LE RAPPORT DE LA MISSION DE L’ONU EN ALGÉRIE :
LE RAPPORT DE LA MISSION DE L’ONU EN ALGÉRIE :
UNE ANALYSE QUI CONFORTE LE STATU QUO
Madjid Benchikh, professeur de droit international,
président du Comité international pour la paix, les droits de l’homme et la démocratie en Algérie
Le rapport de la mission d’information de l’ONU en Algérie a été finalement publié un mois après une visite de quinze jours d’une délégation désignée par le secrétaire général des Nations Unies avec l’accord du gouvernement algérien. D’emblée, ce rapport apparaît comme un laborieux compromis entre les membres même du « panel » et des visions contradictoires de la situation en Algérie.
La diversité des questions abordées indique bien que la mission de l’ONU avait l’ambition de présenter le tableau le plus large de la situation en Algérie pour en donner une plus grande clarté. Malheureusement, l’étendue et la complexité des problèmes ne permettaient, dans ces conditions, qu’un survol superficiel de ceux-ci. Cet écueil a été aggravé par la méthode adoptée pour dégager des conclusions . Le panel de l’ONU, à juste titre, a reçu des personnalités de divers horizons. Mais devant les positions contradictoires qui lui ont été présentées, il a soit refusé de prendre position par manque d’assurance ou de connaissance des problèmes, soit pris position en faveur des thèses gouvernementales qu’il présente alors de façon favorable.
Ainsi, s’agissant des problèmes aussi graves que la corruption, reconnue pourtant par de nombreuses personnalités officielles, le panel semble incapable de se prononcer. Lorsqu’il analyse la situation sécuritaire, le panel de l’ONU reprend les grands axes du discours gouvernemental algérien, qui énonce fièrement que le terrorisme ne menace plus l’État et ses institutions, ne se rendant pas compte que les massacres de populations, quand ils ne menacent pas directement l’État, autorisent divers questionnement sur la nature de celui-ci et son rapport au peuple et au terrorisme : l’État serait-il à ce point étranger au peuple que les massacres des populations et le délabrement du pays n’auraient sur lui aucun effet? Le panel donne pourtant crédit à la position du gouvernement algérien selon laquelle le terrorisme est presque vaincu, même si on doit déplorer des bavures et dépassements dont on dit sans preuves qu’ils sont sanctionnés. Dés lors, lorsque le panel énonce qu’il convient de respecter les droits de l’homme et avancer vers l’État de droit, il ne s’éloigne pas du discours gouvernemental. Il cherche même a trouver des raisons aux exécutions extrajudiciaires par un argument qui laisse pantois lorsqu’il considère que les terroristes préfèrent être tués que d’être pris vivants (sic) pour ne pas donner des informations aux militaires.
Malheureusement, la violence est toujours déchaînée en Algérie et personne ne semble en mesure d’en prédire la fin. Le panel fait d’ailleurs un résumé proprement étonnant du rapport du Comité des droit de l’homme de l’ONU en ne mentionnant que les deux seuls points de ce rapport favorables au
gouvernement algérien, oubliant ainsi que ce comité a condamné de façon explicite les autorités algériennes non seulement pour les violations des droits de l’homme mais également pour l’absence de protection des populations et le défaut d’organisation d’enquêtes indépendantes et impartiales.
Il est très choquant de ce point de vue d’observer que le rapport du panel laisse supposer qu’il défendrait l’idée d’un droit international à deux vitesses, dont les dispositions ne s’appliqueraient que pour lutter contre le terrorisme. En effet, d’un coté, il considère à juste titre que « le terrorisme (…) est illégal au regard du droit international ». Mais d’un autre cote, il se refuse à considérer que les violations des droits de l’homme par le gouvernement algérien, pourtant reconnues du bout des
lèvres, soient également des infractions au droit international. Pourtant le Comité des droits de l’homme de l’ONU, organe spécialisé des Nations Unies, s’est déclaré gravement préoccupé par le nombre impressionnant de violations des droits de l’homme par les forces de sécurités algériennes,
notamment la torture, y compris dans les lieux de détention, les disparitions, la situation des femmes et toutes les graves violations qui se sont produites ces six dernières années.
Au sujet des groupes de légitime défense armés et financés par l’État et le commandement militaire dans des conditions d’opacité qui ont préoccupé le Comité des droits de l’homme – jusqu’en janvier 1997, ces groupes ont fonctionne sans aucun cadre légal -, le panel ne demande qu’une vague « coordination ». Le comité des droits de l’homme de l’ONU avait pourtant demandé en juillet 1998 que le gouvernement algérien prenne d’urgence des mesures visant à maintenir au sein de ses forces de police et de ses forces armées, la responsabilité du maintien de l’ordre public et de la protection de la vie et de la sécurité de la population et que, dans l’intervalle, il veille à ce que ces groupes de défense soient placés sous le contrôle strict et effectif des organes de l’État responsable et promptement traduits en justice en cas d’exaction.
Il est franchement étonnant que le panel n’ait même pas relevé ce que la presse algérienne a rapporté sur les massacres de Relizane, à l’ouest d’Alger, par des groupes de légitime défense ou des gardes communaux sous l’égide de personnalités officielles liés au parti au pouvoir. On comprend dans ces conditions que l’envoi d’une commission d’enquête internationale indépendante et impartiale soit plus que jamais d’actualité.
Sur le plan économique le panel se livre à un plaidoyer inattendu en faveur de la privatisation qu’il souhaite voir accélérer. Il ignore ce faisant l’accaparement et les luttes dont les ressources du pays font l’objet sous le couvert de la vente des entreprises publiques . Surtout il s’ingère directement dans les affaires intérieures de l’Etat dans un domaine ou contrairement à celui des droits de l’hommes, le droit international ne l’y autorise pas.
L’analyse du panel relative aux institutions politiques n’est pas moins préoccupante. Il ressort en effet du rapport que l’Algérie a connu ces dernières années des changements significatifs, qui marqueraient des transformations démocratiques grâce au multipartisme et aux élections présidentielles, législatives et municipales. A aucun moment, le panel ne se demande si le rôle prédominant de l’armée, les lois répressives relatives aux partis politiques, à l’information et à la justice ne font pas de ce système une démocratie de façade où les décisions essentielles sont prises en dehors des institutions élues. Comment interpréter autrement la récente et problématique démission du président de la République sans que ni le Parlement ni aucune institution constitutionnelle n’interviennent? Quel terrible camouflet à tous ceux qui, comme les membres du panel, pensent qu’on peut faire progresser la démocratie en aidant un régime répressif.
Bien que la fraude électorale et de nombreuses irrégularités aient été signalées par plusieurs observateurs européens – notamment lors des élections de 1997 – et que des dizaines de milliers d’Algériens aient bravé la peur et les interdictions pour manifester dans la rue contre une fraude électorale massive, le panel considère que le système politique algérien connaît une transition démocratique. L’ampleur de la fraude a achevé au contraire de dénaturer des élections qui n’ont été libres et honnêtes à aucun moment, ni dans leur préparation, ni dans leur déroulement.
Le panel, comme les autorités algériennes, ne se demande pas si des élections libres peuvent être organisées et si des institutions démocratiques peuvent fonctionner sous l’état d’urgence et au milieu de la violence.
Comment peut-on éviter de se demander pourquoi jusqu’ici des élections dites libres et des institutions dites démocratiques ont été impuissantes à ouvrir des perspectives de paix et de développement pour l’Algérie? La paix civile est évidement indispensable pour l’organisation d’élections libres et partant pour l’établissement et le fonctionnement d’institutions démocratiques. Sans paix civile, les élections et les débats parlementaires apparaissent aux yeux de millions d’Algériens frappés par la violence du terrorisme islamiste odieux, la répression massive de l’État et le chômage comme un jeu de marionnettes.
Comment ne pas voir aujourd’hui que la politique répressive a conduit, après six ans de pratique, à une impasse politique, au délabrement des entreprises publiques et de l’administration et à l’extension de l’affairisme et de la corruption? L’aggravation des conflits au sein même de la sphère du pouvoir réel rend aujourd’hui possible toutes les dérives préjudiciables au pays et justifie la crainte de la population.
La démission du chef de l’État, à la suite de ces conflits, indique bien que dans un tel système politique, il est vain d’espérer un minimum de respect pour la Constitution. C’est pourquoi la communauté internationale, tout en condamnant à juste titre le terrorisme islamiste, doit manifester son rejet de la violence de l’État plutôt que de contribuer au statu quo. En adoptant l’attitude prétendue réaliste qui modère les critiques faites au gouvernement algérien pour éviter que celui-ci ne se cabre et ne mette en cause ce qu’ils considèrent – à tort – comme des avancées démocratiques, certes insuffisantes, les membres du panel font preuve soit d’angélisme à l’égard du système algérien, soit défendent une raison d’Etat à courte vue destinée à préserver les intérêts économiques ou stratégiques de certains États.
L’expérience des dernières années montre bien que le peuple algérien, tout en rejetant la violence islamiste dont il est la première victime, ne soutient pas les politiques d’un État dont il supporte la violence et les injustices. Seul le dialogue entre toutes les forces politiques et sociales représentatives peut permettre le retour à la paix civile et susciter l’espoir des Algériens. C’est à cette tache qu’il convient d’inviter les États et les organisations internationales. L’espoir des Algériens est de voir l’ONU, fidèle aux principes et règles qu’elle a contribué à établir dans l’ordre international, scruter les chances d’une solution politique, et encourager son application de façon déterminée. Il existe en Algérie des forces politiques fragiles parce que toujours réprimées, mais crédibles qui peuvent être encouragées pour mobiliser les populations dans des perspectives de paix et de démocratie.