Paris, Madrid, Alger, Rabat et le Sahara Occidental

Paris, Madrid, Alger, Rabat et le Sahara Occidental

L’Algérie rejette toute idée d’un sommet à quatre

Le Quotidien d’Oran, 5 mai 2004

L’Algérie rejette toute médiation étrangère pour normaliser ses relations avec le Maroc. Elle rejette également toute idée d’un sommet à quatre (France, Espagne, Algérie et Maroc) sur le Sahara Occidental. C’est ce qu’a affirmé, lundi dernier, Abdelaziz Belkhadem à l’occasion du court séjour effectué à Alger par le ministre espagnol des Affaires étrangères.

Ses propos quelque peu véhéments et largement répercutés par la presse nationale s’expliquent en partie par les développements que connaît ce dossier. Le vote de la résolution 1541 par le Conseil de sécurité conforte par exemple l’attitude algérienne à son égard. Il confirme une position de base: le droit des Sahraouis à l’autodétermination. Il rappelle aux deux parties opposées, le Maroc et le Polisario, que le plan Baker demeure l’unique point de référence sans lequel il n’y a point d’alternative pour l’instant.

Toutefois, et c’est là que réside l’autre explication à la réaction algérienne, Alger semble aujourd’hui bénéficier d’un retour du balancier, ce mouvement qui a toujours caractérisé ses relations avec Rabat. Ce phénomène se perçoit d’abord à travers la fragilité dans laquelle la récente vague de terrorisme islamiste a plongé le Maroc. L’existence de groupes djihadistes, que les attentats de Casablanca ont révélés peu avant la découverte de l’implication directe de ressortissants marocains dans les attentats qui ont ciblé, le 11 mars dernier, la gare d’Atocha, dans la capitale espagnole, a révélé un pays profondément touché.

Par un intégrisme suscitant d’autant plus de frayeurs et de craintes chez les Occidentaux qu’il est toujours compris par eux comme la marque d’une instabilité dangereusement contagieuse. Mais aussi comme le révélateur d’une incertitude et d’une précarité politiques que la question du Sahara Occidental – si vieille mais toujours là – peut rendre plus graves. Le même phénomène se pressent également à travers l’empressement de Paris et surtout de Madrid, dont le ministre des Affaires étrangères a déclaré, dans la dernière livraison de l’Intelligent, que «le temps est venu de résoudre définitivement le problème du Sahara Occidental».

Une telle attitude est naturellement tributaire de l’influence que chacune des deux capitales exerce dans ce dossier. Mais elle semble trahir aussi une certaine crainte de voir la tension, que ce conflit nourrit en permanence, s’alourdir davantage par la pression exercée par le terrorisme islamiste. «Il est temps de donner aux Sahraouis une situation nouvelle», déclare M. Moratinos dans le même hebdomadaire. Mais comment et au détriment de qui ? La cruauté de la question ne vaut que par le fait que Rabat refuse pour l’instant tout projet d’autodétermination. Elle vaut aussi par le fait que le perdant sera forcément celui qui aura le moins d’atouts à faire valoir. D’où la nécessité d’évoquer un troisième point: la place retrouvée de l’Algérie dans l’espace euro-maghrébin. Ou, plus prosaïquement, la confirmation de ses bonnes relations avec l’Espagne. Lundi dernier, Miguel Angel Moratinos a annoncé la ratification prochaine du traité de bon voisinage et d’amitié, déjà signé en octobre 2002 par le président Bouteflika et son homologue Aznar. L’annonce de cet événement, parmi d’autres, dissipe les craintes qu’ont eues certains cercles algériens après la victoire de José Luis Rodriguez Zapatero aux dernières élections en Espagne. Il confirme l’importance de l’enjeu algérien aux yeux de Madrid. Notamment en ce qui concerne le dossier énergétique. Mais pas seulement ! L’effet dévastateur du «11 mars» sur l’Espagne et sa société politique fait d’Alger une place incontournable en matière de lutte antiterroriste. Pour preuve, Madrid fait appel aujourd’hui à l’expertise algérienne. Dans peu de temps, a déclaré Miguel Angel Moratinos, les ministres de l’Intérieur des deux pays se verront pour créer une commission mixte chargée de renforcer la coopération dans ce domaine.

Selon M. Moratinos, il s’agit d’un «dossier majeur». Ses dividendes, imagine-t-on, sont importants pour l’Algérie. Leur sens politique véritable peut en tout cas être compris à travers le dernier livre de l’ancien président du gouvernement espagnol. Dans «Huit ans de gouvernement», paru le 3 mai dernier, M. Aznar avoue avoir sous-estimé la menace islamiste: «Je dois reconnaître (…) que l’opinion publique espagnole n’était peut-être pas suffisamment informée, jusqu’au 11 mars, de l’importance de la menace des réseaux terroristes islamistes, ou en tout cas pas aussi bien informée qu’elle ne l’était de la menace du terrorisme de l’ETA», lit-on dans les bonnes feuilles déjà publiées sur des sites électroniques. «Dans certains cas, nous avons été capables de détecter leurs mouvements à temps. Le 11 mars, malheureusement, nous n’avons pas su le faire», admet-il.

A lui seul, cet aveu signale quelque part, mais de manière très frappante, comment le terrorisme islamiste qui a frappé l’Espagne le 11 mars dernier a clos, une deuxième fois après le 11 septembre 2001, un chapitre de l’histoire algérienne. Du stade de repoussoir, Alger est presque passé à celui de modèle.

Noureddine Azzouz