Fermeture de plusieurs titres de presse

Fermeture de plusieurs titres de presse

L’absurde logique commerciale et la raison politique

El Watan, 30 juin 2014

Le ministère de la Communication et les imprimeries publiques traquent depuis quelque temps les éditeurs mauvais payeurs ou pas payeurs du tout.

Les journaux concernés sont sommés de régler leurs dettes au risque de se voir interdits d’impression. Le ministre de la Communication, Hamid Grine, avance des arguments économiques : un journal est une entreprise, il doit être géré comme tel. Théoriquement, le ministre est dans le vrai. Mais cela peut tromper l’opinion sur une réalité toute autre. Celle-ci dit que parmi la centaine de journaux de tout acabit montés ces dernières années, il y a ceux, nombreux, qui ne sont autres qu’une clientèle créée de toutes pièces par un pouvoir soucieux d’inonder la scène médiatique pour noyer les quelques titres gênants de la presse écrite. Se nourrissant à la mamelle de l’Etat qu’est l’ANEP, peu payaient l’imprimerie. La situation a duré des années. Comment un journal cumulant des milliards de dettes ne songe pas à les honorer en continuant malgré tout à sortir, au grand dam de la logique commerciale que les responsables du secteur évoquent aujourd’hui ?

L’ancien chef du service presse du DRS, le colonel Fawzi, réglait tout, paraît-il, par téléphone, même si sa clientèle n’assurait pas ses employés et les payait très modestement. Beaucoup parmi ces patrons de presse se sont enrichis sans consentir le moindre sou à l’investissement au profit de leur entreprise. Une seule logique les guide : la rente. Et la rente, le pouvoir s’en servait à profusion et s’en sert toujours tant l’entretien de la clientèle en vaut bien la peine. Quelle mouche donc l’a piqué pour s’intéresser subitement à l’ardoise bien salée de certains journaux ? Et pourquoi s’intéresse-t-il seulement à certains titres et pas à d’autres, autrement plus endettés mais bénéficiant d’une bienveillante clémence des tenants du pouvoir ? Fermer Algérie News et sa version arabophone, ainsi que le quotidien El Fadjr n’obéit en réalité à aucune logique commerciale.

Le pouvoir, qui n’en a jamais tenu compte des années durant, s’en sert plutôt comme prétexte pour étouffer les voix discordantes. Il n’y a aucun argument commercial à faire valoir à partir du moment que les patrons de ces deux journaux se sont déjà engagés à payer, selon un échéancier, leurs dettes auprès des imprimeries publiques. H’mida Layachi et Hadda Hazem payent certainement le prix de leur rejet du quatrième mandat. La raison ne peut être donc que politique, même si l’on s’obstine à démontrer qu’elle est uniquement d’ordre commercial.

Si les pouvoirs publics veulent jouer vraiment la transparence, qu’ils rendent publiques alors les dettes de tous les journaux et assainissent le secteur de tous les maquignons qui le polluent ! Ce ne serait visiblement pas le cas. L’objectif caché est de réduire les voix qui dérangent et de casser une presse qui bouscule certains lignes que les tenants du pouvoir veulent tracer. Sinon, comment expliquer les mesquines pressions exercées sur les annonceurs privés pour étouffer la presse ?
Said Rabia