Nacer Djabi: On est encore loin du changement démocratique

LE SOCIOLOGUE NACER DJABI À L’EXPRESSION

On est encore loin du changement démocratique

Par Amar CHEKAR, L’Expression, 12 Aout 2012

Tous les partis politiques algériens sont dans une situation de crise…

Depuis 1962, le jeu politique s’exerce en dehors de l’hémicycle de l’Assemblée populaire nationale.

L’Expression: Trois mois après les élections législatives du 10 mai dernier, l’Algérie n’a toujours pas de gouvernement. Quelle est votre analyse sur la situation?
Nacer Djabi: Les élections n’influent pas beaucoup sur la vie politique en Algérie. Ce sont toujours les partis FLN et RND et des petits partis qui siègent au gouvernement. Les élections législatives sont en quelque sorte des primaires pour la présidentielle de 2014. C’est toujours le président de la République qui désigne le gouvernement et les ministres, quels que soient les résultats des élections. D’autre part, l’enjeu principal de la classe politique c’est l’échéance présidentielle. Donc, c’est tout à fait normal qu’il y ait ce retard de changement de gouvernement. Il faut attendre peut-être, le mois de septembre ou octobre pour voir un nouveau gouvernement. Il y a aussi la question de la Constitution qui sera abordée. Tout cela est lié à la présidentielle de 2014.

La classe politique a connu des crises internes sans précédent. Qu’en pensez-vous?
Tous les partis politiques algériens sont dans une situation de crise pour plusieurs raisons. FLN, RND, MSP, FFS, FNA, RCD, El Islah, Ennahda, tous les partis sont concernés.
A mon sens, il y a deux causes principales à l’origine des crises internes qui agitent ces partis politiques.
Premièrement, la gestion antidémocratique à l’intérieur même des partis. Il y a aussi, les pseudo-partis sous forme d’associations qui n’accomplissent pas leurs tâches.
Quand un parti détient la majorité, en principe c’est ce parti qui forme le gouvernement. Quant au parti qui échoue, normalement, il rejoint l’opposition.
Malheureusement, ce n’est pas le cas en Algérie. Un parti peut échouer aux élections, mais faire partie du gouvernement. Comme il est possible aussi d’échouer, mais sans pour autant rejoindre l’opposition.
L’autre facteur est lié à l’organisation politique. Après 25 ans de multipartisme, le régime en place ne reconnaît toujours pas les partis, comme acteurs et institutions de gestion de la vie politique.

Qu’en est-il de la nouvelle Assemblée populaire nationale (APN), par rapport à la précédente?
De 1962 à nos jours, à l’exception de quelques périodes très courtes, c’est toujours la même situation qui revient. Il n’y a pas eu d’ordre décisif du législateur de l’Assemblée (APN). C’est une chambre d’enregistrement, c’est beaucoup plus une institution qui permet de régler des problèmes personnels et accaparer des postes et des privilèges.
Je ne crois pas qu’il y aura un changement par rapport aux précédentes assemblées. Je dirais même que vu la composante actuelle, elle risque d’être pire que les précédentes.

La priorité de la nouvelle législature est la mise en place d’une nouvelle Constitution. Qu’en est-il des grands axes qui devront, selon vous, y être introduits afin de garantir une vie politique saine?
La première des choses à prendre en considération, c’est l’esprit du respect de la Constitution. Car, le fond du problème, c’est que toutes les Constitutions précédentes n’ont pas été respectées, à commencer par ceux qui les ont mises en place Deuxièmement, il faut un dialogue, une concertation et un consensus national autour de la Constitution. Une Constitution qui résulte d’un dialogue national sain et serein et non imposé. Toutes les forces politiques et la société civile doivent y participer. Tout le monde doit exprimer son point de vue, à travers critiques, analyses et propositions.
Une fois que tout le monde est convaincu de l’importance de cette Constitution, issue d’un large consensus, il faudra inculquer l’esprit de son respect et de son application. Il faut savoir que dans toutes les constitutions des pays démocratiques dans le monde, on y trouve des résolutions tranchées. Reste l’équilibre des pouvoirs et responsabilités, ce sont des questions techniques que l’on aborde de manière claire et précise. En tout, délimiter les prérogatives.
Il faut dire que les deux Constitutions de 1989 et de 1996 ne sont pas moins bonnes, mais elles n’ont pas été respectées à leur juste valeur.

Beaucoup d’encre a coulé autour du choix du régime. Régime présidentiel, semi-présidentiel ou parlementaire, faut-il adapter l’Algérie à la Constitution ou la Constitution à la réalité algérienne?
Avant tout choix de régime, on doit définir et expliquer ce que veut dire tel ou tel régime. Ceci dit, l’histoire des institutions et de l’Etat algérien a démontré que nous n’avons pas encore des partis forts qui permettent l’apparition d’un régime parlementaire puissant au sens noble et large du terme.
Les parlements que nous avons jusqu’à présent n’ont pas de pouvoir. Il faut un changement interne dans ces partis et laisser place à une autre élite capable d’assumer ses responsabilités.
Il faut donner d’autre part, une nouvelle impulsion au Parlement qui peut faire valoir son vote dans les deux sens. Il est clair que le chef du gouvernement a besoin de plus de prérogatives pour faire avancer son programme.
Il est clair aussi qu’il faut réduire les prérogatives du président. Il faut penser à un équilibre des forces entre les pouvoirs: gouvernement, Président et Parlement. Car, le plus important, c’est le respect de la loi non pas dans le texte mais dans son âme constitutionnelle.

Le choix du régime parlementaire est aussi la revendication des islamistes. N’y a-t-il pas risque en la demeure, d’autant plus que l’Algérie est entourée de pouvoirs islamistes au Maroc, en Tunisie, en Libye et en Egypte?
La mouvance islamiste est une chose et l’organisation parlementaire en est une autre. L’organisation parlementaire demande des partis politiques puissants et une vie politique assez forte. La vie parlementaire demande un dialogue politique riche et constructif assez fort. Elle exige aussi la stabilité politique. Tous ces facteurs sont encore absents et il faut beaucoup de temps pour arriver à ce stade. Si l’on prend à titre d’exemple l’expérience de la Grande- Bretagne ou de la France, ce choix a pris beaucoup d’années.
Quant aux partis islamistes, je ne comprends pas pourquoi ils revendiquent le régime parlementaire, alors qu’ils n’arrivent même pas à s’organiser dans la vie normale dans leurs propres partis. Ils ne peuvent pas organiser des élections internes dans leurs mouvements, ils n’arrivent pas à organiser des colloques, ils n’arrivent pas à produire une élite politique digne de ce nom.
Ce sont des indices très clairs, alors comment se prononcent-ils pour tel ou tel choix de régime, alors qu’ils n’ont même pas un parti politique crédible en adéquation avec la réalité algérienne. L’image du parlementaire algérien est très faible. Il faut une formation politique pour faire valoir le travail parlementaire au sens propre et noble du terme.