Dahou Ould Kablia répond à Addi Lahouari
Dahou Ould Kablia répond à Addi Lahouari
L’armée, selon M. Addi Lahouari
Par Dahou Ould Kablia (*), Le Soir d’Algérie 22 juillet 2008
Vous avez pris, depuis longtemps, la courageuse initiative, d’ouvrir les colonnes de votre journal à tous ceux qui souhaitent enrichir le débat national sur les questions les plus diverses impliquant le passé, le présent, ou le devenir de notre pays. Dans le numéro du 20 juillet, ce fut le tour du Pr Addi Lahouari de le faire à travers une mise au point ciblée, qu’il a mise à profit pour commettre un long développement sous le titre «devoir de mémoire et les impératifs scientifiques».
La lecture de ce réquisitoire amène, malheureusement pour lui, à la conclusion qu’il ne possède ni la mémoire suffisante pour traiter des problèmes de la guerre de Libération nationale, ni la méthodologie indispensable pour les analyser de manière scientifique. Son analyse est basée essentiellement sur des préjugés fallacieux à l’endroit de certains dirigeants de cette époque et des convictions non moins fallacieuses sur l’influence de ces dirigeants sur la seule force de l’Etat post-Indépendance, c’est-à-dire l’institution militaire. Se dédouanant de prime abord et à plusieurs reprises de toute «hostilité envers cette institution», il n’en déclare pas moins que sa forte politisation et le rôle qu’elle s’est attribué, de l’Indépendance à ce jour, sont à l’origine de toutes les dérives qui ont mené le pays, selon ses dires, à «la faillite de l’économie nationale, l’archaïsme de l’école, l’effondrement de l’université, le délabrement des hôpitaux, l’arbitraire des tribunaux, la corruption généralisée…», et cela par le fait que le choix des hommes à tous les niveaux de responsabilité a été et est toujours imposé par l’armée «pourvoyeur exclusif de légitimité», par officines interposées. Sur sa vision propre de cette institution, il la verrait, quant à lui, une armée «forte, disciplinée, professionnelle, loyale, respectueuse de la Constitution et des dirigeants issus d’un suffrage populaire seul source de légitimité». Sans m’attarder sur son déni de légitimité au suffrage populaire tel qu’il se pratique dans notre pays, je reviens sur le sens qu’il entend donner, dans cette vision, à sa conception «d’armée disciplinée», qui n’a pas été choisi innocemment. Disciplinée serait donc, d’après lui, synonyme d’aveugle, sourde, aphone et probablement paraplégique. Alors qu’il sache que dans la plupart des pays du monde, notamment chez les plus puissants et les plus démocratiques, l’institution militaire est, face aux périls permanents, un rempart solide, une force matérielle et une force morale, donc une force forcément politique dont le poids a un rapport direct avec toutes les stratégies de défense et de survie élaborée ou mises en œuvre. L’Algérie, encore moins, ne peut échapper à cette règle ; elle qui a pu accéder à l’Indépendance dans la plénitude de sa souveraineté grâce à l’Armée de libération nationale et au sacrifice incommensurable d’une population qu’elle a mobilisée et encadrée. Depuis, elle n’a cessé de faire face aux dangers, celui de l’éclatement de l’unité intérieure dès les premières années de l’Indépendance, puis celui de l’agression extérieure à sa frontière Ouest à la même époque et d’autres dangers encore dont le plus grave a failli, durant la décennie rouge, emporter l’Etat, pulvériser le ciment social, plonger la nation dans un système d’un autre âge par une expérience projetée que M. Addi imaginait se déclinant en «régression féconde». Ensuite pour expliquer comment l’institution militaire a accédé à ce statut de super-Etat, notre professeur-historien prend le chemin le plus saugrenu : l’influence maléfique d’un seul homme, Abdelhafidh Boussouf qui a imprimé aux cadres de l’armée, une culture politique basée sur la volonté de puissance faisant de l’Algérie une «réalité mystique dans laquelle les Algériens sont dissous et n’ont aucune existence humaine». Il ajoute : «L’esprit Boussouf a vidé l’indépendance de son contenu et donné la victoire à la France trente ans après l’insurrection de Novembre !» M. Addi ne mesure nullement l’incongruité de ses propos avançant de nouvelles accusations d’une extrême gravité : Boussouf «suspicieux voyant des traîtres partout et assassinant à tour de bras». Boussouf «hostile à Ferhat Abbès qu’il insultait publiquement, révélant sa haine pour les politiciens et les valeurs libérales ». Il n’entre pas dans mon intention de réfuter dans cet article, l’inconsistance de ses propos. Cela serait sans effet sur quelqu’un qui a dépassé toutes les limites de l’outrance contre un homme dont il ignore tout, tout en suggérant de «combler une lacune en préparant des thèses sur sa personne ». L’outrance est dirigée également et surtout contre une institution, l’Armée nationale populaire, qui porte bien son nom de socle puissant de la souveraineté populaire qu’elle sert par son patriotisme, son sens du devoir, sa cohésion, sa compétence et son engagement. Je n’en dirai pas plus, laissant le soin aux lecteurs d’apprécier la littérature de notre professeur qui a encore beaucoup de choses à apprendre sur une révolution riche de hauts faits guerriers et de valeurs patriotiques irréversibles, avant de distiller sa «science académique» aux autres. Un conseil toutefois, que M. Addi reste dans le confort douillet de son Université de Lyon, dans sa nouvelle patrie ; qu’il laisse Boussouf reposer en paix, qu’il laisse l’institution militaire achever sa mission contre les ennemis en tous genres de la nation et qu’il laisse les Algériens d’ici assumer leur passé et construire avec les dirigeants qu’ils se sont librement donnés leur avenir.
D. O. K.
(*) Président de l’association nationale des anciens du MALG