Le général Lamari prend le pouvoir
Le général Lamari prend le pouvoir
Amale Samie, « Maroc Hebdo » (Casablanca)
La démission annoncée du président Zeroual – qui devrait quitter ses fonctions fin février 1999 – traduit la montée en puissance du général Mohamed Lamari. Homme de l’ombre, le chef d’état-major de l’armée est plus que jamais le dirigeant occulte de l’Algérie.
On l’appelle la grande muette. Sous toutes les latitudes, elle est effectivement peu loquace. Sauf en Algérie, où elle s’est lancée, depuis la destitution déguisée de Liamine Zeroual, dans une logorrhée qui donne le vertige – et surtout qui en dit long sur la mise à l’écart du président Zeroual. Le général Mohamed Lamari, chef d’état-major de l’armée, n’arrive plus à se taire. L’Armée nationale populaire (ANP) est devenue la grande bavarde. Son patron n’en finit pas de s’agiter. Il a de bonnes raisons pour cela. Le général doit mettre les bouchées doubles pour garder la maîtrise du putsch qu’il a ordonnancé et dont il entend s’assurer les dividendes. Il s’agit d’un mouvement parfaitement orchestré, relayé par ses satellites aussi bien au Parlement et dans la presse qu’à la tête de certains partis.
En 1992, les généraux Lamari, Nezzar et leurs amis s’étaient « portés au secours » de l’Algérie en annulant les résultats du premier tour des législatives de décembre 1991. Ils avaient mis le général Zeroual à la tête de l’Etat. Mais celui-ci n’a pas montré la fermeté [face au courant islamiste] que l’on attendait de lui et s’est pris pour un vrai président : c’est ce qui lui a coûté son fauteuil. Dans le clan du général Lamari, on se rend compte que l’élection – dont la préparation a été confiée (pour le neutraliser) au Premier ministre, Ahmed Ouyahia – risque bien d’être bâclée, surtout dans un pays qui, en fait d’élection présidentielle, n’a que l’expérience de 1995.
Le général serait-il tenté d’épargner à l’Algérie une campagne électorale fastidieuse ? Il le pourrait, s’il le voulait. Il le veut peut-être. Mais ce n’est pas le titre de « second président algérien élu au suffrage universel » qui l’intéresse, ni même la fonction. Ce qu’il veut, au-dessus de tout, c’est le pouvoir qui s’y rattache. Zeroual parti, « pour cause d’alternance », Lamari doit donc placer un homme à lui s’il décide de ne pas devenir président. Et la presse algérienne, bénéficiant d’un effet de panique, au lendemain de l’éjection de Zeroual, ne s’y est pas trompée. C’est exactement ce qu’elle a claironné avant qu’on ne lui applique le bâillon.
A quel titre Lamari fait-il cette fracassante intrusion sur la scène politique ? En tant que chef d’état-major de l’ANP. Où a-t-il parlé ? Dans « El Djeïch », la revue de l’Armée nationale populaire, qui publie son « Ordre du jour ». Mais la grande bavarde ne fait pas que parler. Il faut ajouter la touche finale au scénario du coup de force. Achever le général Mohamed Betchine, le gêneur, le complice de Zeroual. Mohamed Betchine n’a pas été mis définitivement hors course. [Depuis plusieurs mois, des journaux algériens attaquent régulièrement le général Betchine et s’interrogent sur ses incursions dans le monde des affaires.] L’offensive généralisée des durs de l’armée, emmenés par un éradicateur plus éradicateur que les autres, a pourtant verrouillé tous les accès possibles au pouvoir. Elle a rendu vaine toute tentative de remettre en selle le général Liamine Zeroual.
L’avortement piteux de manifestations « spontanées » destinées à convaincre le Président de revenir sur une décision de partir qu’il n’a pas prise lui-même est un signe funeste. Le Rassemblement national démocratique, le parti du pouvoir, a misé sur deux perdants, Zeroual et Betchine. Et, en s’acoquinant avec tous les autres pithécanthropes qui rôdaient, il s’est condamné à la décomposition, voire à l’éclatement. Lamari veut « abréger les souffrances » des crocodiles. Ce n’est pas lui qui va au front. Il a des soutiers sur place qui appartiennent au clan des « modernistes ».
Betchine tente une dernière manoeuvre, sans trop s’illusionner. Il parle toujours de faire revenir Zeroual sur sa décision de démissionner. Mais il doit absolument trouver un moyen d’y parvenir. Il en trouve un, même s’il est loufoque : il décrète que la démission de son ex-protecteur est « anticonstitutionnelle ». Ahurissant, mais une telle cacophonie au sein de l’armée algérienne n’est qu’un indice du carnage qui se déroule dans des lieux plus secrets. Cette démission annoncée, qui est une « preuve de maturité politique du pays » pour Lamari, devient « anticonstitutionnelle » pour Betchine.
Aujourd’hui, Betchine est un homme fini. Lamari est arrivé : il assigne tout de suite à Zeroual sa dernière mission importante : inviter les partis politiques à parler de la prochaine élection. Le premier ministre, Ahmed Ouyahia, s’occupera de l’intendance : il va gérer les millions de dollars affectés à l’organisation de la présidentielle – de l’argent jeté par les fenêtres. Mohamed Lamari laisse ainsi le soin à ceux qu’il a utilisés de se charger de leur propre enterrement. Mais, avec le regain du terrorisme – et l’option brutale du « tout sécuritaire », qui a la faveur de Mohamed Lamari, le nouvel homme fort de l’Algérie -, les enterrements risquent de perdurer dans le pays.