Dédié à Abdelaziz Bouteflika : « Lève la tête bien haut, mon vieux »
Hocine Malti, Algeria-Watch, 11 janvier 2009
Arfaa rassek ya boua ! C’est ce que vous avez souvent martelé à la face des Algériens. Pourquoi ne l’appliquez-vous pas à vous-même ?
Vous êtes arrivé sur un char en 1999. Ceux qui vous ont sorti de votre léthargie de 20 ans, vous ont offert ce dont vous rêviez pendant ce long sommeil : le fauteuil d’El Mouradia. Après une première tentative ratée en 1994, vous avez saisi au bond l’opportunité qui s’offrait à vous pour la seconde fois, car vous saviez que si vous loupiez celle-là, c’en était fini à jamais de votre rêve. Ils avaient besoin de vous et de vos capacités de manœuvrier, alors ils ont accepté les conditions qu’ils avaient refusées 5 ans auparavant. Ils ont tout fait pour répondre à vos désirs. Ils vous ont si bien chouchouté que les autres cavaliers – c’est le terme que vous avez employé – ont compris que les dés étaient pipés et se sont alors retirés de la course. Vous n’avez pas eu le même courage.
Aveuglé par votre ambition, vous n’avez pas vu le piège dans lequel vous alliez tomber. Mal élu, vous deveniez leur obligé. Mais pour vous une seule chose comptait : gagner le fauteuil tant convoité.
De leur côté, les faiseurs de rois étaient si heureux de la situation ainsi créée, qu’ils vous ont laissé fixer vous-même le score que vous vouliez vous attribuer. A partir du moment où votre victoire à la Pyrrhus, c’est à eux que vous la deviez, le score leur importait peu. Quelle humiliation ! Votre blessure a du être bien profonde vu que vous nous avez si souvent répété que vous ne serez pas un trois quart de président. Elle était si profonde que vous nous avez également dit que si les choses ne se dérouleraient pas comme vous le souhaitiez, vous rentreriez chez vous.
Et puis vous nous avez surtout dit qu’avec vous on allait voir ce qu’on allait voir. Que vous n’étiez ni Chadli, ni Zeroual. Que Mr. Sucre, Mr. Céréales, Mr. Médicament et MM. Pétrole n’avaient qu’à bien se tenir. Que c’en était fini de leurs rentes. Que les larges pans de l’économie nationale sur lesquels ils avaient fait main basse, allaient revenir à leur propriétaire légitime, le peuple. Que vous alliez, vous, rendre à ce peuple la dignité dont ils l’avaient dépourvue. Que la première des violences qui avait été faite à ce peuple, était d’avoir annulé les résultats de son choix, il y a exactement dix sept ans. Qu’avec vous la veuve et l’orphelin auraient un toit. Etc. etc. etc. Autant de situations insupportables auxquelles vous alliez mettre fin. Et s’il fallait sanctionner, vous le feriez, car nul n’est au-dessus de la loi, avez-vous dit.
Hélas, trois fois hélas. Paroles, paroles, paroles, comme le dit la chanson. Et pourtant des occasions de sanctionner, vous en avez eues. Un exemple, un seul, mais édifiant de votre manière d’agir. Le rapport de Maître Mohand Issaad, établi au lendemain des émeutes de Kabylie, qu’en avez-vous fait ? Dans un tiroir certainement, voire à la poubelle. Et pourtant, il pointait du doigt les responsables à sanctionner. Ne manquaient que les noms que cet éminent juriste, par déontologie, n’a pas cités. Et surtout, il y avait eu mort d’homme(s). Il y avait eu massacre d’hommes, par les services de l’Etat. Des services dirigés par ceux que vous aviez vilipendés. On peut citer de nombreux autres exemples de ce type, pour lesquels vous auriez pu, vous auriez du agir. Vous ne l’avez pas fait.
Cependant, vous disposiez – et vous disposez encore – des moyens, des prérogatives nécessaires. Vous êtes président de la république, ministre de la défense, chef des armées. Il vous suffisait de prendre votre plume et signer, de temps à autre, un décret mettant fin aux fonctions de Mr. Jeannot ou de Mr. Chapot. Vous ne l’avez pas fait. Au lieu d’user des prérogatives constitutionnelles qui sont les vôtres, vous avez préféré jouer au chat et à la souris avec ces gens-là. Vous avez préféré entrer dans un système de compromis et de compromissions avec eux. Vous vous êtes dit, je suis plus rusé qu’eux, plus roublard qu’eux. J’ai connu toutes les intrigues de la diplomatie, je suis donc plus fin manœuvrier qu’eux, je suis plus fort qu’eux, je finirai par les avoir. Malheureusement pour vous et pour nous, ils étaient les plus forts. Ils sont les élèves studieux des écoles de la Stasi, du KGB, de la Securitate et des Moukhabarate de Fethi Dib réunis, tandis que vous n’êtes qu’un enfant du Makhzen et qu’un pin’s du burnous de Boumediene, comme l’a dit l’un de ceux auxquels vous aviez promis vos foudres.
Arrive 2004. Vous vous dites, cette fois-ci, c’est fini, je n’ai plus besoin d’eux. C’est le peuple qui va me plébisciter. Vous faites la tournée des 48 wilayas du pays, vous distribuez des centaines de milliards de dinars. Rien ne manque, ni la zorna, ni les youyous, ni les manifestations de soutien « spontanées », ni les comités qui les organisent. Cependant, malgré les énormes moyens que vous avez lancés dans la bataille, dix jours avant le scrutin, c’est Benflis qui est président. Alors, aveuglé encore une fois par votre ambition, vous baissez la tête et vous foulez aux pieds tous vos engagements précédents. Au diable la rodjla, au diable le nif. Vous signez le deal de la honte : votre réélection en contrepartie de leur impunité. Vous leur promettez que vous passerez une loi qui effacera toutes leurs exactions, qui les blanchira de tous les crimes qu’ils ont pu commettre ou laisser accomplir, qui rendra vierges leurs casiers judiciaires. Mieux, vous promettez que cette loi prévoira que quiconque viendra leur chercher des poux dans la tête sera, lui, poursuivi en justice. Puis, pour faire bonne mesure vous vous engagez à faire adopter cette loi par référendum. Ainsi, c’est le peuple qui les aura amnistiés. Par ce tour de passe-passe, 200 000 morts sont jetés à la trappe. Rentrer à la maison ? L’idée ne vous a même pas effleuré. Vous avez certes un peu traîné quant à l’organisation du référendum et dans la parution des décrets d’application, mais les gardiens du Temple étaient là, au lendemain de votre retour en Algérie, suite à votre hospitalisation en France, pour vous rappeler qu’il fallait faire activer les choses. Nous étions en février 2006 et ils vous ont rappelé que cela faisait près de deux ans que le deal avait été passé.
Tiens. Parlons-en un peu de cette hospitalisation, de votre maladie et de votre état de santé. Vous ne nous avez rien dit encore de crédible à ce sujet, mais peu importe. Ce que l’on sait néanmoins c’est que vous avez un grave problème de santé. On s’en est rendu compte de par la précipitation avec laquelle vous avez été évacué vers Paris, de par la durée de votre séjour à l’hôpital, de par la durée de votre période de convalescence et l’on s’en rend compte jusqu’à ce jour, de par vos disparitions répétées de la scène publique. Vous avez eu là – et vous avez toujours – une occasion en or de mettre en application ce que vous prônez, une occasion pour dire basta, pour rentrer à la maison. Ils ne vous en voudront pas, ils ne pourront pas s’y opposer. Votre alibi est en béton, ils ne peuvent pas vous empêcher de vous occuper de votre santé. Ce n’est que dans ce cas que la mémoire collective gardera une image positive de vous. Ce sont des gestes comme celui-là qui font la grandeur d’un homme. Voyez de Gaulle, dont vous êtes, je le sais, un admirateur. Plus proche de vous, voyez Zeroual, dont on critique certes la gestion des affaires, mais que le peuple admire pour avoir su renoncer aux ors du pouvoir, le jour où vos ennemis communs l’ont empêché d’exercer correctement sa fonction. Si par contre vous profitez de la possibilité que vous vous êtes auto attribuée pour rester en poste jusqu’à la mort, alors il ne restera de trace de vous dans l’Histoire que celle d’un dictateur, semblable à tous les autres chefs d’Etat arabes.
Vous nous direz que si vous partiez, il n’y aura personne pour mener le pays. Il tombera entre les mains d’Ouyahia. Dans le système fermé tel qu’il existe aujourd’hui en Algérie, c’est quasi certain. Ouyahia, président. Quelle horreur ! Ce serait aller de Charybde en Scylla ! Mais n’allons-nous pas déjà immanquablement vers Scylla ? En décidant de rentrer chez vous, maintenant, à la veille du scrutin, vous créerez probablement l’électrochoc nécessaire pour une prise de conscience de tous les hommes qui aiment sincèrement ce pays, l’électrochoc qui instaurera le débat quant à l’avenir des institutions, l’électrochoc qui permettra – espérons le – le retour à une situation plus normale, plus transparente, plus démocratique, l’électrochoc qui installera une compétition plus loyale.
Alors et alors seulement, vous aurez fait œuvre utile pour ce pays en déliquescence. A défaut d’autre chose, vous réussirez au moins à pousser les faiseurs de rois à se démasquer et à agir au grand jour.
Arfaa rassek ya boua ! Lève la tête bien haut, mon vieux !