L’envoyée spéciale de « Libération » à Bagdad n’a pas donné de ses nouvelles depuis mercredi

L’envoyée spéciale de « Libération » à Bagdad n’a pas donné de ses nouvelles depuis mercredi

Le Monde, 8 janvier 2004

Le quotidien s’inquiète du sort de Florence Aubenas et de son guide-interprète irakien.

Le quotidien Libération était toujours sans nouvelles, vendredi 7 janvier en début de matinée, de son envoyée spéciale à Bagdad, Florence Aubenas, et de son guide et interprète irakien, Hussein Hanoun Al-Saadi. « Ils n’ont plus été vus depuis qu’ils sont sortis de leur hôtel au centre de Bagdad, mercredi matin » , précise Antoine de Gaudemar, le directeur de la rédaction du journal, dans un article publié vendredi. OAS_AD(‘Middle’); « Nous n’avons eu depuis ce moment aucun contact avec eux, délai suffisamment important pour déclencher l’alerte. Et rendre publique notre inquiétude » , ajoute-t-il.

Sur LCI, le chef de la diplomatie française, Michel Barnier a déclaré, vendredi, que les autorités françaises avaient « une inquiétude mais pas de certitude » . « Nous ne savons pas de quoi il s’agit. Nous partageons l’inquiétude du journal Libération », a-t-il ajouté. Jeudi soir, le Quai d’Orsay avait indiqué que , dès qu’il a été averti de l’affaire par les responsables du journal, « tous les efforts ont été entrepris par -ses- représentants à Bagdad et par le ministère, à Paris, pour retrouver » Florence Aubenas et Hussein Hanoun Al-Saadi. Il avait rappelé « les conseils adressés à tous -les- ressortissants -français-, y compris les représentants des médias, d’éviter de se rendre en Irak, compte tenu des risques actuels encourus dans ce pays pour la sécurité de chacun » .

Florence Aubenas, qui travaille pour Libération depuis 1986, était arrivée en Irak le 16 décembre. Elle devait rentrer à Paris dans les prochains jours. Son interprète, Hussein Hanoun Al Saadi, qui collabore avec les envoyés spéciaux de Libération depuis presque deux ans, « a joint sa femme au téléphone hier -mercredi- vers 11h30, mais ce n’était pas un appel affolé « , a déclaré jeudi à LCI le PDG de Libération , Serge July. « Depuis, on est sans nouvelles » , a-t-il indiqué. « Dans les normes de sécurité qui sont les nôtres, jamais, sauf cas exceptionnel, quelqu’un reste longtemps sans donner des nouvelles ou sans donner son emploi du temps à Libération. »

Selon Serge July, Florence Aubenas travaillait actuellement sur deux sujets : les femmes candidates aux élections du 30 janvier et les réfugiés de Fallouja, que la journaliste cherchait à rencontrer. « Mais ses rendez-vous avaient été remis, pour ce que nous en savons, parce que l’endroit des rendez-vous était considéré comme trop dangereux. Nous ne pensons pas qu’elle soit allée à ces rendez-vous » , a-t-il précisé, ajoutant qu’il était « naturellement inquiet » .

Florence Aubenas est l’un des dix envoyés spéciaux de Libération, dont trois femmes, qui se sont relayés depuis janvier 2003 de manière quasi continue en Irak. Journaliste expérimentée, elle a couvert de nombreux événements dans le monde, du Rwanda au Kosovo en passant par l’Algérie et l’Afghanistan, ainsi que plusieurs grands procès en France. Brièvement passée au Monde , en 1995, elle est par ailleurs co-auteur de plusieurs ouvrages : Résister, c’est créer (2003), sur l’altermondialisme et La Fabrication de l’information : les journalistes et l’idéologie de la communication (1999), écrits avec le philosophe et psychanalyste Miguel Benasayag ; Lettre à une amie irakienne (disparue) , sur la société irakienne après la guerre avec la coalition anglo-américaine, écrit avec la Tunisienne Sihem Bensedrine, et, en 1995, un livre de témoignage sur son expérience au Rwanda : On a deux yeux de trop .

Le secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), Robert Ménard, a fait part de son inquiétude et rappelé que Florence Aubenas avait une grande expérience du danger. « C’est une excellente journaliste ; je la connais depuis des années, elle est allée dans des zones hyper-dangereuses. Elle sait les risques qu’il faut prendre et ne pas prendre. »

« Il va y avoir beaucoup d’enlèvements. A Bagdad, on ne peut plus aller sur le terrain. Le risque est démesuré pour des journalistes occidentaux » , a déclaré à i-Télé le journaliste Georges Malbrunot, tout récemment libéré par ses ravisseurs après quatre mois de captivité en Irak. « Oui, c’est dangereux de travailler en Irak » , mais « nous pensons qu’il y a un processus électoral engagé en Irak et que nous ne pouvons pas ne pas le couvrir » , a estimé, pour sa part, Serge July. « Le choix, qui n’est évidemment pas sans risque, de maintenir notre présence dans ce pays est le résultat d’une décision éditoriale collective et se fait sur la base du volontariat », précisait, vendredi matin, Antoine de Gaudemar.