Gharbi, Dhina, Smain : Trois algériens en prison, entre le charnier local et le Loft global

Gharbi, Dhina, Smain : Trois algériens en prison, entre le charnier local et le Loft global

Salima Ghezali, La Nation, 17 Juillet 2012

“Only a great villain can transform a good try into a triumph” Roger Ebert 1982

Trois affaires de justice en relation avec la « sale guerre » des années 90, ont occupé les devants de la scène ces derniers mois, leur mise en relation avec les efforts pour faire advenir le « printemps algérien » laisse deviner des manoeuvres troublantes.

A s’en tenir au discours officiel, nous sommes sortis de la zone de turbulences où le pouvoir pouvait, à n’importe quel moment, basculer entre des mains peu sûres pour la continuité de l’état, l’intégrité du territoire etc. En vérité, il est permis d’en douter. Les mains peu sûres étaient déjà là, et elles ont rendu possible une inflation de l’offre en la matière. L’arriération politique du pays et l’accumulation des frustrations et des rancœurs jetant sur le marché une foultitude de prétendants à la reprise.

Le bilan de la présidence Bouteflika exhibe au premier chef « la réconciliation nationale » or, cette dernière n’a réussi, ni à réaliser un véritable consensus, ni à isoler les partisans de la solution violente. En opérant de manière unilatérale et dans l’opacité habituelle, le pouvoir a juste procédé à l’effacement des lignes de fracture entre des adversaires dont il avait joué des divergences et des haines pour alimenter une guerre féroce. Vieille recette. Désormais, le pouvoir est contesté autant par les éradicateurs, qui lui reprochent d’amnistier des islamistes assassins, que par les réconciliateurs, qui lui reprochent de taire la vérité sur les atrocités de la sale guerre.

Trois hommes en prison

Indifférent aux contestations, le pouvoir s’est obstiné, une décennie durant, à claironner que la question est réglée depuis que le 29 septembre 2005, le peuple a voté pour la charte portant réconciliation nationale.
Pourtant, avec ce qui va devenir « l’affaire Mohammed Gharbi », c’est un véritable drame humain et politique qui va mettre à nu les « dommages collatéraux » de cette gestion. La campagne en faveur de sa libération se fait dans un esprit « éradicateur » pour qui le meurtre d’un terroriste-fût-il repenti- doit tout simplement être « dépénalisé ». Les partisans les plus bruyants de la libération de Gharbi se recrutent dans un camp énergiquement opposé à toute « réconciliation »

L’affaire Dhina vient, elle, mettre au jour des pratiques judiciaires peu honorables, bien que régulièrement pointées par les avocats et les défenseurs des droits de l’Homme. Un« dossier monté de toutes pièces » est fourni à la justice française qui ne va pas se priver de commentaires peu élogieux. Le dispositif déployé autour de cette affaire comporte deux volets. Le premier concernant la partie droits de l’homme regroupe des avocats de renom et les militants habituels de ce type d’affaires. Le deuxième dispositif, de type politique, considère que l’islamisme qui a été frustré de sa victoire en 1992, est logiquement en passe de prendre le pouvoir aujourd’hui. Une campagne est menée tous azimuts présentant Mourad Dhina sous les traits d’un « Erdogan algérien », candidat idéal au terme d’un « Printemps algérien ».

Et avec « l’affaire Mohammed Smain » c’est la douloureuse question des disparus qui s’invite au cinquantenaire de l’Indépendance nationale. Pour beaucoup d’algériens, c’est l’occasion d’être, pour la première fois, confrontés à cet aspect insoutenable de « la sale guerre ».

Trois algériens dans trois séquences différentes d’un même drame. L’un a été poursuivi pour le meurtre d’un islamiste repenti, le deuxième a fait l’objet d’un mandat d’arrêt international pour « association à des actes terroristes » et le troisième a été inculpé pour divulgation « d’informations imaginaires » après avoir dénoncé l’existence de charniers bien réels.

Forger ou forcer le consensus ?

Ces trois hommes, qui ne se connaissent probablement pas, tracent pourtant les contours de l’impossible triangle du « Printemps algérien ». On imagine mal « l’Erdogan » des uns cohabitant avec le « justicier éradicateur» des autres et on ne sait pas très bien autour de quel consensus contre « le pouvoir » on arriverait à gommer les différences, bien réelles, entre les milliers de miliciens de type Fergane ou Gharbi, les « repentis » de type Merad ou Belhadjar ou autres. La montée au créneau des « gardes communaux », par delà son volet social, soulève nombre de questions d’importance qui ne peuvent être évacuées d’un revers de la main pour cause de « Printemps ».

Depuis plusieurs mois un discours s’est imposé, administré en arabe, en français, en laïc ou en religieux, en socialiste ou en néo- libéral, en politique ou en société civile : Le pouvoir doit partir ! L’Algérie ne peut pas rester à la traine du monde arabe. A la fois slogan et programme, le propos se contente d’être martelé à chaque colère, à chaque protestation.

Désormais, il n’ya plus ni méchant terroriste ni affreux milicien, le propos lisse à souhait, met en scène une version politique du marketing pour club Med où de gentils organisateurs de société civile sont filmés, ou se filment eux-mêmes, en train de faire la révolution. Le Loft revu et corrigé pour se mettre au service des besoins des peuples. Et quand il ya une immolation ou une émeute. On recommence à pronostiquer l’imminence du grand soir unitaire qu’on se garde bien de préparer.

Le reportage de BHL et la liste Schindler

Et puis voilà ce colonel américain qui vient de publier un article incroyable où il nous annonce que l’Amérique ne savait pas ! Que les services algériens ont trompé le monde entier ! Que le DRS est le service d’espionnage le plus doué du monde ! Comment ne pas se rappeler la quatrième armée du monde de Sadam Hussein ? John R. Schindler, un spécialiste du terrorisme islamiste est intervenu à travers ses écrits comme une sorte de « nettoyeur » qui écrit sur les théâtres de guerre contemporains pour expliquer pourquoi les américains se sont trompés : Au Kosovo, en Libye et… en Algérie.

A méditer tout au long du mois de Ramadan pour comprendre comment l’armée « ventripotente et incompétente » des reportages de BHL en 1998 cachait en vérité le plus redoutable service d’espionnage au monde. Pourtant pour le peuple Algérien un coup de pouce en 1995 aurait évité tant de morts et de destructions.

Inutile de demander aux américains de respecter nos morts, notre intelligence ou quoique ce soit de ce type. Il aurait fallu d’abord que nous le fassions nous-mêmes.