Le racisme n’est pas mort et les droits de l’homme vont mal

DURBAN II

Le racisme n’est pas mort et les droits de l’homme vont mal

Hocine MEGHLAOUI (*), L’expression, 23 Avril 2009

Des Conférences comme Durban I et II, sont des étapes dans la longue lutte pour la dignité humaine. Elles méritent d’être encouragées.

Le racisme est un fléau ancien qui a traversé les siècles et contre lequel aucune société n’a pu être immunisée. Au XIXe siècle, des écrits tels que l’«Essai sur l’inégalité des races humaines» du comte Arthur de Gobineau, diplomate et écrivain français, ont fleuri, servant de justificatifs à des groupes racistes. Le racisme a donc ses défenseurs dont certains ont osé l’institutionnaliser; il y en a toujours puisqu’il trouve encore place dans des discours, jusque dans des campagnes électorales de pays démocratiques (contre les immigrés). Et, grâce aux manipulations génétiques, l’eugénisme menace. D’où la nécessité d’une vigilance permanente de la part de ceux qui sont convaincus que l’espèce humaine est une dans sa diversité.

Tirant les leçons des malheureuses expériences passées, la communauté internationale a décidé de s’unir pour combattre ce crime contre l’humanité. En 1950, après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, l’Unesco a adopté une Déclaration sur «la Question raciale», un document signé par plusieurs scientifiques qui dénonçaient et remettaient en cause les théories racistes. L’Unesco organisa ensuite à Genève, en 1978 et en 1983, deux Conférences mondiales de lutte contre le racisme, auxquelles ne participèrent pas – déjà – les Etats-Unis et Israël. Celle de 1978 traita en particulier de l’apartheid qui constituait un exemple de racisme institutionnalisé. Donc, la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui a eu lieu en 2001, à Durban (Durban I), et la Conférence d’examen qui se déroule à Genève, du 20 au 25 avril 2009 (Durban II) sont, en fait, les 3e et 4e Conférences mondiales sur cette importante question. L’organisation de ces deux dernières a été confiée par l’ONU au Haut Commissariat aux droits de l’homme, car le racisme est un phénomène odieux qui constitue une négation de ces droits dont il est l’une des questions globales. Son traitement ne peut être que global et constitue une obligation morale et politique pour tous les membres de la communauté internationale. En outre, il existe une Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale qui fait obligation aux Etats de présenter des rapports périodiques.

La lutte contre la discrimination raciale n’est pas une tâche aisée, comme en témoignent les débats houleux et chargés de passion qui ont caractérisé Durban I. La Conférence avait réussi, néanmoins, à adopter une Déclaration et un programme d’action, malgré l’absence de certains pays, dont les Etats-Unis et Israël. Ce texte constitue un document de l’ONU applicable à tous puisqu’il sert de base à la tenue de Durban II qui doit faire le point sur sa mise en oeuvre. Il n’est donc pas surprenant que le scénario de Durban I se renouvelle à l’occasion de Durban II. Dans les réunions traitant des droits de l’homme, les empoignades sont fréquentes (nous verrons pourquoi); elles ne doivent pas être dramatisées outre-mesure. Durban II ne pouvait déroger à la règle au vu de ce qui s’est passé à Durban I et de ce qui s’est passé aussi durant les huit années qui séparent les deux Conférences.

Principalement les agressions israéliennes contre le Liban et Ghaza qui ont été ruineuses pour l’image d’Israël. Ce dernier ne pouvait que craindre de telles Conférences et a mobilisé tous ses relais, Etats et ONG, dans le but de faire échouer Durban II et, par ricochet, enterrer Durban I. Peine perdue, au demeurant, puisque la Conférence de Genève dite Durban II a déjà adopté sa Déclaration finale.
Cette Conférence a été ouverte le 20 avril 2009 dans un climat pesant, en raison de l’absence de certains pays qui ont préféré le faux confort de la chaise vide aux débats toujours «vigoureux et éprouvants» qui caractérisent les réunions traitant des questions de droits de l’homme. Le discours du président iranien, dont le contenu était au demeurant fort prévisible, a servi de prétexte à d’autres pays occidentaux pour quitter théâtralement la salle.

Nous avons ici un exemple-type de politisation des droits de l’homme. Cette politisation, qui a eu aussi pour conséquence une polarisation de la défunte Commission des droits de l’homme (C.D.H.) et aujourd’hui du Conseil des droits de l’homme (C.D.H.), fut l’oeuvre de ceux qui veulent faire échouer Durban II. Pendant des décennies, ils ont instrumentalisé la CDH pour en faire une arme de politique étrangère pointée en permanence contre certains pays comme l’ex-Urss puis la Russie, la Chine, Cuba, l’Iran, pour ne citer que quelques exemples significatifs, et contre les pays en voie de développement en général. Certains pays occidentaux s’étaient érigés en seule référence morale et en juges du reste de la planète. Ils avaient tourné le dos à toute concertation, à tout dialogue constructif pour ne prononcer que des oukases, avec une arrogance et un parti pris qui ont fini par mobiliser leurs «victimes», obligées de s’unir pour se défendre. La CDH est ainsi devenue, au fil du temps, un organe de confrontation et d’exclusion alors qu’elle était prévue pour être une enceinte de consultation et un instrument de protection et de promotion des droits de l’homme.

Les plus grandes déconvenues du groupe occidental, ont eu lieu à l’occasion de la session annuelle de la C.D.H. en 1995: rejet par vote du projet de résolution occidental contre le Nigeria; refus de tout projet occidental de résolution sur un quelconque pays africain (Burundi, Somalie, Togo par exemple) n’ayant pas été préparé par ou négocié avec le groupe africain de Genève; création d’un poste de rapporteur spécial sur les déchets toxiques contre la volonté des pays développés; échec d’une tentative d’amendement de l’ordre du jour de la CDH pour supprimer le point concernant la question de la violation des droits de l’homme dans les territoires occupés par Israël; fermeture de l’ONU/ Genève le jour de l’Aïd, contre la volonté du groupe occidental qui ne céda que devant la menace savamment distillée d’une dénonciation publique pour intolérance religieuse (l’ONU ferme pour Pâques, Noël et même la fête païenne de Genève). En outre, certains pays en voie de développement particulièrement actifs avaient réussi à former un noyau dur représentatif de toutes les régions en voie de développement plus la Chine, qui a forcé le groupe occidental au dialogue.

Quelques années plus tard, les Etats-Unis ne furent pas réélus à la C.D.H. et ce pour la première fois depuis la création de cet organe en 1947, alors que les candidatures de la Libye, du Soudan et de la Syrie recueillirent les voix nécessaires. Condoleezza Rice, qui était alors Conseillère pour la Sécurité nationale, qualifia cette décision souveraine des Etats membres de la communauté internationale de «scandale» et le président George W.Bush de «révoltante», décrétant que la C.D.H. n’était plus «crédible». Quant au Congrès, en mal d’inspiration, il a eu recours au chantage contre l’ONU, menaçant de ne pas payer quelque 250 millions de dollars d’arriérés si les Etats-Unis ne retrouvaient pas leur siège lors du prochain renouvellement annuel des membres de la C.D.H.

Cet «affront» fut suivi par un autre: grâce à l’appui ferme du groupe africain, Mme Najat Al-Hajjaji, la représentante de la Libye à Genève, est portée à la présidence de la 59e session annuelle de la C.D.H. qui eut lieu du 17 mars au 25 avril 2003, en pleine guerre d’Irak (C’est Mme Najat Al-Hajjaji qui a présidé le Comité préparatoire de Durban II et a, de ce fait, eu la responsabilité de faire adopter le projet de Déclaration finale qui a été soumis à la Conférence, le 20 avril 2009).
Profitant de la réforme de l’ONU entreprise dès 2003, les Etats-Unis et leurs alliés, n’ont eu de cesse d’enterrer la C.D.H. Après plusieurs mois de négociations, cette dernière fut remplacée par le C.D.H. conformément à la résolution du Sommet du 60e anniversaire de l’ONU en 2005. Ce fut un texte de compromis fait sur la base de calculs politiques. En outre, le C.D.H. est né avec un handicap puisqu’il n’a pas été porté sur les fonts baptismaux à l’unanimité des Etats membres de l’ONU. Le vote demandé par les Etats-Unis sur la résolution en question, a démontré leur isolement puisqu’il a été adopté par 170 voix pour et 4 contre (Etats-Unis, Israël, îles Marshall et Palau). Pour ainsi dire, la quasi-totalité des membres de l’ONU ne suivait pas l’approche américaine en matière des droits de l’homme. En se référant au contexte de l’époque on peut en comprendre aisément les raisons.

Ayant échoué dans leur opposition à la création du C.D.H., les Etats-Unis lui ont tourné le dos une fois mis en place, le condamnant sans attendre de le voir à l’oeuvre. Ils lui reprochent en gros de reconduire les «tares» de la C.D.H. Ils souhaitaient, ainsi que leurs alliés, exclure certains pays, tous en voie de développement, de toute possibilité d’en être membres. L’attitude des Etats-Unis n’était-elle qu’un prétexte pour essayer de geler les activités d’un organe (la Commission puis le Conseil) devenu le lieu de critiques contre ce pays empêtré en Irak, devenu unilatéraliste guerrier, passé du statut d’accusateur à celui d’accusé? On est tenté de le penser lorsqu’on entend le président Obama annoncer la prochaine participation des Etats-Unis aux travaux du C.D.H. alors qu’il a toujours les mêmes «tares».
Ce revirement de la politique américaine rappelle un autre: Nixon reprochait à l’ONU de critiquer la dictature de Pinochet alors que sous Carter, la délégation américaine s’était excusée devant la C.D.H. pour ce soutien.

Ce qui précède donne une idée sur la problématique des droits de l’homme, sur les enjeux et sur les tensions qui règnent dans les enceintes qui en débattent. Les résultats des débats sont de plus en plus des compromis et le texte de la Déclaration finale adoptée par Durban II, qualifiée de «succès» par la Suisse, ne déroge pas à ce qui est devenu une règle. Le texte ne singularise aucun pays (Israël) et la liberté d’expression est sauve grâce à l’esprit de compromis dont ont fait preuve les pays musulmans. Cependant, en prenant le texte dans sa globalité, on peut constater que les portes ont été laissées ouvertes pour poursuivre la discussion des questions controversées dans des cadres plus calmes pour essayer d’éviter toute politisation.

Pour plus de clarté, disons que les griefs faits à certains passages de la Déclaration de Durban I sont infondés, particulièrement celui concernant Israël. Les passages incriminés reprennent des dispositions de résolutions adoptées par l’ONU et respectent le principe de deux Etats vivant côte à côte, en paix et en sécurité, comme on peut en juger: «Nous sommes préoccupés par le sort du peuple palestinien vivant sous l’occupation étrangère. Nous reconnaissons le droit inaliénable du peuple palestinien à l’autodétermination et à la création d’un Etat indépendant, ainsi que le droit à la sécurité de tous les peuples de la région, y compris Israël.»

Il est vrai qu’à Durban I, les ONG avaient fait vivre à Israël un véritable cauchemar en le qualifiant d’«Etat raciste et d’apartheid» qui commet «des crimes de guerre, des actes de génocide et de nettoyage ethnique». Elles ont adouci leur langage dans leur Déclaration de Genève, mais gardent le cap.
L’ONU a ceci de particulier qu’elle permet de mettre en présence des nations différentes à plusieurs égards pour discuter de leurs problèmes et essayer de régler leurs divergences dans le cadre de la légalité internationale. La politique de la chaise vide est déplorable car elle est une fuite des responsabilités et la négation du dialogue nécessaire pour trouver des solutions qui unissent et assurent la concrétisation des idéaux de la Charte des Nations unies laquelle doit, rester l’ultime référence.

En tant que première puissance mondiale, les Etats-Unis jouent un rôle moteur en bien ou en mal. Il est bien entendu souhaitable qu’ils le fassent en bien. Monsieur Obama, qui semble s’orienter dans cette direction, a déclaré que son pays devrait prêcher par l’exemple. Les droits de l’homme sont un domaine privilégié pour le faire. En boycottant Durban II, les Etats-Unis, qui envisagent de prendre place au Conseil des droits de l’homme, ont perdu une opportunité pour commencer à rejouer le rôle de locomotive qu’ils avaient dans ce domaine avant les attentats du 11 septembre 2001.

En outre, ils s’éloignent de ce que leur président a publiquement proclamé: discuter avec tout le monde y compris ceux avec lesquels on diverge comme l’Iran, par exemple. A ce propos, discours d’Ahmadinejad ou pas, le dialogue entre Washington et Téhéran, qui a commencé à titre informel et dans la discrétion en 2008, avant même la prise de fonction d’Obama, deviendra effectif après les élections iraniennes de juin 2009, car il y va de l’intérêt des Etats-Unis.

M.Obama estime qu’il est noir, mais américain avant tout (discours de Philadelphie le 18 mars 2008, lorsque la question raciale a fait irruption dans la campagne électorale). Ceci peut être une évidence, mais il n’ignore certainement pas l’épaisseur et la solidité du mur racial qui sépare les Blancs et les Noirs dans la société américaine. C’est ce mur qu’il faut abattre à l’échelle planétaire.

Des Conférences comme Durban I et II, celles qui les ont précédées aussi bien que celles, espérons-le, qui les suivront, ne sont que des étapes dans la longue lutte pour la dignité humaine. Elles méritent d’être encouragées. Mais certaines vérités doivent être dites et rappelées. Il se trouvera toujours quelqu’un pour le faire. Les droits de l’homme n’en souffriront pas, ils ne seront que plus renforcés.

(*) Ambassadeur, ancien vice-président de la Commission des droits de l’homme de l’ONU