Subprimes et sous-institutions
par Abed Charef, Le Quotidien d’Oran, 23 octobre 2008
La crise est inquiétante. Mais plus que la crise, c’est l’absence d’institutions pour la contrer qui inquiète le plus.
La crise financière qui a ébranlé l’économie mondiale, menaçant de pousser vingt millions de personnes au chômage et 200 millions d’autres vers la pauvreté, a eu pour cause des crédits hypothécaires douteux, les fameux «subprimes ». Dans une Amérique aussi heureuse qu’insouciante, des intermédiaires, soucieux d’abord de vendre du « produit », sans être trop regardant sur ce qu’il y avait dans la boîte, ont trop facilement accordé des crédits à des clients potentiellement insolvables.
C’est donc le laxisme des banquiers, avec la complicité de pouvoirs publics, qui a débouché sur un nombre trop élevé de constructions dont les propriétaires se sont révélés incapables d’honorer leurs échéances. Ces prêts, transformés en titres, et mélangés à d’autres produits, étaient revendus sur le marché, dans un emballage anonyme. Sous l’effet de la mondialisation de l’économie, ils se sont retrouvés disséminés dans le monde entier. Et c’est ainsi qu’une banque italienne, d’Afrique du Sud ou du Luxembourg, pour peu qu’elle ait tenté de faire joujou sur le marché international, s’est retrouvée, sans même le savoir, propriétaire de titres qui n’avaient pas de valeur. Quand la crise s’est propagée, et menacé d’emporter l’économie mondiale, différentes parades ont été envisagées. Après de nombreuses hésitations, les principales puissances économiques en ont finalement retenu une qui, sans faire consensus, a obtenu une large adhésion : il faut un retour en force de l’Etat, même temporaire, et un sérieux renforcement des instruments de régulation, à la fois pour résoudre la crise et éviter qu’elle ne se répète. Des ultralibéraux, comme Nicolas Sarkozy et George Bush, n’ont pas hésité à nationaliser des banques et à utiliser l’argent public pour sauver des institutions privées, eux qui sont traditionnellement des ennemis forcenés de l’Etat comme acteur économique.
Experts et hommes politiques ont, cette fois-ci, préconisé la même médication, après avoir fait le même constat. Ils ont convenu qu’il faut une sérieuse correction, après la dérèglementation forcenée menée par les pays occidentaux depuis que l’ancien président américain Ronald Reagan et l’ancien Premier ministre britannique Margaret Thatcher avaient démantelé le peu d’état qu’il y avait dans l’économie de ces deux pays, servant plus tard de modèle aux autres économies libérales. Dans une autre galaxie, un pays, qui s’appelle l’Algérie, a redécouvert les vertus de l’Etat entrepreneur. Comment ? Pourquoi ? On ne le sait. Depuis l’été 2008, et le fameux discours du président Abdelaziz Bouteflika reconnaissant que le pays a échoué à établir une économie viable, tout le monde s’est mis à chanter les louanges de l’Etat comme acteur économique central. Même Abdelhamid Temmar a entonné ce refrain, lui qui s’était auparavant fait le champion de la privatisation, comme le prouve la multitude de listes d’entreprises à privatiser sous son règne. Qu’a fait l’Etat de Abdelhamid Temmar depuis que l’Algérie officielle a redécouvert les vertus de l’Etat entrepreneur ? Beaucoup de discours, il faut le reconnaître, mais rien de concret. Pendant ce temps, les Etats, qui n’avaient pas l’habitude d’intervenir en économie, avaient levé près de 1.500 milliards de dollars en moins d’une semaine, et mis en place des mécanismes suffisamment crédibles pour éviter un écroulement de l’économie. Pourtant, les dirigeants politiques de ces pays n’ont, à aucun moment, chanté les louanges de l’Etat entrepreneur. Ils se sont retrouvés face à une situation de crise grave, ils ont engagé des consultations, défini une démarche, et lancé une action concertée. Ils ont choisi des solutions, tout en promettant de se retirer du circuit dès que la situation sera rétablie. C’est toute la différence entre un Etat efficace et un Etat nuisible : le premier agit quand il faut, là où il fait ; le second se mêle de tout, et d’abord de ce qui ne le regarde pas ; il échoue dans ce qu’il entreprend, et empêche les acteurs économiques et sociaux de jouer leur rôle. L’Etat américain fait subir au monde les conséquences de ses propre errements, et va exporter l’essentiel de ses problèmes vers les pays les plus vulnérables. L’Etat algérien va importer une crise dans laquelle il n’a rien à voir, mais dont il va subir frontalement les effets : le baril de pétrole a d’ores et déjà perdu la moitié de sa valeur sur le marché international.
Plus que les dollars ou la puissance militaire, c’est donc ce décalage institutionnel qui marque la différence fondamentale entre pays développés, pays en développement et pays sous-développés. Les premiers ont des institutions pérennes, avec des règles du jeu bien établies, ne souffrant aucun doute, même si elles sont parfois injustes. Les seconds sont en train de se construire des traditions et des institutions, et apprennent à les respecter. Brésil, Afrique du Sud, Inde, et autres pays émergents ont mis en place des mécanismes institutionnels qui leur servent d’appui pour décoller. Les pays sous-développés souffrent quant à eux d’institutions inefficaces, avec des ministères qui ne servent à rien et des administrations qui constituent de véritables handicaps face aux acteurs économiques. Aux Etats-Unis comme en Espagne, un dysfonctionnement du système a provoqué une explosion du crédit immobilier, ce qui a débouché sur un excédent de constructions nouvelles qui ne trouvent pas preneurs : il y a trop de constructions et pas assez de clients ! En Algérie, il y a la demande très forte de logements, l’argent disponible, la volonté officielle de construire un million de logements, mais le pays est incapable de les réaliser, ce qui amène les structures chargées du dossier à ajouter le mensonge à l’échec ! Les pays qui ont un Etat efficace peuvent donc débattre de cette question : faut-il plus d’Etat ou moins d’Etat ? Faut-il donner un plus grand rôle à l’Etat dans l’activité économique, ou faut-il le limiter à la seule régulation ? L’Etat doit-il partager la mission de régulation avec le marché, ou doit-il en détenir le monopole ? Quant aux autres pays, ils doivent d’abord construire un Etat…