Adjoint: Ali Amar (Ali La pointe)-
Région I: Abderrahmane Arbadji ; Adjoint: Hadj Othmane
(Kamel)-Région Il : Hammoud Ader,Adjoint : Ahcène Ghandriche,-
Région III : Omar Bencharif (Hadj Omar),Adjoint: Boualem
Benabderramane (Abaza).La branche politique, confiée à Brahim Chergui
était sous la supervision directe de Abbane et de Ben Khedda ; grosso
modo, elle couvrait trois types d’activités :Le travail
politico-idéologique: diffusion des mots d’ordre du FLN, de sa
littérature, de ses tracts ; encadrement psychologique des populations
afin de les rendre perméables à la «mystique du Nidham», c’est-à-dire
la toute-puissance de l’organisation en tant que symbole et autorité
morale du FLN, appuyée sur d’autres organisations à caractère social,
culturel, économique (UGTA, UGCA, UGEMA?).- Le travail
politico-administratif: encadrement «physique» de la population, sa
sensibilisation aux directives du FLN, mise en place des bases
minimales d’un contre-pouvoir et d’une contre-administration
permettant la symbiose permanente entre le peuple et l’organisation,
collecte de l’impôt patriotique, recensement des refuges, etc.,-
Enfin, une mission spéciale de renseignement et de police politique,
ce qui confère à la branche politique de la ZAA un caractère plutôt
politico-militaire que seulement politique, au sens traditionnel de ce
terme.La branche politique créée fin octobre 1956 par le CCE disposait
de ses propres groupes de fidaïne. On les appelait aussi «groupes
d’intervention» pour bien marquer la différence avec les «groupes
armés» qui, eux, relevaient de la branche militaire.A la veille de la
grève des huit jours (29 janvier – 5 février 1957), l’état-major de la
branche politique se composait comme suit :-Responsable: Brahim
Chergui-RégionI : Akli Ziane (Ouakli) ou encore Hachemi Hammoud (Si
Hocine), Adjoint :Sadek Keramane et Abderrahmane Naït Merzouk, –
Région II : Hachem Malek,Adjoints: Mahmoud Messaoudi et Toufik
Bensemane.-Région III : Bellouni Si El-Mahfoud, Adjoints: Rachid
Benrahmoune et Mohammed Sahraoui. Les membres des réseaux «bombes»,
une quarantaine, formaient les unités d’élite dans ce dispositif.Après
la grève des huit jours, les deux branches démantelées de la ZAA sont
reprises en main par Yacef qui deviendra, ainsi, seul chef de la zone.
Il rassemblera sous son autorité les deux branches et cela jusqu’à son
arrestation en septembre 1957. L’épopée de la première zone autonome
prendra fin, début octobre 1957, avec le dynamitage du réduit où
s’étaient barricadés Ali Amar et ses derniers compagnons. Construite
sur le modèle pyramidal, la ZAA était composée d’environ 12 000 hommes
répartis en 3 régions, chacune gérée par 2 branches : militaire et
politique.La branche militaire comportait 2 à 3 groupes par quartier,
hormis la Casbah avec ses 80 000 habitants qui, elle, servait de base
à une dizaine de groupes évoluant entre 40 et 50 éléments. C’était le
vivier où puisait constamment l’organisation pour le recrutement des
militants, des moudjahidine et des fidaïne. Ces derniers sans attache
à un groupe particulier, formaient une espèce de réserve d’une
cinquantaine d’hommes par région.Branche militaire et branche
politique formaient un outil qui, avec ses attentats quotidiens,
marquait une présence percutante où chaque action perpétrée à Alger
avait une portée décuplée par ses effets démoralisateurs sur la
population européenne : le moindre acte «terroriste» était fortement
médiatisé et les actions particulièrement dévastatrices sur le plan
psychologique et moral. On avait affaire à des militants instruits,
formés, issus pour la plupart des rangs du PPA-MTLD. C’était l’ALN de
la ville, différente de l’ALN de la montagne ou de la plaine. Le CCE
avait ouvert dans la guerre avec la France un front urbain, le seul
qui mobilisa dans la capitale une bonne douzaine de régiments de
l’ennemi et qui n’existe nulle part ailleurs dans le monde. La
présence du CCE, installé parmi la population musulmane, quelque part
à Alger (en réalité en plein quartier chic européen du Télemly) était
un gage de garantie et de confiance pour les combattants. Par leurs
actions individuelles et collectives dans un cadre strictement urbain,
les moudjahidine jetaient le discrédit sur les autorités et leur
crédibilité et révélaient l’impuissance de la France à maintenir
l’ordre en Algérie, fût-ce à sa porte, malgré une armée suréquipée et
plus nombreuse, provoquant chez la population européenne un syndrome
de l’isolement, la poussant à un repli sur elle-même, en vérité vers
son origine, en direction de la métropole. Telle fut la Zone autonome
d’Alger qui fit d’Alger dans les années 1956-1957 la capitale de
l’Algérie en guerre et où Abbane et son équipe jouèrent un rôle
déterminant.

III Le personnage de Ramdane Abbane

Comme tous les grands personnages de l’histoire, Abbane a eu ses
détracteurs, qualifié par eux, tantôt de «régionaliste», hostile à
«l’arabo-islamisme», tantôt d’«autoritariste», voire par certains
d’«agent de l’ennemi», de «traître» même. Avant de répondre à ces
accusations, disons un mot sur son itinéraire. Ayant obtenu son
baccalauréat en 1942 au Collège colonial de Blida (l’actuel lycée
Ibnou Rochd), Abbane trouva un emploi à Chelghoum El-Id (ex
Châteaudun-du-Rhumel) comme secrétaire de commune mixte. Il le
sacrifiera aussitôt pour s’engager résolument dans le PPA, le seul
parti à revendiquer l’indépendance. En 1950, chef de la wilaya d’Oran
et membre du Comité central du PPA-MTLD, il est arrêté pendant la
grande répression de l’OS, branche armée de ce dernier (le rôle du
chef de wilaya était de situer dans l’organisation politique les
éléments aptes à la lutte armée et de les verser à l’OS). Il est
transféré d’une prison à l’autre, en Algérie et en France, et libéré
après 5 ans de détention, en janvier 1955, souffrant d’un ulcère à
l’estomac consécutif à ses nombreuses grèves de la faim. Il a
beaucoup lu au cours de sa détention. Lorsque Krim et Ouamrane
viennent lui rendre visite à sa sortie de prison et lui exposer la
situation qu’ils vivaient, il est consterné par l’extrême faiblesse
des moyens de la Révolution et l’insuffisance des cadres maquisards
qui, malgré leur courage à toute épreuve et leur mépris de la mort
étaient marqués par l’illettrisme et l’analphabétisme, un sérieux
handicap pour mener la guerre et conduire des milliers d’hommes et de
femmes dans le chemin de l’indépendance. Mais cela ne le décourage
nullement et il se jette corps et âme dans la bataille, décidé à
offrir le meilleur de lui-même. D’où sa démarche d’ouvrir les portes
du FLN à tout Algérien désireux de servir la patrie et de rechercher
des militants formés et compétents qui manquaient cruellement à la
Révolution. Il s’était vu confier la responsabilité d’Alger-ville par
Krim et Ouamrane. Fidèle à sa politique d’union nationale, il fit
appel aux «centralistes» et aux éléments de l’UDMA et de l’Association
des Ulémas dont certains seront désignés par le Congrès de la Soummam
au CNRA. Il s’agit de la présence à cet organisme des «Centralistes»
(Aïssat, Dahlab, Ben Khedda, Yazid, Mehri, Louanchi, Temmam), des
éléments de l’UDMA (Abbas, Francis) et de l’association des Ulémas (
Tewfik el Madani et Brahim Mezhoudi).Dans une lettre au CCE, Ben Bella
écrit:«Ces décisions (celles générales du Congrès de la Soummam) ont
été en outre, assorties d’autres décisions consacrant la présence
d’éléments au sein des organismes dirigeants du Front, qui sont une
véritable aberration des principes les plus intangibles de notre
Révolution, et qui, si on y prend garde, finiraient, je pèse les mots,
à lui faire tordre une fois pour toutes le cou.» (Mohammed Harbi, Les
archives de la Révolution, page 168).Dans l’esprit de Abbane et des
congressistes de la Soummam, la présence de ces éléments est le reflet
de la société algérienne avec ses différentes composantes et
sensibilités qu’il s’agit de récupérer à travers les tendances qu’ils
représentent et de les engager résolument dans la guerre pour
l’indépendance.Le CNRA, c’est le parlement du FLN où la majorité des
membres, 30 sur 34, appartient à l’ex-PPA-MTLD, véritable Assemblée
législative qui définit l’orientation et la politique du FLN, la seule
autorité engageant les négociations avec l’adversaire et habilitée à
proclamer le cessez-le-feu. Abbane est logique avec lui-même. Pour
lui il n’y a point de salut en dehors de l’union nationale et sans le
rassemblement aussi large que possible des forces nationales du pays.
Dans les reproches faits au Congrès adressés à la direction du FLN par
certains membres de la délégation extérieure, c’est surtout la
présence au CCE de Ben Khedda et Dahlab qui est visée, «centralistes»,
accusés d’avoir combattu le déclenchement armé du 1er Novembre 1954.
Des «centralistes» devenus membres du CCE, habilités en outre à
«contrôler les activités de nos organismes à l’intérieur et à
l’extérieur», cela était insupportable pour les «chefs historiques»
qui estimaient qu’eux seuls avaient le droit de diriger le FLN et la
Révolution.En réalité, c’était Abbane qui était ciblé et dont la
montée fulgurante donnait des cauchemars à certains?S’il y avait des
reproches à faire contre la désignation au CCE des deux
«centralistes», ce n’était pas uniquement à Abbane à les adresser mais
aux 4 ou 5 colonels de wilaya présents au Congrès et qui avaient
ratifié ce choix. 5 ans après, c’est à ce même Ben Khedda et à ce
même Dahlab qu’il est fait appel en 1961, l’un pour être le deuxième
président du GPRA, l’autre pour mener à bien les négociations avec la
France. Et comme par hasard, l’appel est toujours adressé par des
chefs militaires, les 3 colonels-ministres du GPRA. On rapporte que
Youcef Zighoud, proposé membre du CCE, aurait refusé pour se consacrer
entièrement à sa wilaya. Quant au principe de la primauté du
politique sur le militaire, cela signifie que le FLN commande l’ALN et
non l’inverse. Ce n’était pas une idée propre à Abbane mais à tous
les congressistes de la Soummam. Elle a servi de base à toutes les
révolutions triomphantes. Le mérite de Abbane a été de l’avoir fait
partager à ses pairs et d’avoir tenté de la mettre à exécution.
Appliquée de nos jours à l’Etat de droit, cette règle signifie que le
civil commande le militaire et qu’au sommet de l’Etat le président de
la République est le chef suprême des armées. N’est-ce pas là le mal
qui ronge l’Etat algérien depuis l’indépendance et qui nous a conduit
à la tragédie actuelle? Abbane «régionaliste»? Abbane et les
congressistes de la Soummam dans une lettre adressée à la Fédération
de France du FLN en pleine guerre ont sévèrement condamné les éléments
«berbéristes, messalistes et autres contre-révolutionnaires qui
continuent leur travail de sape et de division au sein de l’émigration
algérienne» (Voir le livre d’Anne-Marie Louanchi, Parcours d’un
militant paru récemment aux éditions Dahlab). Bien que francophone de
formation, il a toujours soutenu et défendu le principe de l’identité
algérienne rattachée à la culture arabo-islamique telle qu’elle avait
été définie dans le PPA-MTLD son école de militantisme, en opposition
à la théorie colonialiste de «l’Algérie française» ou celle de
«l’Algérie, nation en formation». Bien que non pratiquant, il a
toujours observé le plus grand respect envers ses compagnons d’armes
quant à leur foi et leur piété musulmanes. Ce qui lui importait avant
tout, c’était l’unité de tous les Algériens sans distinction qui,
seule, pouvait libérer l’Algérie de la domination coloniale. Si la
victoire de l’indépendance a été possible, c’est en grande partie
grâce à cette unité du peuple qui a opposé un front uni à
l’adversaire.

Abbane «autoritariste»?

Mais Abbane n’était pas seul. Il avait toute une équipe autour de lui
menant des activités diverses et où chacun avait un secteur
particulier : organisation, finances, logistique, milieu européen,
avocats, liaisons. Lorsque nous étions à Alger, nul protocole
n’existait entre nous. Nous étions à la même enseigne. Aucun n’avait
le pas sur l’autre. Nous courions tous le même danger : celui de
tomber entre les mains des paras de Massu-Bigeard et l’arrestation
était suspendue au-dessus de nos têtes comme une épée de Damoclès.
Mais il y avait une entente tacite, une espèce de modus vivendi qui
consistait à faire confiance à Abbane et à lui reconnaître le
leadership parce que c’était un homme de décision, un animateur, un
coordonnateur. C’était lui qui assurait la correspondance avec les
wilayate, les Fédérations de France, de Tunisie et du Maroc et la
délégation extérieure. Le CDE alors était homogène.C’est à la sortie
du CCE du territoire national que les choses changent, sortie décidée
par les 4 membres restants, y compris Abbane, après la mort de Ben
M’hidi. Une sortie lourde de conséquences, loin du terrain propre de
la lutte, dans l’exil propice aux complots, aux coups bas, aux
man’uvres de toutes sortes et qui sera fatal à Abbane. Son grand
défaut a été son tempérament. Abbane était entier. Chez lui point de
nuances. Il lui arrivait d’exploser, d’entrer dans une violente
colère lorsqu’il s’apercevait d’une anomalie, d’un défaut, d’un abus,
quitte à faire à son auteur des observations en pleine figure, parfois
blessantes et publiques. «Tu ne comprends rien», avait-il dit un jour
à l’un de ses pairs, membre du CCE. Un autre, il le traita de
«fasciste». Une fois qu’il avait «vidé son sac», il se reprenait. Il
n’était pas vindicatif ni rancunier. Qui peut se vanter parmi ceux
qui ont exercé des responsabilités au cours de la guerre de libération
d’avoir été «démocrate» et de n’avoir pas pris parfois des décisions
«absolutistes». Les événements imposent souvent d’en prendre sur le
champ et Abbane en a pris. Cependant, avec tout le respect et la
considération que nous devons à la mémoire de Abbane, à l’oeuvre qu’il
a accomplie et à la contribution qu’il apporta à la cause de
l’indépendance, nous ne devons pas tomber dans le «culte du héros», le
«culte des morts» en honneur chez les peuples d’Occident qui érigent
des statues et des stèles à leurs grands hommes. C’est là une
pratique contraire à nos m’urs, à nos traditions nationales et à nos
valeurs islamiques qui assimilent cette pratique à une forme de chirk,
polythéisme tendant à associer le culte de Dieu l’Unique au culte de
l’homme. Inspirons-nous de ses idées, mais n’allons pas jusqu’à
l’adorer. Pour nous, Abbane est dans nos c’urs, et c’est en luttant
pour le triomphe des idées qu’il a défendues que nous serons fidèles à
sa mémoire, idées qui demeurent plus que jamais d’actualité dans notre
Algérie souffrante: -la primauté du politique sur le militaire, -la
primauté de l’intérieur sur l’extérieur (des problèmes internes sur
les problèmes externes),-l’unité du peuple. Dans son livre paru
récemment Ali Kafi fait parler des anciens chefs de la Révolution qui
auraient lancé contre Abbane des accusations de «traître» «agent de
l’ennemi» et autres «liens secrets». Ces chefs sont connus pour avoir
été des adversaires et des rivaux de Abbane à la direction du FLN. A
l’appui de ce qu’il avance, Kafi fait état d’affirmations plus ou
moins vagues sans fournir des preuves tangibles : les personnes
impliquées dans cette «trahison», leurs lieux de rencontre, les dates,
les décisions prises et autres faits concrets. Les arguments de
l’auteur sont loin d’être convaincants. Alors que l’Algérie se débat
dans les convulsions d’une tragédie sans nom, alors que la jeunesse
algérienne est à la recherche de ses repères historiques, on ne peut
s’empêcher de se poser la question suivante : quelle motivation a
poussé Kafi, secrétaire de l’Organisation nationale des moujahidine à
diffamer et à calomnier un symbole de la Révolution, connu pour son
‘uvre historique d’unification des forces nationales qui a permis la
libération de l’Algérie. Il a poussé l’outrecuidance jusqu’à
s’attaquer à un mort et salir sa mémoire, jouant par là un rôle peu
glorieux et peu digne.

B. B. *Titres et intertitres de notre rédaction (1) Le Sud c’était
la wilaya VI.

Liste des «22» du CRUA (juin 1954) -Mokhtar BADJI-Othmane Belouizdad
-Ramdane BEN ABDELMALEK-Ben Mostefa BEN AOUDA – Mustapha
BENBOULAID-Mohammed – Larbi BEN M’HIDI – Lakhdar BEN TOBBAL – Rabah
BITAT – Zoubir BOUADJADJ-Slimane BOUALI-Ahmed BOUCHAIB-Mohammed
BOUDIAF – Abdelhafid BOUSSOUF-Lyès DERRICHE-Mourad DIDOUCHE –
Abdesselam HABBACHI-Abdelkader LAMOUDI-Mohammed MECHATTI-Slimane
MELLAH -Mohammed MERZOUGUI-Boudjemaâ SOUIDANI-Youcef ZIGHOUD
Les noms sont cités par ordre alphabétique.

§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§

Cela devrait être dorénavant notre mot d’ordre
La tolérance, rien que la tolérance
.

‘Les principaux chefs de maquis étaient acquis à la
«doctrine Abane»

Youcef Ben Khedda, La Tribune, 21 Juin 2000

Aujourd’hui s’ouvre au tribunal de Bir Mourad Raïs le
procès en diffamation intenté à Ali Kafi pour les propos infamants qui,
dans ses récents Mémoires, ciblent l’un des héros les plus
valeureux de notre Guerre de libération : Abane Ramdane. Sa famille s’étant
portée partie civile afin de laver son honneur outragé, j’ai tenu à venir la
conforter autant par sympathie que par devoir de vérité envers
un homme qui a dominé par sa stature exceptionnelle la scène
révolutionnaire des années 1955-1957. Dans le quotidien la Tribune en date
du 18 août 1999, je m’étais déjà longuement exprimé sur le cas Abane.
Cette fois, je serai moins prolixe, m’efforçant
simplement de tirer les enseignements de la terrible tragédie à
laquelle son nom demeure associé.

Rassemblement des forces vives Fin 1955-début 1956, le
mouvement insurrectionnel du
1er Novembre 1954 avait pris une telle ampleur qu’il faisait
courir le risque à ses propres
promoteurs de les submerger par l’importance et l’urgence
desproblèmes qu’il charriait.
Dispersés entre l’intérieur et l’extérieur du pays,
ceux parmi les «vingt-deux» ou le «groupe des
neuf» qui avaient échappé à la mort ou à
l’arrestation voyaient la Direction qui, initialement
s’identifiait à eux, complètement éclatée, donc
inopérante. Ils étaient, par ailleurs, divisés quant
aux voies et moyens de conduire la Révolution. Les principaux
chefs de maquis comme Krim, Ben M’hidi,
Ouamrane et, plus tard, Zighoud, étaient acquis à la
«doctrine Abane» qui préconisait un vaste rassemblement
des forces vives du peuple algérien. Selon cette ligne, il
était admis que le FLN se devait de se
convertir très vite à une véritable stratégie d’union
nationale aussi large que possible, avec la participation des
éléments du PPA-MTLD encore à l’écart et, également
des nationalistes modérés
appartenant à l’UDMA de Ferhat Abbas ou à
l’Association des Oulama de Bachir Brahimi.

A l’opposé, certains membres de la Délégation
extérieure du FLN au Caire repoussaient toute
idée d’ouverture du commandement du FLN aux éléments
issus des anciennes formations politiques.
Ils considéraient cela comme la pire des déviations car,
prétendaient-ils, la pureté originelle de
la Révolution s’en trouverait gravement altérée. De leur
point de vue, seuls les hommes présents au rendez-vous
du 1er Novembre 1954 étaient dignes de diriger le mouvement.
Autrement dit, il reviendrait aux
«Historiques», et à eux uniquement, de jouir d’une
monopolisation sans partage
du pouvoir de décision. Est-il besoin de préciser que le
concept d’«Historiques» a d’abord été lancé par
la presse occidentale de l’époque pour désigner, par
commodité, la poignée d’hommes qui
avaient présidé au déclenchement insurrectionnel.

A la faveur d’un glissement sémantique tout à fait abusif,
ce mot s’était ensuite chargé d’une connotation
foncièrement
militariste, laquelle avait fini par prévaloir dans les esprits
peu politisés. La primauté du politique sur le militaire
L’assimilation sommaire des «Historiques» aux
«militaires» procédait d’un simplisme
réducteur. Elle impliquait l’inévitable dévalorisation
des «politiques»,
assimilés à leur tour aux «civils» et même,
péjorativement, aux «politiciens» et, de ce fait,
cantonnés dans un
statut subalterne. Une telle discrimination reflétait une tendance
sans cesse croissante à ne
compter que sur la force des armes. Privilégiant le militaire au
détriment du
politique, elle était en porte-à-faux avec les conceptions
d’un Ben Boulaïd ou d’un Ben M’hidi, qui se
considéraient
avant tout comme des militants politiques portant l’uniforme par
nécessité. Que leur
fût accolée l’étiquette d’«Historiques» qu’ils
n’avaient, au demeurant,
jamais sollicitée, ils n’en récusaient pas moins
l’idée qu’on pût les ériger en catégorie à
part,
ou en caste militaire en charge exclusive du destin
national.

C’est à Abane qu’échoit et le mérite et le courage
d’avoir réhabilité le rôle fondamental du
politique en renvoyant à une lecture plus serrée et plus
exigeante de la
Proclamation du 1er Novembre. Celle-ci, en effet, consacrait sans la
moindre
équivoque l’intangibilité de principe de la prééminence
du FLN sur l’ALN. Grâce au puissant soutien
de Ben M’hidi, Abane parviendra à transposer cette
prééminence dans la
plate-forme de la Soummam sous la formulation désormais
célèbre de
«la primauté du politique sur le militaire». Il va de soi
qu’Abane ne
niait en aucune manière l’action déterminante et
irremplaçable de l’ALN. Dans ses tracts et ses déclarations, il ne manquait
jamais de glorifier l’efficacité et l’héroïsme des djounoud,
d’exalter leurs sacrifices et leurs souffrances aux côtés du peuple. Il
redoutait cependant que ne se renforçât une certaine évolution amorcée dès 1956 qui,
petit à petit, semblait reléguer au second plan la nécessité
impérative du travail politique au sein des maquis. En donnant la
prépondérance aux impératifs de la confrontation sur le
terrain, en subissant la dictature du champ de bataille
consécutive à la radicalisation du conflit, les responsables s’investissaient dans
le militaire à corps perdu.
Cela se soldait progressivement par une espèce d’évacuation du
politique au profit d’une vision purement guerrière de la
lutte de libération. Ce faisant, ils entérinaient la dépolitisation de l’esprit
combattant, laquelle était déjà en gestation dans la
généralisation des pratiques volontaristes et spontanéistes.
Sévissant de la base au sommet, un tel phénomène de
dépolitisation ne sera pas sans s’accompagner de carences et de déficiences se conditionnant
les unes les autres, sur fond d’inculture politique et d’indigence idéologique. Il
en résulta, entre autres, le rétrécissement des
perspectives et le déficit notoire des capacités d’analyse
et de synthèse ; l’incohérence par inaptitude à maîtriser l’ordre des urgences, et à
différencier le substantiel de l’accessoire, le formel et le spectaculaire du
«consistant» ; l’improvisation et la précipitation par recours aux initiatives à courte vue ;
surtout, l’autoritarisme sourcilleux articulé sur la répugnance
à se remettre constamment en question grâce à une autocritique salutaire. C’est
pour parer à des dégénérescences et des déviations aussi lourdes de
périls qu’Abane osera affronter les grands responsables militaires du moment
désormais majoritaires dans le CCE élargi en 1957 avec l’entrée en
force des colonels dans les organismes dirigeants. Un tournant capital était
pris qui laissera des traces durables dans nos institutions
jusqu’à l’heure actuelle. Complètement démonétisé, le politique
s’effacera pour de bon devant la prépondérance du militaire.

L’assassinat d’Abane entérinera l’échec de sa conception élitiste de la Révolution ;
il scella le déclin irréversible du primat du politique comme fondement essentiel de
toute construction populaire et démocratique authentique. En
contrepartie, qu’avaient donc à proposer ses adversaires ? Beaucoup de grandiloquence
mais peu de substance.
L’esprit de novembre On continuera à vivre avec l’exaltation des faits d’armes
et des prouesses passés mis en scène par la «famille révolutionnaire», à coups de
célébrations et de commémorations sans fin pour servir une histoire encore atrocement sélective.
Et pendant ce temps, le peuple
marginalisé et maintenu dans un état de délabrement moral
sans issue tantôt gronde et tantôt se morfond dans sa désespérance. Bafoué dans ses
droits, privé du devoir légitime de contester et de s’opposer, il vit en
permanence sous les fourches caudines des dispensateurs de la pensée unique qui n’ont de
cesse d’entretenir la désunion, de propager le mépris de l’autre, et
de miner tout ce que nos populations renferment de sacré.

Partisan résolu de l’ouverture du FLN à tous les
Algériens quelles que fussent leurs opinions, il réussira, avec l’aide décisive
de Ben M’hidi, à le démocratiser en cassant le monopole que les «Historiques» exerçaient sur sa
Direction. Et c’est encore d’ouverture démocratique et de l’arrêt de cette
pensée hégémonique qui nous régit sous la contrainte que
nous avons aussi le plus soif à l’heure présente. L’esprit de
Novembre avait guidé les pas d’Abane. Ranimons-le donc, et retournons à ses valeurs
sacrées, car ce sont elles qui ont cimenté notre unité
nationale durant la guerre. Efforçons-nous les uns les autres de sauver
l’Algérie à nouveau. Réconcilions-nous avec nous-mêmes, et acceptons-nous
dans le respect de nos mutuelles différences en sorte que ces
différences ne soient plus sources de fitna mais matière à enrichissement par
tolérance interposée.
Si chacun se mettait à tuer quiconque n’est pas de son bord,
si nous persistions à nous entre-tuer, si nous ne faisions preuve de
tolérance les uns vis-à-vis des autres, alors, d’autres Abane tomberaient,
le pays poursuivrait sa chute libre,
s’enfonçant dans une régression sans rémission. Nous
aurons alors préparé de nos mains inconséquentes le terrain à
une autre forme de colonisation plus cruelle, plus pernicieuse, plus terrifiante que
celle dont nous avions triomphé. La tolérance, rien que la
tolérance, tel devrait être dorénavant notre mot d’ordre
pour que nos enfants et les enfants de nos enfants puissent vivre dans une
société de justice, de paix et de progrès, car en elle réside le
secret de notre renouveau et de notre réussite. Que la tragédie
d’Abane nous serve de leçon.

Y. B. K.
* Ancien président du GPRA.

 

 

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