Question de méthode et… d’éthique

QUESTION DE METHODE ET… D’ETHIQUE

par K. Selim, Le Quotidien d’Oran, 27 octobre 2010

L’Indice sur la perception de la corruption (IPC) pour l’année 2010, diffusé hier par l’ONG Transparency International, ne traduit pas d’évolution marquante par rapport à celui publié l’année dernière. Cet indice, construit sur la base de 13 différentes enquêtes menées auprès d’experts et d’hommes d’affaires, donne un aperçu synthétique du degré de perméabilité des Etats de la planète à ce qui est un fléau social et politique.

Le classement reste globalement identique et correspond peu ou prou au niveau démocratique des pays concernés, combiné à l’efficacité des administrations.

Transparency insiste sur la nécessaire mobilisation contre la corruption dans un contexte économique global très marqué par les effets de la crise financière déclenchée à la fin 2007. Les malversations couvertes par les systèmes politiques sont en effet encore plus mal supportées par des populations invitées à se serrer la ceinture, en attendant des jours meilleurs. La corruption porte préjudice aux performances économiques et à l’amélioration des conditions d’existence du plus grand nombre. Personne ne peut contester le caractère éminemment dommageable de cette forme de délinquance sur le fonctionnement des Etats.

En Afrique, la transformation des administrations en acteur informel est une catastrophe aux conséquences immédiatement visibles. Dans les pays avancés, la sclérose des institutions et la formation de castes inamovibles qui détiennent la réalité du pouvoir empêchent la reddition de compte et réduisent ouvertement le contrôle démocratique.

Mais la corruption ne peut en aucun cas être circonscrite à des territoires donnés, elle est depuis longtemps un phénomène global. Cette dimension fait encore défaut à l’Indice de Transparency. Comment considérer la Suisse comme un pays plutôt indemne de corruption quand on sait que les fortunes mal acquises des potentats du tiers-monde sont abritées dans les coffres des banques helvétiques ?

Le combat mené au niveau des nations contre la corruption ne suffit pas à l’évidence. Mettre à l’index des pays sans Etat ou des tyrannies hors de tout contrôle populaire est un exercice à la portée du premier venu. Mais peut-on juger à la même aune et «percevoir» de la même façon la corruption en Hongrie prospère et au Niger famélique? Comment la Somalie, dépourvue d’Etat, de système judiciaire et d’administration, peut-elle figurer dans un tel classement ?

L’IPC n’est qu’un indice, rétorqueront ceux qui, à raison, défendent le principe d’un observatoire des comportements criminels. Mais en tout état de cause, cet indice, pour être plus convaincant, devrait tenir en compte les différences de niveau de développement et d’organisation des différents pays. Il ne s’agit nullement d’absoudre ou de relativiser la corruption, mais d’en situer le niveau réel avec le plus de pertinence possible.

Dans cette optique, la responsabilité des Etats avancés devrait être plus sévèrement pondérée. Les grandes nations, qui tolèrent que leurs entreprises paient des dessous-de-table et dont les systèmes bancaires et fiscaux ferment les yeux sur les patrimoines et capitaux frauduleusement acquis, bénéficient d’une troublante complaisance. Dans ce monde de transactions électroniques instantanées, le corrupteur et le corrompu sont plus solidaires que jamais. Pourquoi les pays d’accueil de l’argent volé et des détournements massifs bénéficieraient-ils d’une mansuétude particulière ? Ils sont, au même titre que les corrompus de queue de classement, les maillons d’un même continuum criminel.

Le travail de Transparency, très appréciable par ailleurs, gagnerait beaucoup en crédibilité s’il intégrait cette dimension.