Pouvoir politique et puissances financières, même combat
Un islamiste gardé à vue avant parution
Bourti est le «personnage» principal d’un livre sur la présence d’Al-Qaeda en France.
Par Jacky Durand, Libération, 24 janvier 2003
Karim Bourti n’est pas inconnu au 36, quai des Orfèvres, où il a déjà été entendu à plusieurs reprises dans le cadre de dossiers terroristes. arim Bourti, un Franco-Algérien de 34 ans, a été placé en garde à vue mercredi matin en compagnie d’un autre homme à la section antiterroriste (SAT) de la Brigade criminelle de Paris. Bourti a été interpellé sur commission rogatoire du juge Jean-Louis Bruguière, avant la sortie hier d’un livre intitulé Mes « Frères » assassins (Editions du Cherche-Midi) où l’auteur, Mohamed Sifaoui, a recueilli son témoignage en infiltrant ce qu’il affirme être «une cellule d’Al-Qaeda» dans une mosquée parisienne.
Revirements. Sifaoui, qui se présente comme un journaliste algérien, est surtout célèbre en France pour ses revirements. Après s’être proclamé opposant acharné au régime d’Alger à son arrivée à Paris voilà trois ans, il a témoigné en faveur du général Nezzar, homme fort du même régime, lors d’un procès à Paris l’été dernier. Plusieurs procédures l’ont également opposé aux Editions La Découverte, à propos du livre la Sale Guerre, où il devait mettre en forme les révélations d’un sous-officier algérien sur les exactions de l’armée. Après avoir vu sa copie recalée, Sifaoui s’est mué en un vibrant défenseur de l’institution militaire et un pourfendeur des Editions La Découverte. Le placement en garde à vue du «personnage» principal de son dernier livre, le jour même de sa mise en vente, lui procure à nouveau une étrange publicité.
Karim Bourti n’est pas inconnu au 36 quai des Orfèvres, où il a déjà été entendu à plusieurs reprises dans le cadre de dossiers terroristes. Il a été condamné en décembre 2000 à trois ans de prison, dont deux avec sursis, pour sa participation au réseau dit d’Omar Saiki, accusé de projeter un attentat à l’occasion de la Coupe du monde de football de 1998 en France. Interpellé le 17 décembre dernier par les policiers de la Criminelle, Bourti aurait été interrogé dans le cadre de l’enquête sur l’entourage d’Ouassine Cherifi, un Franco-Algérien condamné à cinq ans de prison pour sa participation à un trafic de faux passeports, en lien avec des réseaux islamistes dont celui de Francfort démantelé fin 2000. Bourti faisait l’objet d’une enquête policière depuis un certain temps, mais la sortie du livre a, semble-t-il, précipité son placement en garde à vue.
«Coup de poing». Lundi, le parquet de Paris a ouvert une information judiciaire pour «association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste et violence volontaire entraînant une incapacité totale de travail de plus de huit jours» confiée au juge Bruguière, qui a placé Bourti et un autre homme en garde à vue. Ils sont soupçonnés de violences en réunion et de tentative d’extorsion de fonds à l’encontre du recteur d’une mosquée parisienne. Les faits remontent à décembre et s’inscriraient dans une tentative de prise de contrôle d’un lieu de prière par des salafistes.
«C’est un phénomène que nous surveillons», explique un officier de renseignements pour désigner les luttes d’influence menées par cette mouvance fondamentaliste aux abords des mosquées. «Nous avons vu arriver les salafistes aux abords des mosquées dans les années 1998-1999 avec la venue en France de prédicateurs formés dans des écoles reconnues comme l’université salafite de Médine. Parfois, ils cohabitent dans les mosquées. Parfois, ils éjectent les gens en place et peuvent faire le coup de poing contre les imams qui leur résistent.» Selon une autre source, les salafistes contrôlaient début 2002 une vingtaine de lieux de prières sur les quatre cents que compte la région parisienne.