Affaire zendjabil: Le juge d’Instruction demande des instructions….
AFFAIRE ZENDJABIL
Le juge d’Instruction demande des instructions….
Djameleddine Benchenouf, Algeria-Watch, 11 septembre 2006
Des sources bien informées confirment que des « recommandations » venues de très haut ont été données pour la conduite à tenir dans l’instruction de l’affaire Zendjabil. Les révélations de ce dernier sur l’implication de nombreux commis de l’Etat et de responsables sécuritaires dans le trafic de la drogue et du financement des islamistes armés sont d’une telle gravité que le juge d’instruction qui a été « pressenti » pour ouvrir le dossier a, de lui-même, demandé des instructions. Des responsables de la Police qui auraient déclenché un début d’enquête sans en référer à la DGSN auraient été rappelés à l’ordre et sommés de mettre un terme à leurs investigations.
La presse qui évite à l’évidence de traiter de cette affaire, peut être le plus grand scoop de ces dernières années, semble avoir été invitée à « respecter le secret de l’instruction ». L’écho d’Oran qui avait donné l’information dans son édition du 05 septembre sur les révélations de Zendjabil et sur l’audition de nombreux responsables sécuritaires de haut niveau par des enquêteurs des renseignements généraux, n’est plus revenu sur l’affaire. L’article de ce quotidien avait pourtant eu un succès retentissant dans toute l’Oranie et le journal avait disparu des étals. C’est un cas d’école pour édifier ceux qui n’ont pas d’idée sur la manipulation de la presse: Un quotidien qui donne un scoop, dont les révélations déclenchent une véritable clameur publique et qui, bizarrement, ne revient plus sur le sujet. Sans la moindre explication.
En fait, les confessions de Zendjabil sont un secret de polichinelle! Presque tous les Algériens, particulièrement ceux de l’Ouest du pays, savaient déjà que le trafic du kif, qui avait pris des proportions énormes pendant ces dernières années, était contrôlé par des responsables de l’armée, de la gendarmerie et de la police. Que la frontière avec le Maroc, supposée fermée, était ouverte à tous les vents et que le kif, entre autres produits prohibés ou non, y passait en plein jour. Les trafiquants du genre de Zendjabil à qui l’on prêtait la réputation de parrains n’étaient pourtant que des seconds couteaux. La connivence des trafiquants de drogue avec les islamistes armés, notamment ceux du GSPC étaient notoires. Nous avions, dans un article paru dans le journal Liberté en 2003, puis récemment sur Algeria Watch fait état de la « coopération » entre le GSPC et les services de sécurité et révélé que ces derniers étaient la cheville ouvrière du trafic.
Zendjabil Ahmed, la cinquantaine, fait partie de ces nombreux Algériens qui sont devenus milliardaires du jour au lendemain. Il avait entamé sa carrière en dealant à la petite semaine dans la ville de Chlef dans les années 7O. A la faveur de l’ouverture des frontières avec le Maroc, dans le début des années 80, il devint un important chef de réseau. Il avait découvert la panacée, à l’instar des autres parrains comme Salah Kopa, Bouchouareb, Chenafa, Gherfati et des dizaines d’autres moins connus, que le moyen le plus efficace pour ne pas « tomber » consistait à s’assurer une collaboration avec les gendarmes Garde Frontières (GGF) et les douaniers. Le passage et l’acheminement de la marchandise était assuré dorénavant par « la casquette ». Fini le temps des mulets, des passeurs et des chemins détournés. Le kif était dorénavant convoyé ou escorté par des officiers en tenue. Jusqu’à la fin des années 70, le trafic était destiné principalement à la consommation nationale. Il s’ouvrit petit à petit des routes vers la Libye, grâce surtout aux autocars de la société Salah Kopa dont les soutes à bagages étaient bourrées de kif traité, puis vers l’Europe, par de timides et hasardeuses opérations.
Le Maroc était devenu le premier exportateur mondial de cannabis. La demande de cette drogue par le marché européen était en augmentation croissante, en même temps que son exportation à partir du Maroc devenait de plus en plus difficile, du fait d’une surveillance accrue du trafic portuaire et des livraisons par vedettes rapides(Go fast) par les Européens, par l’Espagne tout particulièrement, puisque c’était par ce pays qu’était introduite la plus grosse partie de cannabis marocain. Les ports algériens, surtout ceux de l’Ouest de ce pays, allaient devenir l’exutoire naturel du trop plein marocain. Le trafic prit progressivement des proportions énormes. Il générait dorénavant des gains qui se comptaient en dizaines, puis en centaines de millions de dollars par an. Cela attisa naturellement l’appétit des officiers supérieurs de l’Armée. La règle d’or en Algérie est que ceux-ci devaient être les premiers à se servir à toutes les tables qui génèrent du profit illégal, comme la grande corruption, les commissions dans les marchés internationaux, les monopoles d’importations et toutes mamelles où ils pouvaient se sustenter sans bouger le petit doigt, en bons parrains d’un régime maffieux qui surpasse en puissance et en efficacité toutes les mafias du monde, puisqu’il dispose de la soumission et de la complicité active des services de sécurité, des magistrats, des politiciens et même des « électeurs ». Même pas besoin, comme la mafia russe de recourir à de gros bras pour s’imposer, puisqu’il suffit, en cas de « dysfonctionnement » de prendre le téléphone et d’appeler le juge, le commissaire, le commandant de groupement de gendarmerie, le directeur de la télévision ou tout autre responsable.
Les responsables sécuritaires commencèrent donc à s’intéresser au trafic. Plus les gains étaient importants, plus les hauts gradés s’impliquaient. Ils ne se contentaient plus de prélever une simple dîme, ils prenaient progressivement en main l’activité, se partageant des territoires, mettant en place des réseaux, s’assurant le concours d’autorités portuaires, ouvrant des routes sécurisées, mettant en place un dispositif de transport, organisant un système de « largage » ponctuel de trafiquants indépendants pour les besoins d’une image de marque d’un Etat qui combattait le fléau de la drogue. Le Kif qui entrait principalement par la région des H’dada, entre Maghnia et Oujda, allait se développer sur un partie importante de la frontière ouest de l’Algérie jusqu’au sud de Bechar, entre cette région et celle du Figuig, au Maroc. Une partie de la marchandise remonte vers Oran pour converger avec la filière des H’dada et prendre la direction de l’Europe, une autre, celle qui alimente le marché local de l’Est, celui de la Libye et au-delà, prend la direction du sud-est, par la filière dite de Naama, mais qui est en fait celle de tout la région et qui est assurée par des dizaines de réseaux. Tous néanmoins doivent allégeance à leurs parrains sécuritaires et au GSPC qui prélève une dîme pour ne pas gêner le trafic.
Au fil des ans, l’activité allait connaître une formidable prospérité. Les quantités globales de kif traité qui étaient introduites en Algérie, allaient passer d’environ 200 kg à plus d’une tonne par jour. En automne, à l’arrivée de la nouvelle récolte, ce chiffre est doublé. Il est difficile d’évaluer de façon sérieuse les quantités de kif qui entrent en Algérie mais des recoupements crédibles permettent de les situer entre 300 et 4OO tonnes par an. Soit environ le dixième de la production totale marocaine. Environ un milliard de dollars de gains. Au Maroc, les profits du trafic du kif profitent plus ou moins à 200 000 familles. En Algérie, la cagnotte va, pour une petite partie, dans la poche de quelques milliers de petits dealers, et en gros, dans celle de quelques dizaines de parrains de pacotille mais surtout dans celle de milliers d’agents de l’Etat, du simple gendarme au Général. Les officiers supérieurs de l’Armée et de la gendarmerie, les plus nombreux au grade de commandants, de lieutenants colonels et de colonels, ont pris la direction des opérations. Certains ont même réussi à introduire et à contrôler totalement le trafic de la cocaïne. Les parrains de façade, comme Zendjabil, qui n’en tirent pas moins des profits immenses, pèsent sur le marché le poids de celui de leurs protecteurs galonnés. Dans le cas de Zendjabil, ils sont les plus nombreux et les plus hauts gradés. L’importance de son réseau lui a fait jouer tout naturellement un rôle important pendant la décennie rouge. Il a servi de courroie de transmission entre des décideurs militaires et des islamistes armés dont le principal objectif était de commettre, sur commande des exactions contre les populations civiles. Zendjabil était chargé par ses protecteurs de financer les réseaux armés et de leur transmettre les instructions. Il assurait même une liaison entre les services secrets marocains qui devaient préserver le territoire marocain d’opérations terroristes et les réseaux du GSPC. Il semble même qu’il ait été utilisé dans des opérations de livraisons d’armes en provenance du Maroc aux islamistes armés.C’est ce rôle là et parce qu’il se savait condamné à la liquidation physique par ses protecteurs qui avaient lancé un contrat contre lui, que Zendjabil s’est rendu et qu’il a revendiqué le bénéfice des dispositions de la loi sur la paix et la réconciliation nationale. La justice algérienne qui auditionne des responsables intermédiaires, comme des magistrats, des commissaires principaux et des officiers subalternes tente désespérément de confiner l’instruction à la seule dimension du trafic de stupéfiants. Zendjabil, qui n’est pas né de la dernière pluie et qui sait que sa vie tient à un fil, a trouvé la méthode idoine. Il a fait savoir, par des canaux divers, que le trafic auquel il se livrait servait à financer le terrorisme et que ce sont des généraux de l’Armée algérienne qui lui ont demandé d’assumer cette mission. Cette affaire est beaucoup plus grave que celle de Abdelmoumen Khalifa. Car il n’y est pas seulement question de crime économique et de manipulations financières frauduleuses. L’affaire Zendjabil, si elle est instruite conformément à la Loi et au principe d’indépendance de la justice, par un juge d’instruction intègre, fera éclater la vérité sur le rôle de la junte dans la tragédie algérienne. L’on verrait alors sous un jour nouveau tous les ressorts qui sous tendent le contrat d’auto-amnistie que les généraux ont passé avec le chef de l’Etat. Ce qui équivaudrait à détricoter l’Etat par le bas et par le haut. Cela prouverait sans plus d’ambiguïté que l’Algérie est dirigée par des trafiquants et des tueurs de masse. Mais l’affaire Zendjabil fait partie de la nomenclature des nombreux scandales qui ne peuvent être traités ni par la presse « indépendante » ni par la justice algérienne autrement que par la désinformation. Donc, la montagne va encore accoucher d’une souris. A n’en pas douter!
Djamaledine BENCHENOUF
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