Miracle financier à Alger
par Abed Charef, Le Quotidien d’Oran, 9 octobre 2008
La crise qui ébranle le système financier mondial ne touche que modérément l’Algérie. Faut-il pour autant s’en féliciter?
Rien n’est moins sûr, au vu de ce que cela peut signifier pour le pays.
C’est un véritable «tsunami» qui menace la finance internationale. Les entreprises concernées sont des géants de la finance, les sommes en jeu sont colossales et les mesures prises sont à la mesure de l’enjeu: elles ne tiennent plus compte des préjugés politiques et idéologiques. Ainsi, les gouvernements prennent des mesures contraires à leurs choix politiques. Des exécutifs de droite sont amenés à nationaliser des banques pour éviter la banqueroute, alors que des équipes de gauche soutiennent des banques privées, pour ne pas sombrer avec leur économie.
Cette déferlante n’aura, pourtant, qu’un impact modéré sur l’Algérie. Les effets de la crise se feront sentir essentiellement sous deux aspects. En premier lieu, évidemment, sur le prix du pétrole.
La crise risque, en effet, d’avoir un effet durable sur le prix de ce produit qui constitue la quasi-totalité des recettes du pays en devises. La récession, déjà en place, a déjà fait perdre au pétrole plus de 50 dollars, soit plus de la moitié de son prix actuel.
Dans les années qui viennent, une récession durable aux Etats-Unis entraînerait l’ensemble de l’économie mondiale vers le bas. Les pays émergents ne pourront compenser la dégringolade américaine, d’autant plus qu’eux-mêmes en subiront, de plein fouet, les effets, car une Amérique en crise ne peut maintenir le flux des importations en provenance de la Chine, par exemple, ce qui risque de porter un sérieux coup à la croissance chinoise.
Qui dit récession, dit baisse de la consommation d’énergie, avec un recul ou, au mieux, une stagnation des prix du pétrole.
A cette menace, s’ajoute une autre, liée à la valeur du dollar: que vaudra la monnaie américaine si le monde s’installe dans une récession durable? On a déjà vu le dollar perdre le tiers de sa valeur, en quelques mois, dans des conditions normales.
En période de crise, le rythme peut s’accélérer, particulièrement si les autorités américaines font le choix d’un dollar faible, pour relancer leur propre économie. Et même si le pire n’est pas forcément à venir, il n’empêche qu’il s’agit d’un scénario à ne pas écarter: avec un euro à deux dollars, conjugué à un pétrole entre soixante et soixante-dix dollars, l’Algérie aura à peine de quoi payer ses importations.
L’Algérie fait ainsi face à deux facteurs: prix du pétrole et cours du dollar, sur lesquels elle n’a, absolument, aucune prise. Elle est condamnée à subir et à se contenter d’atténuer les effets de la crise. La marge est très réduite, parfois nulle. D’autant plus que le pays, contrairement à ce qu’affirment les officiels, ne sait ni imaginer des solutions, ni les mettre en place.
Pour l’heure, les dirigeants algériens affirment qu’ils ont mené deux actions parallèles, qui auraient évité à l’Algérie de sombrer dans la crise. La première concerne le remboursement par anticipation de la dette extérieure. Ce n’est pourtant pas un exploit. C’est même le minimum que puisse faire un gouvernement endetté, disposant de beaucoup d’argent, et incapable d’investir. La seconde mesure concerne le placement des surplus financiers en bons du trésor américains et dans d’autres banques centrales. C’est une solution peu rentable, mais qui a l’avantage d’offrir des garanties solides. Et contrairement à certaines idées répandues, en période de crise, le placement en bons de trésor américains est l’un des plus recommandés, car la garantie de l’Etat américain reste la plus sûre.
Ce choix repose sur un postulat: l’Algérie est définitivement incapable de faire fructifier son argent. Ce qui semble être le cas. Il ne reste, dès lors, plus qu’à trouver la meilleure formule, non pour rentabiliser ces réserves en devises, mais pour ne pas les dilapider. Dans ce cas de figure, le gouvernement a raison de recourir aux bons du trésor américains, qui offrent de solides garanties, malgré leur rentabilité faible, voire négative.
De là, utiliser la crise pour justifier la méfiance envers l’idée de créer un fonds souverain, il y a un pas que M. Karim Djoudi a trop rapidement franchi. En effet, le ministre a affirmé que la crise actuelle constitue une preuve à postériori que les fonds souverains comportent trop de risques. Dans son raisonnement, le ministre des Finances se base sur trois postulats. Il prend la situation actuelle de crise comme repère. Or, les fonds souverains doivent s’installer dans la durée. Même s’ils perdent de l’argent dans un créneau, à un moment de crise, leurs pertes sont largement compensées grâce à ce qu’ils gagneraient ailleurs. En outre, le ministre des Finances suppose qu’un fonds souverain algérien aurait investi toutes les réserves du pays en devises dans des entreprises non viables. Or, l’idée même de fonds souverain procède d’une logique inverse: gagner de l’argent en minimisant les risques, et non jouer au poker en misant toutes les réserves sur un seul créneau. Il s’agit donc de diversifier les investissements, en diversifiant les secteurs d’activités et les pays d’accueil, de multiplier les placements à petites doses, et de n’utiliser que les excédents qui ne sont pas susceptibles d’être investis.
En fait, M. Djoudi justifie l’immobilisme algérien face à la crise. Ce qui est de bonne guerre. A sa décharge, il faut tout de même souligner que la situation le dépasse en fait, le système algérien étant totalement incapable de créer, de gérer et de rentabiliser un fonds souverain. Sans oublier que personne ne possède, en Algérie, la légitimité nécessaire pour prendre des risques ou, au moins, innover.
Mais on peut imaginer le cas inverse: c’est le moment ou jamais de faire d’excellentes affaires, d’acheter pour une bouchée de pain des banques prestigieuses qui se trouvent en difficulté. BNP Paribas vient de mettre près de quinze milliards d’euros pour racheter Fortis, alors que de grandes banques américaines ont été rachetées pour un dixième de leur valeur. C’est le moment de faire les courses. Les réserves de change de l’Algérie lui permettraient d’acquérir des entreprises qui rapporteraient autant que les hydrocarbures. Mais l’Algérie est hors jeu. Elle ne peut le faire. Elle s’est condamnée depuis longtemps à l’inaction.
Et si la crise a, aujourd’ hui, peu d’impact sur l’Algérie, cela n’est pas dû à des initiatives du gouvernement, mais précisément au manque d’initiatives. L’Algérie sortira indemne de la crise parce qu’elle est déconnectée du monde. Son économie est hors temps.
Lundi soir, pendant que les bourses mondiales plongeaient, celle d’Alger affichait une sérénité extraordinaire: aucune variation sur l’ensemble des valeurs proposées. Signe de force? Non, de déconnexion totale. Car dans le monde d’aujourd’hui, il est préférable de subir la crise plutôt que d’être out. Ce n’est pas du masochisme. Subir les effets de la crise, cela suppose qu’on est un acteur de l’économie mondiale, qu’on est en plein dans la mondialisation. La Corée du Sud a subi une grave crise en 1997. Cela ne l’a pas empêchée de rebondir et de devenir un acteur central de la nouvelle donne économique. C’est la preuve que c’est un pays qui avance, qui acquiert de la maturité et de l’expérience, et qui a fait une partie du chemin. Quand à l’Algérie, elle n’a pas encore démarré.
La sagesse populaire partage les commerçants en trois catégories: ceux qui vont au marché pour faire des affaires et gagnent de l’argent, ceux qui vont au marché et perdent de l’argent, et enfin, ceux qui ne sont pas, du tout, allés au marché. L’argent n’est pas touché par la crise parce qu’elle n’est pas allée au marché.