Ça suffit ! barakat la transition !

Ça suffit ! barakat la transition !

Pr. Noureddine Aoussat, 28 mai 2014

Qu’elle fut pour soi-disant « redresser la révolution » comme en 1965, de « sauver l’Algérie » comme en 1992 ou encore pour un tout autre dessein aujourd’hui, LA TRANSITION n’a aucune chance d’être propice à la sortie de crise. Je suis même tenté de dire que c’est la pire de toutes les solutions envisageables.

Rappelons-nous, en effet ! le 19 juin 1965, le conseil de la révolution, suite à un coup d’état qui a renversé un président élu, promettait de rétablir la démocratie après une phase de transition. Quelques années au plus, juste le temps de redresser la révolution, disaient les tenants du pouvoir à l’époque. Cette première transition, nous le savons tous, a duré 12 ans et débouchant sur un système autoritaire, complètement myope et sourd à toute forme de critique. Et le 12 janvier 1992, couvert par le haut conseil à la sécurité, et suite à un coup d’état qui a poussé à la démission un président élu, le pouvoir installe un haut conseil d’état et promet de rétablir la démocratie et la légitimité populaire après une courte transition de deux années. Celle-ci durera finalement 5 ans, et déboucha sur un système volcanique, dont ce triste et désastreux 4ème mandat de Bouteflika n’est que la partie émergée du magma.

Et comme si toutes ces transitions malheureuses n’ont jamais eu lieu, et comme si nous ne connaissions pas leurs sinistres conséquences, voici -encore en 2014- le retour de la transition. Bruno Etienne, un ami -et non moins bon connaisseur- de notre pays, écrivait il y a un peu plus de quinze ans un article où tout est dit dans son titre : « Amnésie, amnistie, anamnèse : Amère Algérie ! suite mais non fin ». Effectivement ! les décideurs au pouvoir à Alger sont frappés d’une sorte de perte totale de mémoire, tant et si bien que depuis 50 ans, à chaque crise majeure du système, au lieu et place d’une solution courageuse, raisonnable et appropriée, choisissent le recours à cette rustine, qu’est la transition ! A chaque fois, les tenants du pouvoir -toujours les mêmes depuis la veille de l’indépendance-, arrogants, incompétents, mais diaboliquement manipulateurs semblent nous dire : « hier, vous aviez aimé la transition ; aujourd’hui, vous adorerez encore la transition ! « 

N’y a-t-il donc plus aucun homme raisonnable dans notre pays ? Sommes-nous tous devenus des fous à accepter de nous lancer, encore une fois, dans une énième transition ? On pourrait dire, pour paraphraser Albert Einstein : » On ne peut pas résoudre un problème avec la même pensée qui l’a engendré » et on aura suffisamment bien posé la véritable problématique de notre pays. On pourra dire aussi, en paraphrasant encore une fois Einstein : « la véritable folie, c’est de refaire toujours la même chose et s’attendre à un résultat différent! » et on ne saura pas mieux diagnostiquer le comportement des tenants du pouvoir en Algérie.

Mais il y a pire encore. En effet, le pouvoir en place, qui nous propose cette transition, non seulement ne sait plus quoi faire et ne sait plus où aller, mais même l’opposition -si tant est, qu’on peut vraiment parler d’opposition- semble atteinte par le même syndrome.

Mais comment se fait-il alors, que cette idée de transition soit en même temps clivante et partagée ? En effet, force est de constater que le pouvoir et ses différentes clientèles d’un côté, et l’opposition et ses différentes tendances d’un autre parlent tous de transition. Alors, d’où vient cette idée, quelle est son origine ? pourquoi est-elle si prisée en Algérie ? Que véhicule t-elle ? -ou plus exactement que cache-t-elle ?, et, tel un torrent, que charrie-t-elle au juste ? Pour mieux comprendre la réapparition de ce terme sur le devant de la scène ces derniers mois, nous procédons par une approche un peu en vogue aujourd’hui : « la déconstruction. » Loin de signifier démontage, comme pourraient le comprendre certains ; déconstruire signifie plutôt désobstruer et désencombrer, notamment une voie, pour remonter à la source.
Alors commençons par une exploration sémantique. Le dictionnaire électronique de l’université de Caen nous propose 27 synonymes du mot transition. Entre autres, et sans grande surprise dois-je préciser : accommodation, addiction, dépendance, habituation, habitude, manie, pli…etc. Autant dire les différents aspects caractérisant le rapport de notre pouvoir et son recours à cette transition : une habitude et une manie! En fait, et pour dire les choses très simplement, le pouvoir algérien est surtout souffrant d’une compulsion à remettre à des lendemains, qui ne viennent jamais, les indispensables changements du moment. La transition n’est qu’un subterfuge, un trempe l’œil pour faire semblant de maintenir le cap et faire quelque chose. Autrement dit, la transition est un cache sexe dont se drape le pouvoir à chaque fois qu’il est mis à nu par ses propres turpitudes.

Le pouvoir, dans ses deux principales composantes, -la présidence et le DRS-, refusent de reconnaitre que ce 4ème mandat de Bouteflika est le signe le plus visible de leur patent et cinglant échec. Que les mêmes hommes des années 50-60 -Bouteflika et ses semblables- soient « obligés » d’être toujours aux commandes aujourd’hui, montre bien combien ils ont été incapables de former leur propre relève et incapables de laisser des institutions et des idées stables et légitimes qui puissent leur survivre. Au lieu d’admettre cet état de fait et quitter les règnes dans la dignité, le pouvoir propose une énième transition.

Or, force est de dire que celle-ci ne résoudra rien, tant qu’au sein du DRS, de l’armée -et dans quelques autres cercles- il y a des hommes qui se croient les seuls patriotes en Algérie. Ces hommes croient durs comme fer que l’indépendance du pays a été obtenue grâce à eux et que l’Algérie c’est eux. Ils y croient tant et si fort que, se disent-ils, s’ils venaient à quitter le pouvoir, l’Algérie sera recolonisée le lendemain! Que de telles idées aussi fausses et paranoïaques constituent presque un dogme chez les tenants du pouvoir, voilà le nœud gordien. Voilà pourquoi ils refusent le changement, et se cachent toujours derrière la transition.

Pour terminer cette exploration et déconstruction du retour de la transition comme nouveau leitmotiv de quasiment toute la classe politique, il n’est pas sans intérêt de rappeler que le premier à lancer l’idée de phase de transition de deux années, et ce, dès juin 2013 est un ex colonel du DRS. Aussi, deux semaines avant le scrutin du 17 d’avril, un général à la retraite, sous un titre qui ne reflète point le contenu de son article, nous détaille dans une sorte de feuille de route, le mode opératoire de cette transition en disant : « Ensemble rêvons, ensemble osons ». Rêver et oser le futur au passé ? Non merci (1) !

Bref, une fois l’idée de transition est lancée, le reste, la suite plus exactement, n’est qu’habillage et construction d’une fausse solution, qui n’a de secret pour personne. Il suffit de regarder comment le pouvoir avait mené sa conférence du consensus national et créé son conseil national de transition en 1994, et regarder aujourd’hui comment, tant avec l’opposition et ses différentes initiatives de transition, qu’au sein du pouvoir et ses consultations pour la « révision constitutionnelle consensuelle » , on retrouve la même marque de fabrique !! Faut-il croire que ce sont les mêmes marionnettistes qui tirent les ficelles des deux côtés ? Il y a fort à le penser, en effet !

Par conséquent, et en attente de signes courageux, forts et irréfutables de l’opposition qu’elle veut vraiment une réelle transition démocratique, les algériens doivent crier haut et fort leur indignation : BARAKAT la transition, Khlass !, ça suffit la transition! Assez de dégâts et de désolations ! Il faut un changement, une rupture radicale avec les pratiques d’antan. Il faut renouer avec la seule légitimité qui compte et qui porte en démocratie ? : LA LEGITIMITE POPULAIRE, sans bourrage des urnes, sans corruption des pseudo partis politiques et associations de la société civile et sans falsification des résultats des scrutins ?

Tant que la classe politique -y compris une grande partie de l’opposition- a peur du peuple, ne fait pas confiance au peuple, et n’est toujours pas convaincue que la solution doit passer par l’adhésion et le suffrage du peuple, l’Algérie va aux devants d’autres crises plus graves.

En somme, et pour résumer la situation de l’Algérie en quelques mots : face à un président politiquement victime du syndrome de Münchhausen, et qui ne semble donc pas supporter que l’Algérie lui survive quitte à commettre un infanticide (2) ; et face à un DRS atteint de procrastination, et qui semble croulé sous les dossiers du renseignement qu’il a amassé depuis la fin des années cinquante ; la seule solution qui vaille est une constituante en bonne et due forme.

Pour éviter que l’an 2014 soit l’an 60 de la révolution, pour paraphraser Frantz Fanon et son « An V de la révolution », reprenons le chemin par là où on devait le commencer, et, sans populisme aucun : « Un seul héros, LE PEUPLE »

Ps : in the last but not the least, je dois dire que la description qu’a faite le journaliste du journal du dimanche français de Bouteflika le jour où il a reçu le ministre français de la défense : oreillette, microphone, regard exorbitant et j’en passe me laisse triste pour ce qu’est devenue l’Algérie de Ben M’hidi. Roosevelt disait : » la seule chose dont il faut avoir peur est la peur elle-même »
N’ayons plus peur, osons le changement et rêvons d’un futur meilleur pour notre chère Algérie! Pour qu’El-Djazaïr El-Mahroussa, soit toujours gardée, pas par des forces occultes, ni par un pouvoir opaque, mais par ses enfants nourris de l’esprit de novembre 54.

Pr. AOUSSAT Noureddine

1. L’article peut être consulté avec ce lien : http://www.elwatan.com/contributions/le-general-a-la-retraite-hocine-benhadid-ensemble-revons-ensemble-osons-02-04-2014-251638_120.php. Le lendemain, toujours sur les pages du même  » journal indépendant » El Watan, un autre général sous son pseudonyme de service, général Antar signe un article : « Arrêtez la mascarade ! » La grande muette devient-elle trop bavarde ?

2. Au forum de Crans Montana en Suisse, en 1999, Bouteflika déclarait aux voir http://www.chouf-chouf.com/actualites/bouteflika-je-suis-lalgerie-toute-entiere-je-suis-lincarnation-du-peuple-algerien/ : « Je suis l’Algérie toute entière, je suis l’incarnation du peuple algérien » Le pire est que cette phrase, ô combien déjà très significative de l’idée que Bouteflika se fait de lui-même et des 40 millions d’algériens est aujourd’hui illustrée par ce tableau de quinze vignettes de Bouteflika incarnant tout type d’algérien et algérienne. Le tableau est encore visible à l’intérieur de l’aéroport d’Alger.