Du FFS, des « savants », de l’inéluctable et de quelques affligeants postulats
Khaled Ziri, La Nation, 29 Mai 2012
Pour un parti dont on ne ce cesse de proclamer la mort clinique, que l’on décrète à l’article de la mort, voire complètement mort, le FFS suscite une littérature fort abondante. La dernière accusation en date consiste, dans un soupir consterné, à déplorer que le parti ait vendu son âme au DRS…pour quelques sièges à l’APN. Tant d’articles, de commentaires et des jugements définitifs pour un parti que l’on dit «fini», « qui ne pèse plus rien » et dont « on n’attend plus rien » est plutôt surprenant. Ou alors le FFS n’est pas aussi « fini » qu’on le prétend et dans ce cas on verse dans la disproportion, la caricature ou la pure calomnie.
Une « crise » d’identité au FFS
Le plus curieux est que même ceux qui n’ont jamais milité au FFS – ou ailleurs – se permettent de donner un avis décisif sur le choix du FFS et sur ce qu’il doit « impérativement » faire. Il ne nous revient pas de juger les positionnements des militants du FFS, cela relève pour une grande part de rapports internes animés par des égos démesurément enflés par des années de passivité plus ou moins forcée. Finalement, on peut observer, avec un intérêt amusé, que la décision, présumée controversée du FFS de participer aux élections, a eu pour effet de réveiller un gisement substantiel de militance assoupie ou en déshérence. Ce qui tendrait à confirmer que le « mouvement dans le statuquo » a du sens dans le parti à tout le moins. Les états d’âmes actuels ne sont pas réductibles aux seuls égos – même s’ils pèsent fortement – de ceux qui pensent ou croient que le temps est venu de s’emparer du parti mais une question plus significative quant à son identité politique. Le « frontisme » du FFS se fonde sur un minimum commun de défense de la démocratie et des libertés et si elle était, à des débuts, clairement marqué à gauche, cette identité s’est étiolée au fil du temps et des impératifs du combat contre la dictature. Quand, au niveau interne, on ne veut pas dévoyer le débat au sujet d’une participation aux élections, c’est bien la question de l’identité politique du FFS qui est posée. La priorité, justifiée, donnée au combat pour les libertés doit-elle pour autant dispenser le FFS de s’assumer comme un parti progressiste, en conformité avec les intérêts de sa base sociale ? Quid aussi de sa vision des relations internationales, des rapports avec le « centre » dominant ? Jusqu’à présent le cadrage « nationaliste » a servi de trame générale, mais cela à l’évidence ne suffit pas dans un monde qui connait des accélérations remarquables et par, certains aspects, inquiétantes. Toutes ces questions de fond ont été sans cesse différées par la logique unitaire, « frontiste », avec pour effet collatéral régulier que les aspirants à la direction et d’une manière générale à la « représentation » ont la possibilité de faire surenchère de radicalisme politique abstrait et désincarné, hors de tout ancrage social. On arrêtera-là, les remarques qu’inspirent les états d’âmes – parfois funambulesques – qui s’expriment au sein du FFS. Il faut juste noter que le parti semble démuni et acculé à la défensive alors que les arguments qu’il a avancés pour justifier la participation sont parfaitement cohérents et articulés. En ne disposant pas de son propre média où les débats peuvent se mener librement, ce sont les journaux qui orientent les contenus avec une tendance, naturelle, à privilégier le sensationnalisme sur le fond du débat. A la longue, cette incapacité à se doter de moyens de communication se révèle comme un facteur de désorientation. C’est tout ce que l’on peut dire avec une égale empathie pour les militants de ce parti, qu’ils soient en accord avec la ligne officielle ou en « dissidence ». Il leur revient de veiller à ce que le débat, même rude, qu’ils mènent au sujet de leur parti ne soit pas parasité de l’extérieur…
Des postulats faux et de l’inéluctable qui peut ne pas advenir !
Des parasitages, il n’en a pas manqué. On choisira d’évoquer, ici, celui de Lahouari Addi qui voudrait envelopper son propos d’une sorte d’une discutable aura académique. Les bons économistes rappellent souvent, avec humilité, qu’il n’y a pas de « sciences économiques » mais qu’il n’est que d’économie politique. A plus forte raison, il n’y a pas de « sciences » politiques, mais n’existe que l’observation des réalités et, l’établissement de constats les plus corrects possibles. Si dans l’analyse l’utopie ne doit pas être évacuée, elle doit servir à déterminer des objectifs réalisables. En parlant du FFS, Lahouari Addi, connu pour ses analyses – pas toujours étayées par la réalité – mais pas pour son militantisme, est sorti du rôle du politologue pour assener des jugements dont le simplisme est totalement confondant. Il somme même le FFS de se retirer de l’APN au risque, selon cette éminence « de se discréditer complètement ». Quelles seraient donc les raisons pour lesquelles ce parti devrait abandonner l’Assemblée ? « Il faut que le FFS se retire pour préserver son image car il va y avoir du nouveau. Le régime algérien est usé et l’Algérie a besoin d’un régime nouveau. C’est ce que pensent des militaires qui n’attendent que le soulèvement pour effacer le coup d’Etat de 1992 ». Passons sur le fait que M.Addi ne dispose pas de qualifications particulières pour dire au FFS ce qu’il doit faire. Mais allons surtout aux postulats que l’on retrouve partout chez les détracteurs du FFS : une révolution dans la société va arriver « inéluctablement », « il va y avoir du nouveau », quelque chose serait en marche chez les militaires et à l’extérieur. Et quand on dit de l’extérieur, cela veut dire en bon français et dans une langue arabe tout aussi élégante, les Etats-Unis et accessoirement la France.
Une révolution est-elle en marche ?
Ceux qui vivent en Algérie, prennent les trains, les bus, vont aux souks, déambulent dans un arrière-pays délaissé et observent avec empathie – mais sans le filtre ni les œillères des théories préétablies – conviennent unanimement du grand potentiel de violence sociale et convergent sur le fait que le pays est très loin d’une révolution. Constater la violence du désarroi qu’aucune organisation politique n’arrive à prendre en charge et à la « politiser » en le présentant comme une révolution en marche relève de l’aveuglément. Le spontanéisme révolutionnaire dans une société qui a perdu une bonne partie de son élite au cours des années 90 et où la dépolitisation sur fond de bigotisme est une donnée structurante serait-il une option ? C’est cette thèse – reprise naïvement et avec une prétention scientifique par Lahouari Addi – d’une révolution en marche qui est au centre des dénonciations véhémentes contre la participation du FFS aux législatives. Bien entendu, le « changement est inéluctable » comme l’assène M.Addi. Mais personne ne se hasarde à donner la date d’occurrence de ce changement « inéluctable »…Dans quelles conditions se déroulera cette inéluctabilité? Si on n’est pas en mesure d’en parler avec précision, « l’inéluctabilité » ouverte sur un temps indéfini, ressemble à cette ligne d’horizon qui s’éloigne à mesure que l’on s’en rapproche. Ou à un truisme en bonne et due forme : le jour finira bien par succéder à la nuit… Cette évanescente « inéluctabilité » n’est rien d’autre qu’un commode élément de langage. Il revient très régulièrement dans le discours de ceux qui ont choisi de mettre en position d’attente perpétuelle. Ce non-argument sert aujourd’hui à dénoncer ceux qui prennent des risques et tentent une voie pour remettre de la politique dans un pays livré à la répression, à la corruption et au bigotisme religieux … Ceux qui ont prôné le boycott expriment une position politique respectable mais qui consiste, en l’état actuel des blocages, à ne rien faire. Certains parce qu’ils estiment avec conviction qu’il ne faut rien attendre de cette société, d’autres parce qu’ils croient que la révolution va venir « inéluctablement » un jour… ou l’autre. Cette littérature chez les ferrailleurs des réseaux sociaux prête à sourire, mais quand c’est un sociologue qui l’assène du haut de sa chaire de « science politique » c’est nettement moins sympathique.
Thèse II – Les militaires veulent le changement
« Le régime algérien est usé et l’Algérie a besoin d’un régime nouveau. C’est ce que pensent des militaires qui n’attendent que le soulèvement pour effacer le coup d’Etat de 1992 ». On n’ira pas demander à M.Addi l’identité et le grade de ces « militaires » qui attendent le « soulèvement pour effacer le coup d’Etat de 1992 ». Il a droit à la protection de ses sources même si ce type de déclaration surprend inévitablement ceux qui connaissent le mode de fonctionnement du système algérien. Mais en quoi un « soulèvement » populaire aiderait des militaires présumés réformistes ou révolutionnaires à revenir à la période antérieure à 1992 ? Pour redorer un hypothétique blason ? Pourquoi adhéreraient-ils à une dynamique qui aurait, in fine, pour conséquence de les déposséder d’une confortable emprise sur le système politique local ? Il est quelque peu surprenant d’entendre la reprise d’affirmations de café du commerce par une éminence universitaire. En général, en cas de désordre dans la société, le réflexe quasi-automatique de l’appareil militaire est de faire corps. Et de mater. Certes des situations peuvent exister où un soulèvement populaire peut précipiter ou favoriser un coup d’Etat interne. On l’a vu en Tunisie ou en Egypte. Mais ramener la situation algérienne à ces contextes très différents est au moins aussi aléatoire que la théorie de «l’inéluctabilité» du changement qui aura bien lieu « un jour ou l’autre »…. Mais en règle générale, sauf effondrement généralisé et dévastateur, l’histoire enseigne que les soulèvements ne sont pas propices à des changements au sein des appareils sécuritaires. Il faut avoir une imagination taraudée par l’impatience de voir ses thèses se réaliser pour croire le contraire et d’espérer que l’ANP effectue un coup d’état contre le DRS. Et, il faut le souligner, le régime parvient grâce à la manne pétrolière à redistribuer et atténuer le potentiel de violence et à annihiler des jonctions politiques éventuelles. Il est dangereux de se bercer d’illusions et encore plus de les faire admettre comme vérités d’évidence. Il y a un combat politique, difficile, à mener pour amener les algériens à s’organiser et imposer le changement. L’évolution politique passe par la construction d’un rapport de force politique le terrain. Et pas en attendant un inéluctable Godot…
Le changement par l’extérieur
Faut-il évoquer cette thèse ? Les Etats-Unis et leurs relais expriment des attentes, essentiellement économiques et sécuritaires, à l’égard du régime algérien. Elles sont en général exaucées sans qu’ils aient à suggérer une ingérence directe qu’ils savent totalement inacceptable par la majorité des algériens. Seuls ceux qui évoluent dans des altitudes oniriques peuvent imaginer que les occidentaux chercheraient à peser pour un changement démocratique en Algérie. Et en général, ces doux rêveurs sont considérés par les chancelleries comme des acteurs sans consistance politique mais que l’on peut utiliser accessoirement dans des petits jeux médiatiques. Sur le fond, les occidentaux savent que s’ils tentaient de rééditer une aventure à la libyenne, ils se heurteraient à une farouche résistance en Algérie. Ce qui est consternant face à ces « analyses » est de constater que les occidentaux paraissent bien plus au fait des réalités. Ils n’ignorent ni l’état de violence endémique qui prévaut dans le pays, ni l’impotence du système politique, ni la prégnance du réflexe nationaliste malgré les vicissitudes d’un régime corrompu et corrupteur. Même s’ils souhaiteraient des aménagements cosmétiques, les occidentaux ne l’estiment nullement sur le « point de s’effondrer » et, surtout, ils n’ont aucune raison sérieuse de pousser à l’effondrement. Les occidentaux ont si bien « joué » en Libye que cela a provoqué un tsunami au Sahel qui rend le régime algérien plus utile que jamais. Mais comment expliquer à des personnages qui ne voient la réalité qu’a travers le prisme de leurs illusions – leur souci premier étant de démontrer que leur thèse est « inéluctable »- que le FFS n’est pas leur ennemi, qu’il n’a pas, en participant aux élections, empêché une révolution qui n’a rien « d’inéluctable ».