Des policiers tunisiens se défoulent sur des Algériens
Retour sur ce qui s’est passé à Sfax dimanche 8 février
Des policiers tunisiens se défoulent sur des Algériens
De notre envoyé spécial à Sousse, Ali Sadaoui, Le Matin, 11 février 2004
Au vu de l’engouement des supporters algériens à Sousse, où l’Algérie avait joué trois matches du premier tour et bien avant cette rencontre des quarts de finale, les responsables algériens ont demandé au comité d’organisation de la CAF et à la CAF de déplacer le match à Radès, dans la capitale, pour une histoire d’exiguïté de l’enceinte du stade M’hiri de Sfax, limité à 17 000 spectateurs seulement. Mais les responsables de la CAF ont rejeté la demande algérienne « pour ne pas créer de précédent ». La veille du match, à l’hôtel Golden Soviva de Sousse, des supporters algériens étaient à la recherche de billets de stade pour ce match Algérie-Maroc. « J’ai pu acheter un ticket de 10 dinars tunisiens (70 dinars algériens environ) à 25 dinars tunisiens chez un citoyen de Sousse », raconte un supporter. Ils étaient en effet nombreux prêts à payer le prix fort pour pouvoir entrer dans le stade.
Mais ils ne savaient pas ce qu’ils allaient endurer en cette journée noire de dimanche. D’ailleurs, des informations en provenance de Sfax font état de la fermeture de la ville samedi soir. Toute la ville est fermée, raconte un journaliste algérien de retour de cette ville tunisienne. La ville est quadrillée de peur de quelques dépassements des Algériens qui, dit-on, avaient même cassé une banque et refusé de payer leurs consommations aux commerçants sfaxiens. La population sfaxienne a été priée par les responsables de la ville de ne pas aller au stade pour laisser place aux Algériens.
Plusieurs check-points des services d’ordre tunisiens sont dressés tout au long du trajet menant de Sousse à Sfax. « Lorsque nous sommes arrivés au stade vers 13 h 30, billets en main, raconte un des supporters, nous avons constaté que toutes les portes étaient fermées. Nous avons demandé à un officier de police qui nous a répondu qu’il n’y avait plus de place dans l’enceinte. On commençait à nous impatienter quand des policiers nous ont demandé de brandir nos billets et nos passeports avant de nous regrouper dans la perspective de nous permettre de rentrer au stade. » « Or, poursuit notre interlocuteur, nous nous sommes retrouvés encerclés par des cordons de policiers qui ont commencé à nous frapper violemment. On essayait donc de nous sauver par tous les moyens. » Un autre lui coupe la parole pour nous informer que « tout s’est déclenché lorsqu’un officier de police a emmené brutalement un de nos compatriotes. Ceux qui étaient à proximité sont intervenus pour l’en empêcher. C’est alors que cet officier a donné l’ordre de nous charger ».
Un autre supporter, drapé de l’emblème national, nous raconte le calvaire qu’il a vécu dans ce qu’il appelle « le couloir de la mort ». « Des policiers nous ont conduits dans un couloir du stade pour nous faire rejoindre l’enceinte sportive. Et une fois dans ce couloir, nous avons été surpris par la présence de deux cordons de brigades antiémeute qui nous ont roués de coups. C’était si violent que certains ont été blessés, alors que d’autres ont perdu connaissance. »
« Ecoutez, nous interpelle un autre supporter, si les forces de police n’ont vraiment pas prémédité ce coup-là que je qualifierais de guet-apens, elles nous auraient arrêtés dans le premier check-point de la ville de Sfax pour nous interdire d’entrer même avec nos billets. » Et puis, questionne un autre, « pourquoi vendre un nombre de billets supérieur à la capacité du stade ? »
« J’ai vu des hommes allongés par terre, mais je ne peux affirmer s’ils étaient morts ou juste évanouis, je ne pouvais m’arrêter de peur d’être pris pour cible par les policiers qui ne nous ont donné aucune possibilité d’aider les blessés », poursuit un autre supporter qui dit venir d’Annaba.
« Je vais vous dire une chose, fait remarquer un autre, c’est maintenant que j’ai compris pourquoi les Sfaxiens ont été priés de ne pas rejoindre le stade. C’était pour nous prendre, nous Algériens seulement, pour cible. La preuve : pourquoi nous demander de brandir le billet et le passeport en même temps ? C’est sûrement pour faire la différence entre nous, les quelques Tunisiens et les Marocains. »
Pendant ce temps, dans le stade, nous voyons de la fumée à l’extérieur et un des membres du comité d’organisation de la CAN nous déclare : « Regardez, c’est la fumée d’une voiture que les Algériens ont brûlée. » On jouait les dernières minutes du match quand les services antiémeute font leur entrée à l’intérieur du stade pour boucler les tribunes. Et dès que le Maroc a égalisé et que des supporters algériens ont manifesté leur mécontentement en jetant des bouteilles en plastique et en arrachant des sièges du stade, les policiers se ruèrent sur eux sans distinction. Tout Algérien est devenu la cible des policiers déchaînés.
C’était le tabassage en règle en direct même sur les écrans de télévision. Le stade était donc évacué des supporters algériens sous les coups des policiers bien avant la fin de la rencontre. Les journalistes n’ont pu quitter l’enceinte du stade que deux heures après la fin du match à cause de « l’insécurité qui régnait dehors », nous dit-on. Et lorsque nous sommes sortis, nous avons cherché tout au long de la route nous menant à l’hôtel Abou Nawas de Sfax ces voitures brûlées par les Algériens, en vain. Un de nos collègues de la Télévision a vu sa voiture saccagée par les policiers. Sur la route menant de Sfax à Sousse, des citoyens sfaxiens se sont organisés en deux groupes. L’un en poste avancé pour vérifier les voitures immatriculées En Algérie, avant de siffler et de donner le signal au deuxième groupe qui se faisait un plaisir de jeter de grosses pierres. L’une d’elle a d’ailleurs touché un de nos collègues de la radio. Les photographes ont été obligés de vider leurs appareils pour ne point laisser de trace de films des scènes vécues.
Un autre supporter nous demande alors : « Avez-vous eu vent des scènes du « train de la mort » ? Et bien, je vais vous les raconter car j’étais témoin et je n’ai dû mon salut qu’à un policier tunisien sachant que je vis en Angleterre. Nous avons été dirigés vers le train pour un départ prévu à 2 h du matin, ce lundi. Dans chaque wagon, nous nous trouvions avec 30 policiers, sans exagérer. Et là, le tabassage est sans pitié. Dès que l’un de nous levait la tête il était systématiquement tabassé. J’ai pensé que c’était là la fin de notre trajet. Et puis, je témoigne également qu’il y a eu bagarre entre policiers tunisiens à notre sujet. Certains policiers étaient contre ces agissements. »
« Après notre arrivée à El Kalâa, village distant de 6 km environ de Port El Kantaoui, lieu de notre résidence, témoigne un autre supporter, des policiers en voiture nous escortaient mais n’arrêtaient pas de nous provoquer. Nous avons compris le manège et nous ne sommes pas tombés dans leur jeu. »
Le bilan de ces actes indignes des forces de sécurité censées mettre de l’ordre est lourd. On évoque des centaines de blessés parmi lesquels des blessés graves.
A. S.