L’Université algérienne en butte à de multiples difficultés

L’Université algérienne en butte à de multiples difficultés

Loin de la performance

El Watan, 20 mai 2008

L’université algérienne forme aujourd’hui des candidats au chômage. En plus de la faiblesse de l’encadrement et la négligence des ressources humaines, l’université souffre de son mode de gestion.

Quel objectif pour les assises nationales de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, dont les travaux ont été ouverts hier à Alger sous le haut patronage du président Bouteflika ? Détermineront-elles le mal profond dont souffre l’université algérienne ? Ces recommandations seront-elles prises en considération pour améliorer la qualité de l’enseignement qui va, de l’avis des observateurs, de mal en pis ? En tout cas, le diagnostic s’impose et les remèdes aussi. Au-delà des chiffres officiels glorifiant les réalisations dans le domaine, les faits sont édifiants. L’université peine à atteindre le niveau requis. Que ce soit sur le plan régional et encore moins sur le plan international, l’université algérienne occupe toujours la queue du classement. La meilleure université algérienne, en l’occurrence celle de Tlemcen, occupe la 39e place sur le plan africain, loin derrière les universités marocaines, tunisiennes, égyptiennes et sénégalaises… Au classement international, la situation est plus grave. Sur un total de 7000 universités classées en 2007, celle de Tlemcen ne réussit qu’une piètre prestation en occupant seulement la 6995e place. Ce n’est pas réjouissant. Cette situation est le résultat des réformes mal pensées ou de leur mauvaise application sur le terrain. Pour certains sociologues, le marasme de l’université algérienne a pour origine la mauvaise application de la réforme introduite en 1971, ayant pour but de garantir l’accès à l’enseignement supérieur à tous les Algériens. Trente-sept ans après, on n’a pas avancé d’un iota. L’université algérienne forme aujourd’hui des candidats au chômage. Plus de 120 000 diplômés, selon des chiffres officiels, quittent l’université sans avoir les acquis nécessaires leur permettant d’avoir de réelles chances d’insertion dans le monde du travail. Sur ce nombre, seulement 12% réussissent à avoir des postes d’emploi. Ce qui renseigne sur la qualité de l’enseignement et l’absence d’encadrement dans nos universités. Malgré les efforts consentis pour augmenter le nombre d’infrastructures (60 établissements d’enseignement supérieur, dont 27 universités en 2007), le gouvernement n’accorde pas beaucoup d’importance aux ressources humaines. Pour les 1,4 million d’étudiants inscrits en 2007-2008, il n’y a que 27 500 enseignants, dont 15% de rang magistral. Résultat : des amphithéâtres surchargés et un enseignement de très mauvaise qualité. En plus du manque d’encadrement, les étudiants algériens souffrent aussi de mauvaises conditions d’accueil au niveau des cités universitaires (hébergement et restauration), alors que la bourse (900 DA/mois) qui leur a été accordée n’a pas évolué depuis les années 1990. Ce qui est à l’origine des mécontentements et des incidents enregistrés au niveau de plusieurs cités universitaires. La gestion de l’université par l’administration est également, expliquent des sociologues, un des éléments ayant conduit à cette régression. « Le plus grand malheur de l’université lui vient du fait qu’elle n’est pas gérée par des universitaires. L’université ne peut pas fonctionner avec une structure autoritaire, pyramidale, hiérarchique », explique-t-on. « Le nouveau rapport des forces, favorable à l’appareil administratif, fait qu’il y a actuellement un accaparement de la gestion administrative et pédagogique des cursus des étudiants, favorisé par l’importance des flux d’étudiants, la désorganisation et la marginalisation du corps enseignant », ajoute-t-on. A ces problèmes s’ajoute celui de la multiplication des réformes, souvent contestées à la fois par les enseignants et leurs étudiants. Y a-t-il une volonté de redresser la barre ou faut-il boire le calice jusqu’à la lie ?

Madjid Makedhi


Farid Cherbal. Porte-parole de la coordination nationale des sections Cnes

« L’université algérienne vit une crise multidimensionnelle »

Propos recueillis par Nabila Amir

– Aujourd’hui ont débuté les travaux des assises nationales de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. En tant que membre influent du Cnes, quel constat faites-vous de l’université algérienne ?
– Il faut commencer par rappeler que l’université algérienne vit une crise multidimensionnelle depuis trois décennies. Cette crise est née en premier lieu de l’absence d’une politique de l’enseignement supérieur dans notre pays qui fixe les priorités et les missions de l’université en rapport avec les préoccupations sociales, économiques et culturelles de notre société. La seule et unique préoccupation des pouvoirs publics depuis un certain nombre d’années reste la gestion des flux d’étudiants. Depuis la réforme de l’enseignement supérieur de 1971 qui a été remise radicalement en cause au début des années 1980, l’université algérienne est restée orpheline d’une vraie politique de l’enseignement supérieur.

– A votre avis, une vraie et nouvelle politique de l’enseignement supérieur doit être basée sur quels critères ?
– Il faut rappeler d’abord que l’Algérie est l’un des rares pays émergents à posséder une université nationale, qui compte 61 établissements universitaires, 30 000 enseignants du supérieur et un million d’étudiants. Ce formidable potentiel peut contribuer au bien-être de la société si une politique de l’enseignement supérieur rationnelle, efficace, moderne est engagée avec la contribution de l’ensemble de la communauté universitaire et du secteur économique productif de notre pays. Cette politique doit mettre l’université au cœur de la cité, lui faire retrouver ses missions de production de savoir, de sa transmission et son application et il faut surtout à mon avis mettre l’université au service du bien-être de toute la société. Cette nouvelle politique doit commencer avant tout par la démocratisation de la gestion de l’université, c’est-à-dire par l’élection des responsables académiques, à savoir le recteur, le doyen et le chef de département, afin d’impliquer et de mobiliser toute la communauté universitaire dans la gestion de l’université.

– Au moment où le premier magistrat du pays appelle les élites, notamment les enseignants du supérieur, à rentrer en Algérie, d’autres continuent à déserter l’université. Quels sont, selon vous, les véritables motifs de cette saignée ?
– L’exil des universitaires qui a commencé avec l’apparition de la crise de l’université au début des années 1980 et qui s’est amplifié depuis deux décennies maintenant trouve son origine dans un ensemble de facteurs parmi lesquels la dégradation dramatique des conditions de vie et de travail de l’enseignant qui a entraîné une grave crise du métier d’universitaire et un exil économique interne et vers l’étranger des universitaires. La crise politique, économique et sociale que vit notre pays depuis octobre 1988 a joué aussi un rôle essentiel dans l’exil des universitaires algériens. La revalorisation du métier de l’enseignant supérieur passe au préalable par la revalorisation conséquente des salaires et un statut qui lui permettront de se consacrer pleinement à son métier et cela va attirer toutes les compétences qui sont en dehors de l’université aujourd’hui.

– Le manque d’encadrement ne risque-t-il pas d’avoir des retombées sur la qualité de l’enseignement ?
– Il y a déjà eu des conséquences très graves, nous avons aujourd’hui une université qui délivre des diplômes qui sont de loin inférieurs en qualité et en compétence par rapport aux diplômes que délivrait l’université algérienne durant les années 1960, 1970 et 1980. Les diplômes de ces années étaient reconnus par l’ensemble des universités à travers le monde. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas malheureusement, seuls quelques rares universités, écoles supérieures et instituts de notre pays continuent à résister et à délivrer des diplômes d’un niveau international.

– L’université algérienne est-elle en mesure de prendre en charge le nombre important d’effectifs enregistré chaque année ?
– Le problème, c’est comment va-t-elle les prendre en charge. Si les moyens sont donnés et je parle ici du budget de formation de l’étudiant qui est de 12000 euros dans une université publique européenne, 40 000 dollars dans une université privée américaine, et de quelques dizaines de dollars dans l’université algérienne d’aujourd’hui ! Cela veut dire il est urgent de doter l’étudiant algérien d’un budget de formation conséquent et conforme aux standards internationaux afin d’améliorer la qualité de la formation et rebâtir une université publique de qualité.