Encore deux mois de prison pour Hafnaoui

Encore deux mois de prison pour Hafnaoui

El Watan, 24 juin 2004

Deux mois de prison ferme, 50 000 DA d’amende et près d’un million de dinars de dommages et intérêts, tel est le nouveau verdict prononcé hier par le tribunal correctionnel de Djelfa contre le journaliste et militant des droits de l’homme, M. Hafnaoui Ben Ameur Ghoul. Ce dernier a été, par ailleurs, condamné le 9 juin dernier à deux mois de prison ferme et 10 000 DA d’amende.

Pour le procès d’hier, le journaliste est poursuivi pour trois affaires et un total de… 17 plaintes déposées à son encontre par presque tout ce que compte la wilaya de Djelfa comme chefs de daïra, directeurs d’exécutif, présidents d’APC et autres agents de sécurité. C’est dire que c’est toute «la franc-maçonnerie» locale qui reproche à Hafnaoui son «excès de plume» en publiant des révélations «désagréables». Dans la première affaire, le journaliste est appelé à répondre à une plainte déposée à son encontre par deux agents de sécurité de la wilaya de Djelfa. Il est poursuivi, au même titre que le correspondant local du journal El Chourouk, pour «outrage et insulte à agents de sécurité en faction». Pourtant, expliquent les avocats de la défense, le jour des faits, les deux correspondants de presse ont été convoqués par le chef de cabinet de la wilaya pour récupérer leur badge pour la couverture d’une visite d’inspection de l’ex-ministre de la Santé. En sortant du siège de la wilaya, les deux journalistes n’ont pas trouvé leurs cartes professionnelles au niveau du poste de contrôle. «C’est une souricière», a estimé la défense. «Il n’y a aucune preuve d’outrage ou d’insulte. Comment condamner un prévenu sur la base de la simple déclaration du plaignant ?», s’est interrogé Me Kadouri, qui a vite conclu à «une simple imbrication de deux déclarations». Les avocats de la défense ont plaidé juste, puisque les deux journalistes ont été acquittés après une série de plaidoiries. Pour la deuxième affaire, Hafnaoui est poursuivi pour 14 plaintes introduites à son encontre par les responsables locaux de Djelfa. Ces requêtes font suite à un brûlot publié le 24 mai dernier par le journaliste, en sa qualité de coordinateur local de la LADDH et de porte-parole du Mouvement citoyen du Sud dans les colonnes du journal arabophone El Djazaïr News sous l’intitulé de : «Combien de citoyens doivent s’immoler pour qu’ils se fassent entendre?». Dans ce long rapport, Hafnaoui Ghoul avait, faut-il le rappeler, dénoncé la corruption qui ronge la wilaya de Djelfa, le détournement et la dilapidation des deniers publics, les abus de pouvoir, le pourrissement du secteur de la santé, l’accaparement de la quasi-totalité des marchés publics par, ce qu’il a appelé «le lobby de la construction et les barons des projets». Les responsables qui se sont sentis diffamés sont, entre autres, le wali de Djelfa, son chef de cabinet, le directeur de la réglementation et des affaires générales, celui de la santé, le conservateur foncier, le responsable du haut commissariat pour le développement de la steppe, les présidents des APC de Meliliha et Selmana. Interrogé, l’accusé a déclaré avec une témérité exemplaire qu’il n’avait rapporté que les préoccupations des citoyens de Djelfa. D’ailleurs, a-t-il dit, «c’est toute la presse qui en a fait écho». Appelé à la barre pour apporter son témoignage, le président de l’APC de Selmana, dont l’âge avoisinerait les 70 ans, s’est contenté de dire, à l’adresse du juge, «je suis analphabète» ! Comment s’est-il estimé diffamé puisqu’il ne sait ni lire ni écrire !? L’assistance s’est indignée face au mea-culpa de cet élu du peuple. Pour les avocats de la défense, l’aveu de ce maire est suffisant pour se rendre compte que toute cette machination n’est pas du tout spontanée. – «Que demandez-vous», demandera le juge à l’adresse du président de l’APC plaignant. Pour toute réponse, ce dernier insistera sur son analphabétisme. Après que le juge ait redoublé d’effort pour faire comprendre à l’élu l’objet de sa question, le président de l’ APC, à l’évidence avare jusqu’au bout des ongles, dira : «Si cela est dans le domaine du possible, je lui arracherais même sa chemise». Indigné et révolté à la fois, Hafnaoui Ghoul ne s’est pas privé de remettre sa chemise à son adversaire sous les applaudissements de l’assistance. La plaidoirie des représentants de la partie civile est un condensé d’éloges à l’égard du président de la République, du wali de Djelfa et de tous les responsables locaux. Ils ont même présenté le bilan des réalisations (avérées ou supposées) des responsables de Djelfa au lieu, bien entendu, d’expliquer en quoi leurs mandants ont été diffamés par les propos du journaliste. Comble d’ironie, l’avocat du directeur de l’hydraulique a même demandé au journaliste de s’occuper d’autre chose au lieu de déranger inutilement les responsables locaux ! «Pourquoi ce journaliste ne s’intéresse-t-il pas au climat de notre région ? Pourquoi ne parle-t-il pas de la laine de Djelfa, de sa viande d’agneau, de ses grands boulevards, de ses chefs-d’oeuvre ?», a-t-il clamé suscitant du coup des cris d’exclamation et d’étonnement dans la salle d’audience. La défense de Hafnaoui a martelé que ce journaliste et militant des droits de l’homme est «nationaliste exemplaire». Pour elle, il a le mérité d’avoir révélé l’affaire des treize bébés morts dans des conditions suspectes. «Dans des pays qui se respectent, c’est le ministre qui devrait jeter le tablier», a tempêté Me Kadouri. Pour ce dernier, au lieu de traîner son client devant le tribunal, les autorités auraient mieux fait de diligenter des enquêtes sérieuses à même de débusquer les responsables de la misère des habitants de Djelfa. «Il n’a fait que décrire la face cachée de cette région appauvrie», a déclaré l’avocat. Dans la troisième affaire (la dernière), Hafnaoui Ghoul a été poursuivi pour des propos qu’il a tenus le 18 mai dernier, et repris par le journal Le Matin. Le wali et son chef de cabinet sont les principaux plaignants dans cette affaire. Les avocats de la défense ont démontré, documents à l’appui, que cet article a été rédigé par le journaliste du journal Le Matin sur la base d’un communiqué de la LADDH. De ce fait, Hafnaoui Ghoul est complètement hors de cause. A l’issue de presque une journée de plaidoiries, le président a acquitté Hafnaoui dans l’affaire l’opposant aux deux agents de sécurité de la wilaya. Concernant le rapport publié par El Djazaïr News, Hafnaoui Ghoul a été condamné à deux mois de prison ferme et à 50 000 DA d’amende, et pour la dernière affaire, il a été condamné à verser 20 000 DA d’amende. Notons que lors de ce procès, une délégation du mouvement citoyen de Kabylie conduite par Belaïd Abrika s’est déplacée au tribunal de Djelfa en signe de solidarité avec le journaliste.

Par A. Benchabane