Secrets et coulisses autour du Sahara occidental

SECRETS ET COULISSES AUTOUR DU SAHARA OCCIDENTAL

Comment Alger a piégé Rabat

Le Quotidien d’Oran, 16 juillet 2003

Le Maroc a probablement perdu sa plus grande bataille diplomatique sur le Sahara Occidental. Pris de court par l’approbation du Conseil de sécurité de l’ONU du plan Baker et par l’acceptation du Polisario, Rabat est partagé entre approuver un référendum à l’issue défavorable et une autonomie suicidaire. Récit d’une semaine qui a ébranlé le royaume de Mohamed VI.

« La diplomatie algérienne a semblé être plus efficace que la nôtre». Cette phrase prémonitoire émane de l’ancien ministre marocain de l’Intérieur, Driss Basri, confessée à l’hebdomadaire Al-Ayam en mai dernier, un mois à peine avant le camouflet de New York. Le plan de règlement de James Baker, déposé par les Etats-Unis, le 11 juillet, pour adoption, a fait l’effet d’un cataclysme au sein du sérail marocain. Rabat ne s’attendait pas que ce projet fasse l’objet d’une approbation politique et misait sur un refus similaire au sien de la part du Front Polisario. Or, la RASD de Mohamed Abdelaziz a accepté le plan américain, précédée par l’Algérie, alors que des observateurs empressés avaient évoqué «le lâchage» par Alger des Sahraouis.

La réaction marocaine de l’ambassadeur du Maroc à l’ONU, Mohamed Bennouna, en dit long sur le désarroi alaouite «contre-productif», dira-t-il aux Américains. Dans les couloirs de New York, la lettre qu’a envoyée le ministre marocain des Affaires étrangères au secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, circule et s’en prend violemment à l’Algérie et à… James Baker. «Dans sa réponse, le Maroc a souligné que cette nouvelle proposition procède, pour l’essentiel, du plan de règlement dont l’échec et l’inaplicabilité ont été dûment constatés», écrit-il. A l’adresse de Baker, Benaïssa l’accuse d’avoir «réintroduit l’organisation d’un référendum qui reviendrait aux options initiales (…) La proposition de Baker complique davantage la situation par ses dispositions relatives à la période transitoire».

En clair, le refus marocain repose sur le fait que le plan Baker remet en cause la souveraineté du Maroc sur les territoires sahraouis occupés.

Rabat refuse l’option d’indépendance car, selon le mot d’un diplomate marocain, «s’il existe une chance minime que le référendum passe, ce sera l’indépendance. C’est inacceptable».

Il refuse également de prendre le risque de laisser la gestion lors de la phase transitoire aux Sahraouis que ce soit sur le plan politique (exécutif), qu’économique (exploitation du phosphate et du pétrole) car d’ici… 2009, le référendum sera inéluctable. Il refuse, enfin, de laisser tomber les «minorités tribales», soit les tribus «marocanisées» qui ont accepté de s’installer en territoire occupé.

C’est pour toutes ces raisons que le Maroc se retrouve piégé et la France aussi. La presse espagnole a immédiatement ironisé sur le binôme Rabat-Paris et le risque de veto de Dominique de Villepin: «La France serait le seul membre permanent du Conseil de sécurité à accueillir avec réticence le projet de résolution des Etats-Unis et aurait choisi l’abstention. Les milieux diplomatiques seraient en revanche convaincus que Paris n’irait pas jusqu’à user de son «droit de veto» pour bloquer le document américain», écrit El Pais et A.B.C.

Le Maroc qui avait déjà rejeté le plan de Houston alors qu’il l’avantageait (transition d’une année au lieu de cinq, administration marocaine au lieu de sahraouie) se trouve en porte-à-faux. Mais si Washington avançait à l’époque la protection d’un «Maroc fragilisé», il semble, aujourd’hui, moins enclin à négocier quoi que ce soit.

La réponse favorable du Polisario et de l’Algérie a plombé l’argument marocain. Rabat mais également Paris et à un degré moindre Madrid misaient sur le refus des Sahraouis et des Algériens qui, ajouté au refus marocain, allait déboucher sur une «résolution technique». Un autre mandat pour la Minurso. Réponse de Baker: «Take it or leave it» (à prendre ou à laisser). Le Texan avait, pourtant, pris la précaution d’avertir les partenaires. Ils avaient trois mois de réflexion et aucune négociation supplémentaire n’était tolérable aux yeux de l’Américain: «Il doit être pris et adopté tel qu’il est proposé», écrit-il dans le paragraphe 56 du plan de règlement publié le 23/05/2003. Depuis, la diplomatie marocaine, mise à nu, se défausse sur l’ami de la famille Bush: «Il faut qu’il parte». «Il est pro-algérien», susurrent les diplomates marocains en poste à New York aux conseillers d’Annan. Le Maroc veut la peau de Baker qui est encensé par les médias espagnols qui parlent de «changement stratégique» et de «révolution» dans le jeu diplomatique.

Ahmed Ouyahia, Premier ministre, Abdelkader Messahel, ministre délégué aux Affaires africaines, et Abdellah Baâli, ambassadeur de l’Algérie à l’ONU, qui cumulent à eux trois 65 ans de connaissance et de suivi du dossier sahraoui, sont le noyau dur qui a fomenté cette révolution de velours.

Alors que la presse algérienne évoquait un «divorce» entre Alger et Smara, alors que des observateurs parlaient de «pressions algériennes» sur le président Abdelaziz dans les salons de la résidence El Mithak et alors que le Quai d’Orsay se frottait déjà les mains d’avoir la même approche que les Britanniques, les Russes et les Américains, les diplomates algériens adoptent le profil bas.

Pas de commentaires. Aucun signal envers Rabat ou Madrid qui jouait au funambule entre les deux capitales maghrébines: «Il résulte du plan Baker une situation curieuse. Ce plan qui ne favorise aucune des deux parties a suscité toute sorte de suspicion au Maroc et chez le Polisario (mais pas en Algérie)», écrit l’ambassadeur espagnol à l’ONU, Inocencio Arias, qui décode mal la situation qui se présente à Madrid. «Les membres du Conseil de sécurité ne sont pas préparés pour imposer une solution qui pourrait avoir des effets contraires», écrit-il dans «Estrella Digital».

Madrid a été convaincu que le Polisario allait refuser, tout comme le Maroc, avant le 11 juillet. Il est également pris de court. En apprenant la nouvelle, le chef de la diplomatie espagnole, Ana de Palacio, annule un voyage privé à Marrakech. Ça pourrait être mal vu. Les diplomates espagnols, alliés des Américains, s’agitent. Cette corrida diplomatique leur échappe. Ils lancent une fuite donnant une réunion tripartite à Madrid (Espagne-Algérie-Maroc) qui est démentie par le porte-parole du MAE algérien. Entre son réchauffement avec le Maroc et son alignement indéfectible à George W. Bush, José Maria Aznar a à faire un choix délicat. D’autant plus que Madrid préside le Conseil de sécurité de l’ONU et que son vote sera particulièrement suivi le 31 juillet prochain. «En un mot, l’Espagne est appelée à choisir son camp de manière claire et définitive», écrit le quotidien «Aujourd’hui Le Maroc».

A New York, au même moment, Bennouna, le Marocain en charge du dossier, tente de rameuter les amis du Royaume en dénonçant «l’absence de consultations préalable» des Américains. Mis à part Paris, dont l’isolement s’agrandit depuis la crise irakienne, c’est le second ratage diplomatique où il se trouve face à Moscou, Londres et Washington contraint de dire «non».

Au Maroc, c’est la panique. Le fils du général Hamidou Laanigri, puissant patron des services du contre-espionnage (DST) et conseiller du Palais royal, est envoyé dans différentes capitales européennes pour tenter de les convaincre de stopper l’adoption de la résolution. Ironie du sort, les généraux Laanigri et Benslimane qui ont la haute main sur le dossier sahraoui se sont lamentablement plantés en prédisant un soutien américain et en marginalisant Driss Basri, le seul officiel marocain qui a vu venir le lâchage américain: «La solution était possible avant que les Etats-Unis d’Amérique aient repris le dossier. De nos jours, la solution du conflit du Sahara ne peut qu’être une solution américaine; avec ou sans référendum, ils nous ont offert l’»accord-cadre». Nous ne pourrons pas gérer cet «accord-cadre» parce qu’il conduira à l’indépendance», avait-il prévenu. En vain.

Au même moment, le président Mohamed Abdelaziz s’envole en cette matinée du 15 juillet en direction de… Washington. Invité par des Congressmen américains du parti républicain et des associations américaines pour l’indépendance du Sahara, le président sahraoui voit sa position se renforcer. Lundi 14 juillet, le sous-secrétaire d’Etat américain, Richard Armitage, donne le coup de grâce à Rabat: «L’Algérie est la voie d’accès au Moyen-Orient, à l’Afrique et à la Méditerranée, ce qui la place dans une position imprenable pour jouer un rôle de leadership au 21èmee siècle» et souligne que «l’engagement avec une Algérie stable, où règne la sécurité et en voie de démocratisation revêt un intérêt important pour les Etats-Unis». C’en est trop. Dans la soirée du 14 juillet, le roi Mohamed VI prend son téléphone et appelle le président Bush pour se plaindre de cet appui public des Etats-Unis à Alger et du rôle de la diplomatie américaine dans le lâchage à l’ONU. Surtout qu’Armitage est connu pour être un proche du vice-président Dick Cheney et un ami des Bush.

Dans ce micmac diplomatique, le Maroc laisse des plumes. Il se retrouve isolé et n’a pas beaucoup d’option d’ici le vote du Conseil de sécurité. Il sait que le temps travaillera contre lui si jamais il accède à une gestion sahraouie des territoires occupées et cantonne ses troupes. «Il devrait accepter car cela pourrait être salvateur pour le royaume, indique un diplomate occidental en poste à Alger. Voyez l’Indonésie. Elle est sortie renforcée après avoir concédé l’indépendance au Timor Oriental».

A Alger, le consensus existe. Que ce soit la présidence de la République, l’état-major de l’armée, le gouvernement, les services spéciaux ou le ministère des Affaires étrangères, le dossier a soudé le plus haut sommet de l’Etat sur la stratégie à prendre. Commentaire d’un diplomate algérien: «Qui peut croire un instant que l’Algérie peut lâcher le droit des Sahraouis d’être libres ! Qui ?». Le succès diplomatique algérien réside là.

Mounir B.