Le cinquantième anniversaire des massacres du 17 octobre 1961

Le cinquantième anniversaire des massacres du 17 octobre 1961

Boubekeur Ait Benali, 16 octobre 2011

La manifestation du 17 octobre 1961, à Paris, fut l’ultime preuve de la dureté du régime colonial. En effet, à l’appel de la Fédération de France du FLN, des milliers d’Algériens bravèrent, et ce au péril de leur vie, le couvre-feu discriminatoire décrété par le préfet de police, Maurice Papon. Bien que cet événement n’émeuve pas de nos jours les autorités françaises, en cette occasion du cinquantième anniversaire des événements sanglants de Paris, la cinéaste Yasmina Adi a réalisé un documentaire sur les bavures indescriptibles de la police parisienne. Son but est bien entendu de faire jaillir la vérité. Dans le même esprit, le collectif du 17 octobre 1961, réclamant justice et vérité, demande à ce que la France reconnaisse officiellement ces crimes commis en plein capitale de l’hexagone. Cela dit, ce qui distingue cet événement des autres massacres coloniaux c’est le fait qu’il s’est produit en métropole. Car la France coloniale n’était pas à un crime prés. En effet, son système de domination reposait sur la seule répression. Du coup, cette violence d’octobre 1961 ne vint pas ex nihilo. Jusqu’au cessez-le-feu, intervenu le 19 mars 1962, le régime colonial est resté fidèle à sa logique de domination. Dans cette période, les exemples de bévues furent légion. Celui du 17 octobre 1961 est un peu particulier. En effet, à cette date précise, de Gaulle reconnaissait tacitement le principe de l’indépendance de l’Algérie. Or la reconnaissance de l’indépendance ne voulait nullement dire l’abandon des privilèges. En effet, la négociation butait sur la question du Sahara. Certes, de Gaulle voulait l’indépendance de l’Algérie, mais uniquement dans sa partie nord. Pire encore, de Gaulle ne fut pas suivi dans sa démarche par les Français. D’autres responsables ne voulaient même pas entendre parler d’un choix pouvant laisser les Algériens libres face à leur destin. Par conséquent, le réflexe de réprimer toute revendication « indigène » était une constante dans l’esprit des dominateurs. Plusieurs exemples peuvent corroborer ce réflexe de réprimer à tout va. En effet, avant le déclenchement de la guerre d’Algérie, la police parisienne avait réprimé la manifestation du 14 juillet 1953, à la place de la République. Le bilan était lourd : 5 morts et 50 blessés, selon Benjamin STORA. Selon le même historien, 11 Algériens furent tués par balle lors des manifestations du 9 mars 1956 contre le vote des « pouvoirs spéciaux en Algérie ». Ainsi, on peut affirmer que le rapport de force était la seule politique envisagée par le système colonial.

Cependant, bien que la responsabilité des autorités coloniales ait été totale, cinquante ans après, la décision de la Fédération de France du FLN doit être débattue sans fard ni acrimonie. Pour lever toute équivoque, on sait aujourd’hui que le GPRA ne fut pas favorable à une telle action en plein Paris. Éloignée de France depuis 1958, après plusieurs démantèlements de son organisation, la Fédération de France du FLN s’est réfugiée en Allemagne. Au lendemain de la promulgation du décret du 5 octobre 1961, où Maurice Papon, soutenu par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Roger FREY, fixa le couvre-feu aux seuls Algériens de 20h30 jusqu’à 5h30 du matin, la Fédération se réunit à Cologne en vue de mettre en échec cette politique discriminatoire. « Pour la direction de la Fédération de France du FLN réunie à Cologne le 6 octobre 1961, plusieurs arguments plaident en faveur d’une manifestation de rue. Riposte aux mesures répressives du préfet Maurice Papon, certes mais également volonté de mobiliser un nombre important d’immigrés pour mieux montrer sa force dans la phase de négociation difficile engagée avec le gouvernement français », note Benjamin STORA. Ainsi, en mobilisant les émigrés, la Fédération de France du FLN a-t-elle sous-estimé la réaction des autorités françaises ? Car, de son côté, le GPRA n’a pas soutenu cette manifestation. Ce dernier croyait-il à l’imminence des accords de cessez-le-feu ? D’où la prudence du GPRA à propos de cette manifestation. Cependant, en appelant à une manifestation de rue, les dirigeants de la Fédération de France du FLN n’ont pas craint pour la vie de milliers d’humbles ouvriers. D’ailleurs, sans la manifestation de rue, les deux premières semaines d’octobre 1961 ont été terribles. En effet, 54 cadavres d’Algériens furent recensés par les services de l’institut médico-légal de Paris. Ainsi, bien avant le 17 octobre 1961, la Seine rejetait sans discontinu les corps inanimés d’Algériens. En représailles, les commandos du FLN tuèrent, à leur tour, des policiers. Pour l’année 1961, et ce avant la manifestation du 17 octobre, 22 policiers trouvèrent la mort. Hélas, en ignorant les coups tordus des partisans de l’Algérie française, le Général de Gaulle orienta sa politique répressive contre le FLN en France. Pour Youcef Girard : « Le président donne carte blanche à Maurice Papon pour interdire la manifestation et la disperser par tous les moyens. Le préfet peut dire à ses hommes : « Désormais, vous êtes couverts !» Les policiers ne se le font pas dire deux fois… » Le feu vert étant donné, les policiers attendirent les manifestants de pied ferme. Bien que les responsables de la Fédération de France du FLN aient insisté sur le caractère pacifique de la manifestation, les 7000 policiers avaient déjà des instructions pour « la disperser par tous les moyens ». Ainsi, ce 17 octobre 1961, vers 20h30, heure du début du couvre-feu, les 30000 Algériens furent accueillis par une police déchainée. « Le palais des Sports, où devait se tenir un concert de Ray Charles, est réquisitionné pour parquer les détenus. Des milliers d’Algériens sont placés en détention ou expulsés », écrit Benjamin STORA. Selon des sources dignes de foi, il y avait 11730 arrestations. Par ailleurs, bien que le bilan officiel fasse état de 2 morts, les historiens parlent de plus de 200 morts. « Les autorités françaises de l’époque ne reconnaissent que deux morts et soixante-quatre blessés. L’inspection générale estime officieusement, selon la revue Les Temps modernes, à cent quarante le nombre de tués », note encore Benjamin STORA. Mais ce chiffre est revu à la hausse après les différents recensements.

Pour conclure, il va de soi que la police française a agi selon la conception coloniale de « la répression collective ». Bien que le FLN ait répondu à la répression par l’assassinat de policiers, le régime colonial se contentait de réprimer tous ceux qui avaient la peau basanée. D’ailleurs, plusieurs Tunisiens et Marocains furent confondus avec les Algériens. Cette logique de punition collective fut, à plusieurs reprises, confirmée. Lors de l’enterrement d’un policier tué par le FLN, Maurice Papon ne dit-il pas que « Pour un coup reçu, nous en porterons dix ». Cela dit, il y eut évidemment des policiers qui n’étaient pas adeptes de la répression aveugle. Plus tard, plusieurs d’entre eux témoignèrent de l’atrocité du massacre. Mais ces voix restent encore inaudibles. En effet, cinquante ans après les faits, les autorités françaises nient encore l’ampleur des dégâts. En tout cas, selon Sarkozy, toute reconnaissance est équivalente à la repentance. Du coup, comment attendre de Sarkozy qu’il reconnaisse le massacre d’une journée, le 17 octobre en l’occurrence, alors que la guerre d’Algérie n’a été admise qu’en 1999 par le parlement français.

Par Ait Benali Boubekeur