L’onde de choc Aït Ahmed

Sa disparition a ravivé l’aspiration à la démocratie

L’onde de choc Aït Ahmed

El Watan, 3 janvier 2016

Les hommages rendus à Hocine Aït Ahmed n’ont pas seulement exprimé l’attachement aux valeurs qu’il a défendues toute sa vie, mais aussi une très forte volonté de capitaliser son combat pour reconstruire une adhésion nationale
à l’idéal démocratique.

Il est des moments décisifs dans l’histoire d’un pays, d’une nation. L’Algérie, qui doute d’elle-même, de son identité et de son devenir, vient de vivre une semaine des plus déchirantes. Depuis l’annonce de la disparition, le 23 décembre dernier, d’un de ses pères fondateurs, Hocine Aït Ahmed, et jusqu’à ses historiques funérailles, le pays était saisi d’une ferveur nationale rare alors que la nation était déjà très mal en point. C’est cette nation ré-unie qui s’est donné rendez-vous à Aïn El Hammam, ce haut lieu de la résistance, pour couronner un chef politique d’exception. Ils sont venus des quatre coins du pays, de Tamanrasset, Adrar, Aïn M’lila, Oran, Mascara et de la vallée du M’zab pour saluer l’homme et surtout pour hériter de son idéal.

De l’enterrement de cette figure politique aux mille combats, quelque chose, en tout cas, est née. Un fort désir d’une autre Algérie incarnée par un Etat de démocratie, des libertés, de progrès et d’émancipation. Un besoin criant d’une Algérie plurielle, ouverte, moderne et prospère, pas celle de la répression, du déni et des injustices. La disparition de l’impénitent militant a ravivé la flamme de l’espoir.

Une résurrection et, osons le dire, la renaissance d’une nation. Un désir de la nation, un désir d’Aït Ahmed car il a été l’homme de cette nation. «La peine et l’émotion des Algériens n’ont eu d’égale que leur indignation envers le gâchis immense occasionné depuis l’indépendance à la communauté nationale par l’ostracisme des pouvoirs en place à l’encontre des orientations de sauvegarde nationale que Aït Ahmed préconisait.

C’est pourquoi de larges milieux patriotiques ont exprimé le sentiment d’une grande perte», écrit le vieux militant nationaliste Sadek Hadjeres dans un bel hommage à son ami et camarade Aït Ahmed. Le vieux militant communiste, qui a subi aussi les affres de la persécution et de l’exil, conclut son hommage en assénant qu’après l’émotion et la grande ferveur «vient pour tous le moment de la réflexion et de la mobilisation». La forte présence de la jeunesse, qui pourtant n’a pas connu Hocine Aït Ahmed, «désabusée» par les errements politiques d’un pouvoir à bout de souffle, est un signe puissant et qui ne trompe pas.

Un moment révélateur qu’il serait inutile de réduire à son unique dimension de deuil ou d’émotion. Une nouvelle génération qui fait corps avec la jeunesse et la justesse des idéaux portés par Aït Ahmed et bien d’autres compagnons de lutte. Le rejet de la délégation gouvernementale n’exprime en rien la haine des hommes, mais le refus énergique des choix politiques inopérants et qui ne répondent plus aux aspirations de la société qui envoie ainsi un message ; elle interpelle les consciences et met les élites politiques devant leurs responsabilités historiques.

«C’est un message de maturité et, au-delà des clivages et des divisions, le peuple est uni autour des idéaux dont il a perçu, en la personnalité de Hocine Aït Ahmed, l’incarnation. Des valeurs d’intégrité, de rectitude et d’engagement en faveur de toute une nation. Aït Ahmed nous a laissé un dernier cadeau : la possibilité de reconstruire le tissu national, une occasion de conclure de nouveau un pacte national, bref la chance de bâtir une deuxième République fondée justement sur les valeurs qu’il a toujours incarnées», discerne la sociologue Fatma Oussedik.

Hamrouche, l’«héritier» naturel

«Il a, qu’on le veuille ou pas, éveillé les consciences : l’honnêteté, les principes et les convictions chevillés à son corps vont peut-être faire des émules parmi les jeunes qui n’ont connu, depuis leur naissance, que la corruption et l’argent sale. Il peut devenir un exemple à suivre pour toute une jeunesse qui cherche des repères», décèle pour sa part la constitutionnaliste Fatiha Benabbou. Faut-il parier sur une nouvelle dynamique politique nationale qui naîtrait de ce moment historique ? Aït Ahmed qui de tout temps a fait le pari de ce qu’il appellait «la voie algérienne» a creusé un sillon de renouveau algérien. «Certainement, la mort d’un grand homme qui a sacrifié sa vie à la nation va donner à réfléchir. Il faudrait un débat sur ce sujet car Aït Ahmed n’était pas homme à faire et à dire n’importe quoi.

Il avait une profondeur et une vision à long terme de sa patrie et il était du genre à sacrifier ses intérêts immédiats à ceux de sa patrie. C’est ce qui fait de lui un homme d’Etat et non un simple homme politique», poursuit Mme Benabbou. «Lors des obsèques d’Aït Ahmed s’est exprimée aussi une forte demande d’un personnel politique digne», estime le politologue Mohamed Hennad.

Se pose alors le vrai défi, celui de savoir comment et qui sont les bâtisseurs en mesure de capitaliser cet espoir qui s’est manifesté à Ath Ahmed. Et c’est là le rôle déterminant des élites politiques, sociales et intellectuelles. Comment réunir les conditions nécessaires à la rencontre des aspirations de la société pour une refondation nationale avec la capacité des élites à ouvrir des perspectives nouvelles et à traduire politiquement ces attentes. De nombreux acteurs politiques ont montré cette disponibilité. Des anciens cadres dirigeants du FFS, des personnalités nationales, des partis politiques semblent en tout cas prêts à forger des compromis politiques.

Un homme a réémergé dans cette circonstance. Il a été acclamé par la foule nombreuse aux obsèques d’Aït Ahmed qui l’ont propulsé une autre fois aux devants de la scène. C’est Mouloud Hamrouche, dont les liens politiques avec le défunt sont évidents. Il est désigné comme «l’héritier naturel» d’une charge politique immense. En 2004, lors d’un grand meeting animé à Aïn Benian (Alger), Aït Ahmed avait déclaré : «Je suis vieux, je vous laisse Hamrouche.»

Avant-hier, l’ancien chef de gouvernement réformateur a réaffirmé ce serment de fidélité : «Nous faisons des adieux avec douleur au grand Hocine Aït Ahmed, mais avec un grand espoir parce que fidèles à l’engagement nous demeurerons.» Le compagnon d’Aït Ahmed durant ces dernières décennies est comme investi d’une mission difficile. Lui qui sillonne le pays pour tenter de rassembler est appelé, aujourd’hui plus que jamais, à sauter le pas. Passer du stade des alertes et des messages à l’action. Il peut être le fédérateur de toutes les forces patriotiques en vue de construire un «nouveau consensus national» et «forcer» le régime à accepter de négocier une issue à la crise. C’est un autre rendez-vous avec la nation à ne pas manquer.
Hacen Ouali