Redouane Boudjemaâ: «Il s’agit d’un marketing politique destiné à l’étranger»

Redouane Boudjemaâ. Enseignant à la faculté des sciences de l’information

«Il s’agit d’un marketing politique destiné à l’étranger»

El Watan, 15 septembre 2011

-Quelle appréciation faites-vous du projet de loi sur l’information adopté lundi en Conseil des ministres ?

Le problème dans notre pays, c’est que le pouvoir en place a toujours transgressé et violé ses propres lois et même la mère des lois qui est la Constitution. Il est aujourd’hui difficile de lui faire confiance. La question qui se pose est de savoir si ce pouvoir a-t-il, après 50 ans d’indépendance, une réelle volonté de gouverner en appliquant les lois de la République et en les respectant ?

-Concrètement, ce nouveau texte de loi constitue-t-il une évolution par rapport au code de l’information de 1990 ?

En lisant les déclarations des officiels, dont le Premier ministre et le communiqué du Conseil des ministres, on constate que le pouvoir focalise sur l’ouverture audiovisuelle et la mise en place d’une instance de régulation. Ces deux points font l’objet d’un marketing politique du pouvoir, destiné essentiellement à l’opinion et aux puissances étrangères. Car, il n’y a aucune évolution par rapport au code de l’information de 1990 qui, lui aussi, consacrait l’ouverture du champ audiovisuel aux investissements privés. Ce code avait également prévu l’élaboration d’une loi spécifique qui n’a jamais vu le jour. Et ce texte de loi est violé depuis 21 ans.

-Vous craignez donc que ce nouveau projet de loi subisse le même sort que le code de l’information de 1990…

Effectivement, rien pour l’instant ne nous garantit que ce nouveau texte de loi, qui est une copie conforme à celle de 1990, soit appliqué. Aussi, que veut exactement le pouvoir ? Restaurer le droit de la communication et de l’information ou reproduire le pluralisme médiatique de la presse écrite et donc biaiser cette ouverture audiovisuelle en permettant à sa clientèle de créer des chaînes de télévision et des radios qui vont promouvoir sa politique et défendre ses intérêts en ignorant les réalités politiques, économiques et sociales de la société.

-Que pensez-vous des deux instances de régulation, l’une pour la presse écrite, l’autre pour l’audiovisuel, prévues dans ce projet de loi ?

Ces instances de régulation sont loin d’être indépendantes du pouvoir exécutif. Certes, elles seront composées à 50% des professionnels des médias, mais leur président sera toujours désigné par le chef de l’Etat qui est le premier responsable du pouvoir exécutif. Encore, elles sont tenues de remettre leur bilan annuel au président de la République. Le pouvoir veut faire croire aux Algériens que la question de délivrance d’agrément pour la création de journaux ou autres médias est une affaire de justice. Or, c’est une affaire purement sécuritaire et administrative. Combien de professionnels des médias considérés comme politiquement incorrects qui n’ont pas pu avoir d’agréments malgré leurs dossiers complets !

-Certains professionnels des médias dénoncent le fait que ce projet de loi ne consacre pas l’accès aux sources d’information…

Effectivement, l’accès aux sources d’information est élémentaire pour le travail journalistique et constitue un droit qui n’est malheureusement jamais respecté. Il faut ainsi une loi spécifique qui va consacrer ce droit pour dépasser l’opacité de l’exercice des responsabilités. Il y a aussi l’accès à l’information relevant des affaires publiques qui est un droit à tout citoyen dans un Etat de droit. Autant de manques qui nous laissent douter de la volonté politique de consacrer cette ouverture annoncée…

Mokrane Ait Ouarabi