L’affaire Zendjabil se corse !

L’affaire Zendjabil se corse !

Djamaledine Benchenouf, Algeria-Watch, 8 octobre 2006

Tout le monde aura remarqué que le site Internet d’El Watan a été déconnecté après la parution d’un article sur l’affaire Zendjabil. Il ne s’agit pas d’un incident technique, mais bel et bien d’une action délibérée d’étouffer cette affaire qui n’a pas encore traitée à sa juste dimension par la presse occidentale et qui est donc encore inconnue de l’opinion de ces pays.

Cette affaire, autrement plus grave et plus compromettante pour « les forces de l’ordre » et de très hauts dignitaires de l’Etat, que l’affaire Khalifa, a totalement échappé à la vigilance des journalistes d’investigation spécialisés dans l’Algérie. Parce que même les plus perspicaces d’entre eux, par un souci, tout professionnel par ailleurs, de ne jamais s’avancer sans preuves tangibles, et par une tournure de l’esprit, tout occidentale et quelque peu angélique, ont toujours refusé de croire, bien qu’ils les aient eux même souvent dénoncés pour des « broutilles », que les généraux pouvaient aller si loin dans l’horreur et le cynisme.

Il faut signaler, pour rendre à César ce qui appartient à César, qu’hormis l’ « Echo d’Oran » qui en a fait état et Algéria Watch qui a fait éclater le scandale, seul le quotidien El Watan, sous la plume de Salima Tlemcani, a traité de cette affaire sous un angle relativement intéressant. Le titre de l’article est d’ailleurs assez inhabituel, en ce sens que les journalistes algériens ne se tirent jamais, ou si peu, dans les pattes. Le titre « Mystérieux silence autour du Pablo Escobar algérien » jette la pierre à une presse habituellement friande de scandales et qui boude totalement l’affaire criminelle, certainement la plus importante depuis l’indépendance du pays, en ce sens qu’elle implique des responsables au plus haut sommet de l’Etat, de l’armée notamment, qu’elle est intimement liée au terrorisme qui a endeuillé des dizaines de milliers de familles et qui a une relation étroite et parfaitement méconnue avec l’approvisionnement de l’Europe en cannabis, par des filières algériennes. Mais l’étonnant dans ce titre accusateur est que El Watan a lui même passé ce scandale sous silence… pendant deux mois.

Le fait est que des milieux non encore identifiés, certainement sécuritaires, peut être même politiques, ont lancé des consignes strictes de ne pas traiter le sujet. Sous le prétexte commode du secret de l’instruction. Il faut bien comprendre que « Consignes » est un euphémisme poli. Pour ne pas dire menaces. Comme cela se pratique depuis que la « presse indépendante » a été créée. Avec, dès le départ, le choix entre la carotte et le bâton.
El Watan a donc fini par aborder le sujet, malgré les menaces, ou peut être sur « instruction », comme le sussurent les mauvaises langues, et va jusqu’à évoquer le rôle de responsables sécuritaires : «Certaines indiscrétions font état de près d’une vingtaine de personnalités connues dans cette région, entre officiers supérieurs de l’ANP et de la Sûreté nationale, ainsi que des magistrats et des hauts cadres de l’Etat, qui ont été déjà entendues sur les révélations compromettantes de Zenjabil » et rappelle la connivence entre les services de sécurité de l’Etat et les « terroristes » dans l’acheminement de la drogue. L’article conclut par une chute qui en dit long : « Le silence qui entoure l’enquête, plus de deux mois après sa neutralisation, laisse croire néanmoins que des pressions sont actuellement exercées par des clans du système pour étouffer au plus vite les révélations de Zenjabil, ou à la limite pousser ce dernier à la loi de l’omerta tant les enjeux sont importants et graves.»

Mais malheureusement, car il y a malheureusement un « mais », dans le traitement de l’affaire Zendjabil par « El Watan », est que la journaliste, pourtant considérée comme une initiée très proche de certaines sources sécuritaires d’informations, et qui a certainement une parfaite connaissance de l’affaire, de ses tenants, de ses aboutissants, a totalement occulté le rôle des vrais responsables du trafic du Kif qui transite par l’Algérie pour être acheminé vers l’Europe et dont le volume avoisine les 300 tonnes par an. Lors de sa « reddition », Zendjabil qui a revendiqué le bénéfice des dispositions de « la réconciliation nationale » et qui a déclaré avoir financé le terrorisme pendant des années, a surtout désigné des généraux et de très nombreux officiers supérieurs de l’Armée, dont certains s’étaient distingués dans la lutte contre le « terrorisme », comme ses supérieurs et ses commanditaires. Cela aussi a été passé sous silence par la journaliste. Et c’est cela qui est le plus grave. Parce que ces accusations gravissimes, si elles s’avèrent fondées, et qui sont de toute façon connues de l’opinion algérienne depuis des années, jettent un éclairage sans équivoque sur la tragédie algérienne.

C’est cet aspect là de l’affaire qui a nécessité le black-out de la presse sur l’affaire Zendjabil, puis son traitement par des méthodes subtiles qui pourraient consister à en escamoter la vérité. Celle qui prouverait à travers cette affaire que la junte au pouvoir dans les années 90 a utilisé les services de trafiquants de tout poil pour financer, instrumenter, infiltrer et manipuler les groupes armés islamistes. Si Zendjabil s’est rendu de son propre chef alors que sa fortune considérable aurait pu lui permettre de se fondre dans la nature, c’est qu’il savait qu’un contrat avait été lancé contre lui depuis des mois. Ses confessions pourraient ébranler tous les barons du régime, même ceux qui étaient en dehors de cette dynamique criminelle. Elle pourrait aussi mettre en péril et remettre en cause toute cette mascarade d’auto-amnistie. Elle pourrait aussi réveiller d’autres scandales que le régime s’échine à étouffer, comme celui des crédits bancaires, des fausses domiciliations, de l’assassinat de Boudiaf, de l’économie informelle et d’innombrables autres, qui toutes ont des connections avec la violence qui s’est déchaînée contre les populations et qui finiront, un jour ou l’autre, par se frayer un chemin vers l’opinion. C’est cette issue qui est particulièrement redoutée par le régime. Car jusque là, grâce à une télévision aux ordres, le média le plus accessible à 95% de la population, mais aussi à une presse écrite qui ne s’attaque jamais à l’essentiel, l’opinion n’a pas d’idée précise sur l’ampleur du saccage et du crime de masse qui ont été perpétrés contre le pays.

« Le peuple n’a pas besoin de savoir » comme avait dit Boumediene en son temps, sur des scandales d’une autre nature. C’est cette préoccupation vitale pour eux, qui pourrait amener les clans qui se livrent une guerre de positions à observer une trêve. Le temps d’évacuer le problème Zendjabil qui risquerait de lever le voile. Sur une république de voyous.

Des sources sûres et éprouvées, comme le mentionne El Watan par ailleurs, font état de pressions qui sont exercées sur Zendjabil pour l’amener à revoir sa copie et à revenir sur certaines déclarations compromettantes. En échange du traitement privilégié réservé aux repentis « terroristes ». Jusqu’à ce que la montagne accouche d’une souris, comme nous l’avons déjà dit. A moins que….

Djamaledine BENCHENOUF
http://esperal2003.blogspot.com/