Louisa Hanoune à propos de la situation actuelle

« Ali Benhadj doit agir »

Louisa Hanoune, députée et porte-parole du PT, au Jeune Indépendant

Propos recueillis par Mohamed Zaaf, Jeune Indépendant , 7 août 2000

Le jeune Indépendant : Dans sa réponse a votre lettre sur Ali Benhadj, le Président avait invoque les équilibres fragiles qu il fallait gérer ; qu’en déduisez-vous ?Louisa Hanoune : Le contenu n est pas négatif. Mais qu’il dise que l’équilibre est précaire, nous en sommes conscients, c’est lié à la nature même du pouvoir et ceci est un vieux débat. Mais le président l’a dit sans l’expliquer. A mon sens, il y a une ligne rouge. Cette situation a profité à certaines parties sur le plan économique et commercial. Des dossiers ouverts ont été refermés à l’exemple des walis et des holdings. Finalement, les holdings ne disparaissent pas. Ils ont fusionné, mais c’est quand même un pouvoir gigantesque. Il est entre les mains de qui ? Je ne saurais vous répondre. Lorsque le Président a parlé de 15 personnes qui ont la mainmise sur l’économie nationale, il n’a pas cite de noms. Il est évident que sans un contrôle démocratique et en l’absence de paix, il ne peut y avoir que des situations

où des gens profitent pour s accaparer de biens publics. Le choix de la politique du FMI, de la Banque mondiale et de l’OMC génère aussi la corruption. Nous l’avons vu dans des pays qui se portent bien au plan sécuritaire. Je cite, par exemple, la France. Le nombre de scandales dans ce pays ne se comptent plus maintenant. Et si nous prenons l’exemple de la Russie, c’est une véritable mafia qui s’y est érigée depuis l’application des reformes. Pourtant, on nous propose de suivre la même voie.Ailleurs, les scandales existent, mais les auteurs payent quand ils sont démasqués…Non en Russie, ils ne payent pas. En France, oui, les gens payent, mais pas tout a fait, il y a des affaires qui traînent depuis des années. Il est évident qu’il y a une différence entre un pays en paix et un pays en guerre, entre un pays où il y a des règles de fonctionnement démocratiques et un pays comme le notre où il y a encore des lois d’exception en vigueur, où il y a justement l’état d’urgence. Chez nous, ceux qui ont été mis en prison sont les cadres.Vous insistez pour rencontrer Ali Benhadj mais pas Abassi Madani qui, pourtant, a aussi de l’influence…Abassi Madani nous l’avons vu lorsqu’il avait été libéré. Il a promis des choses. Il a dit qu’il allait avancer des choses importantes. Après, nous ne savons pas ce qui s’est passé quand il a écrit sa lettre a Kofi Annan. Pour nous, cette lettre était une surprise. Il a été remis en résidence surveillée de manière plus corsée. Nous sommes pour le fait que Abassi Madani puisse recevoir des personnes et discuter. Nous sommes prêts a le rencontrer aussi. Dans ses lettres rendues publiques, Ali Benhadj pense pouvoir agir et ramener à la raison un certain nombre d’acteurs armés… Personnellement, je veux le rencontrer, voir dans quel état il se trouve et puis avoir un échange sur la situation qui prévaut en Algérie sur les possibilités de sortie de l’impasse. Il a déjà passe les trois quarts de sa peine et, en principe, a 50% de la peine, on commence à envisager la libération. Dans ce contexte, une foule de questions intervient. Dans deux ans, Ali Benhadj sera libérable. On ne va pas tout de même chercher un prétexte pour le garder encore. Le 5 juillet dernier, nous avions espéré que le Président annonce sa libération ou, tout au moins, son transfert dans une résidence. Il y a un point de vue qui dit qu’ils (Abassi Madani et Ali Benhadj) sont responsables. Précisément, s’ils sont réellement responsables, permettez-leur de prendre leurs responsabilités afin de contribuer a l’arrêt de l’effusion de sang. L’urgence, aujourd’hui, c’est la paix et l’arrêt de l’effusion de sang. Nous sommes prêts à débattre de la question des responsabilités et nous avons notre point de vue là-dessus. Nous insistons sur cette rencontre parce que, aujourd’hui, se pose la question de l’internationalisation de la crise algérienne. Nous avons vu ce que cela a donne dans d autres pays. Nous pensons que c’est au peuple algérien de décider de son sort et qu’aucune solution ne saurait être viable si elle n’émanepas des Algériens eux-mêmes. De plus, nous ne voulons pas qu’il y ait d’autres dérapages. Les évènements récents liés au logement sont des exemples édifiants.Ne pensez-vous pas qu il y a de la manipulation derrière cette affaire ?C est très possible. Mais si le problème n’existait pas, on n’aurait pas pu donner un coup de pouce. Au-delà des calculs d’appareils, il y a la réalité atroce. A travers ces évènements, une question s’impose : quel objectif veut-on atteindre ? Des élections municipales ou autre chose, nous n’en savons rien. Mais toujours est-il que s’il y avait un plan national de travaux publics avec des projets de construction massive de logements, ce qui constitue en même temps une création, les Algériens auraient la patience d’attendre et il n y aurait pas d’explosion sociale pour la distribution de quelques centaines de logements. Donc, tout cela est une part d’une réalité, c’est le ras-le-bol, il suffit qu’il y ait un petit peu de manipulation. Ne pensez-vous pas que l’Algérie se trouve dans la même situation d’avant-octobre 1988, période durant laquelle il y avait une absence de passerelles entre le pouvoir et le peuple ?Bien sur. S’il y a une chose qui a permis aux Algériennes et aux Algériens de résister, c’est parce que les partis ont joué le rôle de digue, indépendamment des points de vue. Il y avait un espace de liberté qui n’avait pas été perdu, notamment depuis les élections législatives : les débats à la télévision. Les Algériens suivaient les propositions, ils connaissaient les positions. Il y avait le débat a l’Assemblee. Depuis une année, il n’y a plus de débats contradictoires. Il y a uniquement le point de vue officiel. Il est normal que ce dernier s’exprime, mais lorsqu’il devient la seule expression et le seul point de vue, il devient un facteur d’aggravation de la crise. Parce que non seulement il n’y a plus de médiation du tout mais les institutions, les assemblées élues sont complètement laminées à tous les niveaux. Le parlement lui-même est paralysé et une récente circulaire réduit le temps d’intervention d’un député a 3 et 2 minutes. Cela signifie que cette assemblée n’a plus aucune relation avec le peuple, khlass (c est fini). Que pensez-vous du problème de la dette et de sa reconversion ? Le Président a un mandat pour plaider en faveur de l’annulation de la dette. Nous sommes pour son annulation sans condition, car, a notre sens, c’est du pillage. Nous avons proposé un moratoire. Il y a une campagne internationale pour l’annulation de la dette menée par des syndicats, par des organisations. Nous aussi nous sommes partie prenante. Des démarches officielles ont été entreprises sur le plan international et menées par les Etats africains, dont notre Président. La conjugaison de tous ces efforts peut mener a une pression sérieuse, à une mobilisation mondiale de solidarité pour qu’il y ait annulation. Nous avons voulu donner un coup de pouce en utilisant le mot moratoire. Cela nous fait gagner du temps. Nous avons besoin des recettes. A l’APN, le ministre nous répond négativement et même les dettes des communes, il refuse de les annuler. En revanche, il accepte l’évasion fiscale de 45 milliards de dinars. Il accepte de payer près de 300 milliards de dinars en guise de remboursement de la dette pour cette année, alors que notre pays est en train de s effondrer et que le désespoir est là pour nous gifler tous les jours. Que peut-on faire concrètement, a votre avis, pour forcer un petit peu la main a tout le monde et aller a la paix ?Nous pensons que si le Président décrète la paix et convoque les partis, les institutions et tous les partenaires politiques, il créera une dynamique. Et si quelqu’un s’y oppose, à ce moment-là, cela clarifiera et facilitera la tâche au peuple pour se mobiliser et combattre, par les moyens de la démocratie, ceux qui sont contre le rétablissement de la paix.Vous savez que personne ne s’opposera publiquement, mais les tueries seront le moyen d’expression. Dans cette optique, qui pourra mobiliser la population, alors que l’état d urgence est toujours en vigueur ? Nous sommes, en tout cas, en train de mobiliser, à travers un large débat, avec les citoyens depuis des mois. C’est a dire depuis que nous avons constate l’aggravation de la crise au début de l’année avec l’entrée en scène d’autres acteurs dans le conflit ! Maintenant, s’il y avait un débat à la télévision…Un débat, pour quoi faire ? Le peuple est pour la paix, il a déjà tranché…Oui, mais la paix ne peut pas tomber du ciel. Elle est le produit d’une série d’actions.Quelles actions ?Pour notre part, nous avons convoqué une conférence a Boumerdes en 1998. Mais, comme je l’ai dit, le Parti des travailleurs ne peut pas convoquer les corps constitués, les institutions, les partis politiques. Cela revient au premier responsable du pays. La Constitution lui donne le droit et le pouvoir de décréter la paix. Qu’il la décrète, puis, pour la concrétiser, qu’il ramène tous les acteurs qui peuvent aider ou qui ont une responsabilité dans cette situation. Dans la clarté et la transparence, face à tout le peuple algérien, on discute. On lance un appel a l’arrêt de la violence, parce que tout le monde sera présent : les représentations des institutions, des partis, c’est a dire toutes les tendances, tous les acteurs.Qu entendez-vous par tous les acteurs ?Ecoutez, les acteurs c est un couple, il n’y a pas un seul acteur dans ce conflit. Un conflit avec un seul acteur, cela n’existe pas.Vous avez évoqué par le passé l’organisation terroriste OJAL…Je vous dis, nous proposons que le président de la République convoque un congrès national algérien avec les institutions, dont les corps constitués de l’Etat, etc. Cela veut dire qu’on doit laisser aussi une zone d’ombre pour donner toutes les chances à la paix. Bien sûr qu’il y a des groupes qui ne sont pas encore identifiés. Cette crise a généré toutes formes de groupes y compris mafieux. Et il faut tout clarifier afin d’atteindre notre objectif de paix. Avec un appel à l’arrêt de la violence, ceux qui ont pris les armes pour des raisons politiques n’auront plus de raison de continuer leurs actions armées, étant donné qu’un processus de paix a été engagé. Ceux qui ne le feront pas, se trouveront totalement en dehors et n’auront plus aucune couverture. Il n’y aura plus de situation confuse. Le peuple aura la force de combattre les acteurs qui ne veulent pas revenir à la vie civile, parce qu’il les aura identifiés. A ce moment-là, les institutions de l’Etat s occuperont de leurs missions constitutionnelles, par exemple l’armée doit retourner dans les casernes, c’est clair ! Vous savez à quoi on ressemble maintenant ? A la Colombie. Pays où l’on retrouve pas moins de 300 groupes armés différents. Comme en Colombie, nous avons des problèmes du foncier, de la terre, la drogue qui, maintenant, circule chez nous, les circuits de prostitution.La drogue ne circule pas seulement, elle est cultivée chez nous…On le sait. Et malheureusement, cela fait partie des aspects de cette guerre qui ronge ce pays et si on ne clarifie pas par les moyens de la démocratie, il restera toujours des acteurs qui pourront jouer dans l’ombre. Donc là, on veut savoir ce qui se passe et identifier tous les acteurs pour donner ensuite les moyens au peuple algérien de prendre son destin en main. Il pourra en finir, par conséquent, avec ceux qui refuseront d’abandonner les armes. Quels qu’ils soient ! Parce que nous savons maintenant qu’il y a confusion. On nous explique, on lit dans la presse qu’il y a des militaires qui sont avec des groupes armés et je ne sais quoi encore. Il faut clarifier tout cela. Nous avons proposé un congrès et si quelqu’un a une meilleure proposition, nous sommes preneurs. Un accord a été passe entre l’ANP et les islamistes armés d’obédience FIS. On dit qu il n’est pas respecté dans plusieurs de ses aspects…On lit dans les journaux que l’accord n’a pas été respecté sur l’essentiel, sur la réintégration dans la vie civile et sociale, etc. Quelque part, maintenant, plusieurs groupes sociaux ont été transformés en parias et c’est d’une extrême gravité. Ce sont les limites de la loi sur la concorde et d’un accord secret partiel qui n’entre pas dans un processus de paix ayant une vision d’ensemble de la crise. Mais, plus que ça, nous apprenons que des repentis qui descendent (des maquis) se font tuer aussi. Il y a eu des cas cites par la presse, des familles qui nous ont alertes. Il faut que la société se saisisse pleinement de cette question. Le peuple algérien a fait preuve de sa disponibilité, mais, en même temps, il est « minorisé ».Le rôle d’un peuple n est pas de voter oui ou non. Qu’on lui donne les moyens de réaliser la paix ! Il faudrait qu’il y ait une action qui sorte des tripes de la société algérienne pour dégager un processus salvateur. Nous avons apprécié énormément le traitement médiatique de la réponse du Président sur Ali Benhadj. Cela a réintroduit le débat sur la question de la paix et commencé à associer tout le monde. Même pour des journaux qui étaient, jusque-là, frileux sur cette question, il devenait normal de débattre du sort de ce militant des droits de l’homme, sans discrimination, et dire qu’il doit jouer son rôle et nous savons qu’il peut le jouer. Il y a aussi l’aspect social de la crise et il n’est pas possible de continuer dans cette voie si on prétend vouloir rétablir la paix. Cette année, il y a eu des licenciements par milliers. Il y a eu encore des fermetures d’entreprises. Avec l’orientation politique qui veut tout céder aux multinationales, ouvrir le capital des entreprises, brader le pays, on prépare l’effondrement généralise. Le Zaïre était un grand pays. Toutes les richesses s’y trouvaient et l’URSS, aussi, était une grande puissance. Elle est partie en lambeaux et, aujourd’hui, c’est la décomposition totale, la mafieutisation. La paix n’a pas de sens s’il n’y a pas le pain. Le cas de Wafa a fait son intrusion a l’APN. Comment percevez-vous cette affaire ? L histoire de Wafa, c’est comme l’histoire de nos amendements à la loi sur la concorde ou à la loi de finances complémentaire. C est grossier. Il est bien évident qu’il y a des considérations politiques qu’il faut chercher au niveau de certains centres de décision. Pour moi, c’est indiscutable, je ne veux même pas entendre parler de la composante de ce parti. Il s’agit pour certains d’avoir été des militants du FIS ? Et alors ! Et alors ! Nous étions contre la dissolution du FIS. D’un point de vue principiel et démocratique, nous ne partageons pas leur programme. Nous avons le notre. Nous sommes socialistes, nous sommes pour la démocratie, pour l’égalité en droits. Mais si on peut porter atteinte à un parti, on pourra le faire à tous les autres partis. On l’a bien vu. Nous ne pouvons pas accepter une attaque à un droit fondamental, notamment la liberté d’exprimer une opinion et s’organiser autour. L’appellation de ce parti importe peu. La situation actuelle du pays favorise ces restrictions arbitraires. C est à cela aussi que sert la guerre, l’état d’urgence et la loi scélérate sur les partis. Le prétexte, dans ce contexte, est un vice de forme, puisqu’on a cité le règlement intérieur précédent. Bien ! Mais l’actuel règlement intérieur a, pour sa part, été rejeté par le Conseil constitutionnel. Donc, cette Assemblée fonctionne sans règlement intérieur, si j’ai bien compris. Naturellement j’ai signé la deuxième interpellation et j’espère, de tout cour, que la raison va l’emporter. Je dis qu’il est quand même aberrant qu’après tant de massacres, après tant de destructions, on ne fasse pas le bilan, on ne tire pas les enseignements et qu’on n’arrive pas aujourd’hui à conclure que chaque Algérien doit pouvoir s organiser et s’exprimer dans le cadre des lois de la République. Des lors que Wafa s’est conformé aux lois, il n’y a aucune raison qui peut justifier son interdiction. Qu’il s agisse de Wafa ou d’un autre parti. Je cite, par exemple, Sid-Ahmed Ghozali, dont je ne partage pas du tout le point de vue et qui, pour moi, est coresponsable de la situation depuis juin 1991. C’est un point de vue politique, je préfère le combattre par les moyens de la démocratie.

 

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