Journée internationale de la liberté de la Presse
Selon les organisations CPJ, RSF et AMJ
Un état des lieux peu reluisant
El Watan, 3 mai 2009
Comme chaque année, la Journée internationale de la liberté de la presse est une occasion pour faire l’état des lieux. Un état peu reluisant eu égard aux nombreuses atteintes recensées par Reporters sans frontières (RSF), Association mondiale des journaux (AMJ) et Comité de protection des journalistes (CPJ).
Les trois ONG de défense de la presse, RSF, AMJ et CPJ ont toutes fait part de leur inquiétude et préoccupation par rapport aux violations multiples dont sont victimes les professionnels des médias à travers de nombreux pays. Dans sa déclaration rendue publique à la veille de la journée du 3 mai, l’AMJ a dédié cette journée aux journalistes « dans la ligne de mire », ceux qui « enquêtent sur des sujets sensibles, dévoilent des vérités dérangeantes et contestent des politiques douteuses. Les journalistes se retrouvent souvent dans la ligne de mire de ceux qu’ils dénoncent directement ou indirectement dans leurs articles. Face au harcèlement, aux menaces de violence et aux représailles physiques, partout dans le monde, des journalistes continuent néanmoins de dénicher des faits troublants, de remettre en cause le statu quo et de dénoncer ceux qui commettent des crimes.
Jour après jour, ils enquêtent et transmettent des articles qui peuvent leur valoir des poursuites ou leur coûter la vie. Plus de 400 ont été assassinés durant les dix dernières années. » Pour sa part, le CPJ a tenu à marquer la journée du 3 mai, en rendant hommage aux bloggeurs sévèrement réprimés dans dix pays, classés par l’organisation dans le tableau du « déshonneur » et qui sont la Birmanie, la Syrie, Cuba, l’Iran, la Tunisie, l’Arabie Saoudite, le Turkménistan, la Chine, le Vietnam et l’Egypte. Le rapport a identifié également un certain nombre de pays du Moyen-Orient et de l’Asie où l’épanouissement de l’usage d’internet s’accompagne d’une répression croissante des gouvernements. « La Birmanie, dirigée par une junte militaire qui limite sérieusement l’accès à l’internet et emprisonne des citoyens pendant des années pour l’affichage de critiques, est le pire pays au monde pour les bloggeurs (…). Les bloggeurs sont à l’avant-garde de la révolution de l’information et leur nombre est en pleine croissance (…). Cependant, les gouvernements ont très vite appris à tourner la technologie contre les bloggeurs en appliquant la censure et le filtrage de l’internet, la limitation de l’accès à la Toile et l’extraction de données personnelles. En dernier recours, les autorités jettent tout simplement certains bloggeurs en prison afin d’intimider le reste de la communauté en ligne et les réduire au silence ou les pousser à l’autocensure. » L’organisation a noté par ailleurs que « sur la base de pratiques comme les détentions, les réglementations et les mesures d’intimidation, les autorités de l’Iran, de la Syrie, de l’Arabie Saoudite, de la Tunisie et de l’Egypte apparaissent comme les principaux oppresseurs des bloggeurs au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
La Chine et le Vietnam, où l’essor des blogs est confronté à de vastes mesures de surveillance et de contrôle, sont parmi les nations qui oppriment le plus les bloggeurs. Cuba et le Turkménistan, des pays où l’accès à l’internet est très limité, complètent le tableau de déshonneur ». Reporters sans frontières a également fait de la journée du 3 mai 2009 celle de la solidarité avec la journaliste irano-américaine Roxana Saberi, qui entamait son 10e jour de grève de la faim et dont l’état de santé a été jugé grave. « La grève de la faim qu’elle mène depuis le 21 avril en Iran, pour clamer son innocence et obtenir sa libération, est un acte courageux. Il est important qu’elle puisse cesser cette grève de la faim en ayant l’assurance qu’à travers le monde d’autres poursuivent la mobilisation pour sa libération. » RSF a exprimé son souhait de voir que les droits de Roxana Saberi et de huit autres journalistes bloggeurs « soient respectés, que les droits de la défense soient respectés et que les pressions sur la journaliste et sa famille cessent au plus vite ».
Par Salima Tlemçani
Face à un arsenal juridique contraignant et repressif
La liberté de la presse est à conquérir
Les autorités algériennes ont été directement interpellées par des organisation internationales sur le verrouillage des médias lourds et le refus total du gouvernement algérien d’un quelconque changement dans la législation pour l’autorisation de télévisions ou radios algériennes à capitaux privés.
Des formations politiques d’opposition ont également utilisé les tribunes de l’APN et du Sénat pour lancer des appels pour la libération de ces espaces, mais l’Etat ne semble ni presser de revoir ce cadre législatif anachronique ni prêt à permettre aux opposants de s’exprimer sur la chaîne publique.
Pour tout argument, le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, avait justifié les craintes des pouvoirs publics à ce sujet par l’expérience algérienne en matière de presse écrite. Il a évoqué la sécurité intérieure de l’Algérie qui ne peut être, selon lui, mise à mal par l’apparition de médias lourds à large diffusion. Pour le responsable de l’Exécutif, il s’agit en premier de renforcer qualitativement et éthiquement la presse écrite privée avant de permettre l’apparition de télévisions ou radios privées. « Le gouvernement ne veut pas de médias orientés qui risquent de servir des intérêts autres que ceux de l’Algérie ou des intérêts personnels sous couvert de la liberté d’expression », a précisé un spécialiste du dossier. Néanmoins, face à ce verrouillage et lorsque l’on sait que l’Algérie est le pays qui compte le plus de paraboles, les indésirables personnalités politiques ont trouvé la parade en s’exilant médiatiquement. Quant aux spectateurs, ils se sont détournés de l’unique pour étancher leur soif d’informations via justement le satellite. S’exprimant sur ce sujet, Karim Tabbou, premier secrétaire du FFS, et Mohcène Belabès, chargé de l’information au RCD, ont souligné qu’ils n’ont jamais été sollicités par l’ENTV pour participer à une quelconque manifestation. « Nous ne passons jamais sur notre chaîne alors que nous sommes sollicités par toutes les chaînes étrangères, que ce soit en langue arabe comme la chaîne qatarie El Jazeera, ou les chaînes iranienne, canadienne et américaine.
Dernièrement, le docteur Sadi est passé sur ARTE suite à une invitation de cette chaîne », a soutenu M. Belabès qui ne comprend pas les craintes du pouvoir par rapport au débat contradictoire. « Nous avons demandé, à deux reprises, au directeur de l’ENTV de nous autoriser de passer au JT pour un droit de réponse, il nous a répondu par un niet », a fulminé notre interlocuteur. Poursuivant la liste des interdits, M. Belabès a expliqué que le groupe parlementaire du RCD a interpellé, à travers une question orale, le secrétaire d’Etat chargé de la communication pour qu’il intervienne afin de mettre fin au parti pris de l’ENTV en faveur du candidat Bouteflika, en vain. « Le président de la République veut moderniser la dictature. Il veut faire croire qu’il y a un semblant de multipartisme, de syndicats autonomes, d’élections libres alors que ces dernières sont truquées, des syndicats réprimés et des partis interdits de passer sur la chaîne publique », a affirmé le représentant du RCD, qui est, toutefois, persuadé qu’il n’y aura pas d’ouverture. Le FFS ne s’étonne pas qu’en 2009 le champ médiatique reste verrouillé, sous contrôle du pouvoir et continue à subir toutes les violences, que ce soit de l’Etat ou des extrémistes. « La presse et le champ médiatique sont à recréer et à reconstruire. Malgré l’engagement des journalistes, cela demeure insuffisant. Toutefois, on ne se fait pas d’illusions sur le caractère privé de l’ENTV qui exclut la participation de certains partis au débat. La chaîne unique est une entreprise qui a été privatisée sans aucun acte ; elle est un instrument entre les mains du pouvoir », a soutenu M. Tabbou. De l’avis du représentant du FFS, l’Algérie est l’un des rares pays à se trouver dans cette situation de fermeture de toute expression libre. Certes, fera-t-il Tabbou, « les autorités ont tenté des ouvertures, mais tel que conçu par eux, cela constitue un drame pour l’Algérie ». « Sous couvert d’ouverture, le pouvoir va créer des chaînes qui ne sont autres que des suppléments de l’ENTV. Il compte probablement récompenser ceux qui l’ont soutenu en leur permettant d’être des propriétaires de chaîne qui sont une transfusion de l’ENTV », a souligné notre interlocuteur qui pense qu’aucun prétexte politique ne peut justifier le recours à la fermeture du champ médiatique.
Par Nabila Amir
Journée internationale de la liberté de la Presse
Un état de siège permanent dans les pays arabes
Les pays arabes demeurent, une des régions du monde parmi les plus fermées politiquement. Les libertés fondamentales, à commencer par les plus élémentaires (d’opinion et de conscience) y sont, à ce point, formelles que ceux d’entre les habitants de cette contrée qui sont tentés de les exercer savent qu’ils courent des risques sérieux s’ils prennent des initiatives pour les faire prévaloir.
En Algérie, comme au Soudan ou dans la théocratie wahhabite, au Yémen comme au Maroc, en Syrie comme en Mauritanie, en Tunisie, en Egypte et à Bahreïn, sans oublier la situation ubuesque de la Libye, des régimes féroces capables de tous les excès sont prêts à ériger tous types d’obstacles, voire recourir tout simplement à la répression (arrestations, interrogatoires musclés, saisie des documents de voyage, privations diverses, entre autres la menace sur l’emploi, jusqu’à l’emprisonnement sans jugement et, dans certains cas, le recours à la torture) pour brimer leurs administrés. En Arabie Saoudite, les autorités ont arrêté au cours du mois de janvier 2009, Hamoud Bensalah parce qu’il affirmait, sur son site web, sa ferme volonté d’exercer sa liberté de conscience et son intention de se convertir à la chrétienté. En Algérie, comme si l’Islam n’était plus capable de résister à un certain regain de la confession chrétienne, le pouvoir en place affina en 2008 sa législation dite antiprosélytisme pour accentuer sa poigne de fer et est allé jusqu’à faire juger une jeune fille surprise avec des exemplaires de la Bible dans ses bagages de voyage. En Syrie, on emprisonne des écrivains et les journalistes sont bâillonnés.
A Bahreïn, défenseurs des droits de l’homme et bloggers sont soumis à des pressions intolérables. En Tunisie, la presse étant muselée depuis des lustres, le régime s’attaque aux organisations des droits humains et lâche ses molosses sur les utilisateurs d’internet. A la fin de 2008, il a fait suivre jusqu’à Beyrouth des représentants d’associations invités à une rencontre internationale sur la liberté d’expression pour les maintenir sous pression. Dans les monarchies du Moyen-Orient, la vie politique est tout bonnement inexistante. Dans le reste du monde arabe, où certains régimes n’hésitent pas à qualifier leur pouvoir de « république démocratique », seuls sont tolérés des partis politiques croupions ; à l’exemple de Algérie, des trois formations composant « l’Alliance présidentielle » qui sert de paravent aux intérêts des élites issues de l’armée et du sérail hérité du parti unique, ou de partis-alibi – soit disant d’opposition – comme le Parti des travailleurs de Louisa Hanoune. Avec une scène politique aux allures de prison, il n’y a évidemment que très peu ou carrément pas de place pour la liberté de presse et d’expression.
Les pires ennemis des libertés
C’est d’ailleurs dans cet ensemble géographique que se recrutent les plus redoutables ennemis de l’utilisation d’internet, selon un communiqué rendu public le 30 avril 2009 par le Comitee to protect journalistes (CPJ), la plus célèbre des ONG américaines de défense de la presse. En effet, parmi les dix premiers ennemis de la liberté d’expression sur internet recensés par cette ONG, quatre sont arabes (la Syrie, l’Arabie Saoudite, la Tunisie et l’Egypte). Si le constat allait un peu plus loin que le chiffre 10, l’Algérie, le Maroc et Bahreïn pourraient y figurer aussi, des bloggers ayant été inquiétés, voire emprisonnés dans ces trois pays. Et si étaient prises en considération d’autres formes d’atteintes aux libertés, les pays arabes, dans leur quasi-totalité, se retrouveront dans le peloton de tête des régimes autoritaires, pour ne pas dire des dictatures qui sévissent encore en ce bas monde. Afin de restituer la véritable réalité du monde arabe, il y a lieu de remarquer que l’existence de journaux privés ou dits indépendants ne peuvent en aucun cas représenter un indicateur fiable et suffisant de l’état de ces libertés.
Même dans le pays où l’on espère se trouver en présence de l’exception, à savoir le Liban, se manifestent des forces politiques prêtes à passer à l’action pour assassiner des journalistes. Samir Kassir et Djebran Tuéni, du quotidien Beyrouthin An Nahar, ont été victimes d’attentats à la bombe respectivement les 2 juin et 12 décembre 2005. Leur collègue May Chidiac de la chaîne de télévision LBC, également victime d’un attentat qui a ciblé son véhicule le 25 septembre 2005, est pour sa part handicapée pour le restant de ses jours. Si, dans la décennie 1990, les médias algériens ont payé un très lourd tribut à la guerre civile qui a ravagé le pays pendant près de 10 ans avec l’assassinat par les islamistes de plus d’une centaine de personnes activant dans le domaine de la presse dont 62 journalistes, c’est l’Irak qui, au bout de trois ans après l’entrée des troupes américaines, détiendra le plus triste des palmarès avec 175 tués entre journalistes et autres employés des médias. Les journalistes tués ici ne sont pas tous irakiens. Un grand nombre d’entre eux vient des quatre coins de la planète.
Le Liban, l’Algérie et l’Irak ne sont pas les seuls pays arabes à compter des morts dans la presse. Le Yémen, le Soudan, la Libye, l’Egypte et la Palestine ont également eu leurs lots de victimes. La mort (l’assassinat étant la forme la plus féroce de la censure), la répression (emprisonnement, torture) sont les moyens les plus radicaux pour réduire la presse au silence. Ils ne représentent cependant que la face la plus hideuse et la plus visible de la démarche liberticide des régimes arabes. Un certain nombre de ces pays maintiennent leurs peuples sous l’état d’urgence depuis des décennies (17 ans en Algérie, près de 30 ans en Egypte). Des situations analogues à cette suspension des libertés existent en Libye, en Syrie, au Yémen et au Soudan. Des lois répressives sont mises à contribution et souvent réactualisées pour acculer les médias, les intellectuels et les rares associations indépendantes au silence. On notera d’abord qu’à quelques exceptions près, les médias dits « chauds » (radios et surtout télévision) restent sous le monopole des Etats grâce à des législations intraitables.
Monopoles sur l’audiovisuel
En Algérie, la quarantaine de radios, dont 90% sont des radios FM et la chaîne unique de télévision qui, de temps à autre, se dédouble, ou même se clone en trois unités pour donner l’impression de diversité et donc de choix, ont pour maître, commanditaire et bénéficiaire exclusif, le pouvoir. Aujourd’hui, qu’il vente, qu’il neige, que change le sens dans lequel tourne la Terre ou que celle-ci en vienne à quitter le système solaire et la Voie lactée pour émigrer vers une lointaine galaxie, n’influera en rien sur l’ordre de primauté des informations de la télévision algérienne : d’abord Bouteflika, ensuite Bouteflika, encore Bouteflika et enfin les autres informations si elles ne sont considérées comme subversives pour la quiétude du régime. L’Algérie n’est pas le seul pays dont les dirigeants se sont assis sur l’audiovisuel. La Tunisie, la Libye, la Syrie, le Yémen, le Soudan ainsi que les monarchies du Golfe exercent le même monopole. Exception, le Liban où fleurissent d’innombrables radios et chaînes de télévision.
Pour la presse écrite, les temps ont toujours été durs, à part quelques rares éclaircies (Algérie entre 1990 et 1992), le Maroc, durant les deux ou trois années qui ont suivi le sacre de Mohammed VI, le Liban lorsque la pression des armes ne se fait pas trop corrosive et trop mortelle. La série d’obstacles est très longue. On citera d’entre les lois les plus répressives, notamment celles qui protègent l’image de marque des dirigeants. Ce genre de disposition juridique a fait des ravages en Algérie, quand n’importe responsable étatique pouvait se prévaloir de la qualité de « corps constitué » afin d’attaquer un journaliste parce que ce dernier a osé écrire un article sur le secteur qui le concerne. Dans les pays vivant sous la férule de ces souverains de pacotille, le roi et toute sa smala sont placés hors d’atteinte des médias et la prison attend forcément tout téméraire osant faire allusion à sa majesté et à ses proches.
A ce propos, les journalistes marocains, notamment Abdelkader Djemaï et Lemrabet, en connaissent un bon bout sur les pratiques du makhzen. Ailleurs, les présidents à vie et ceux qui héritent de la charge présidentielle comme on hériterait d’un bien familial, se dotent de législations dissuasives. En Egypte, n’importe quel citoyen peut poursuivre en justice un journaliste s’il estime que ce dernier a porté atteinte à l’image sacrée du raïs. Une fois bien installé au pouvoir grâce aux baïonnettes des militaires en 1999, le petit président Bouteflika veut grandir très vite. En mai-juin 2001, il fait adopter par son chef de gouvernement, Ali Benflis, son ministre de la Justice, Ahmed Ouyahia, et par son parlement une révision du code pénal réprimant sévèrement toute atteinte au prestige de sa seigneurie présidentielle. Les nouvelles dispositions prévoient des peines de 3 mois à 1 an de prison et de 50 000 à 250 000 DA pour le journaliste et le directeur de publication. Mais plus pernicieuse encore est la nouvelle sanction contre les entreprises éditrices : une amende de 2 500 000 DA.
Les sanctions financières sont à ce point lourdes au regard des situations financières de la plupart des journaux qu’une succession de deux ou trois procès peut définitivement ruiner un titre. censure et l’autocensure s’installent dans les rédactions. Quant aux récalcitrants ou ceux qui peuvent se laisser aller à des imprudences, la menace de la prison est là en plus de la sanction financière. Le dernier verdict envoyant un journaliste algérien en prison pour six longs mois a été rendu le 2 mars 2009 à Ghardaïa contre Nedjar Hadj Daoud, le directeur de l’hebdomadaire régional El Waha, qui avait été aussitôt arrêté au siège de son journal et mis en prison. En Tunisie, les emprisonnements sont encore plus fréquents et leurs périodes peuvent être très longues.
Les régimes arabes développent d’autres moyens pour nanifier la presse indépendante et brimer les journalistes qui ne se plient pas à leur volonté. Une panoplie de démarches économiques tend à remodeler les espaces médiatiques au profit des hommes forts en place. La création de nouveaux titres est sélective. L’agrément délivré par les pouvoirs publics, sans lequel aucune publication n’est possible, filtre désormais les prétendants aux nouveaux titres qui se recrutent de plus en plus parmi les amis du régime.
Par A. Ancer
Les coups de semonce de la justice
La presse algérienne a été clouée au pilori, à maintes reprises. Les coups de semonce de la justice dans les affaires de la presse attestent du recul dans la liberté d’expression en Algérie.
Dans les rapports traitant de la liberté d’expression dans le monde, l’Algérie apparaît à la traîne, loin derrière la Mauritanie, le Botswana, le Tchad et le Kirghizstan. Dans son dernier rapport sur la liberté de la presse, l’organisation Reporters sans frontières a classé l’Algérie à la 123e place. Le directeur du journal El Watan, Omar Belhouchet, est ainsi devenu un habitué des tribunaux. En une seule journée (le 16 mars 2009), il a reçu pas moins de 14 convocations de la police. Le 27 mai 2008, Omar Belhouchet et le chroniqueur Chawki Amari ont été condamnés, à 2 mois de prison et à une amende d’un million de dinars pour avoir suggéré que le wali de Jijel était lié à des affaires de corruption. Ali Fodil, directeur du journal El Chourouk a été lui aussi poursuivi pour la même affaire pour avoir publié un article incriminant le wali de Jijel.
Fouad Boughanem, directeur de publication, et Hakim Laâlam, chroniqueur du Soir d’Algérie, ont été condamnés à deux mois de prison ferme et à 250 000 DA d’amende chacun et une autre amende de 250 000 DA pour le journal. Le délit : offense au chef de l’Etat.Le directeur du journal El Waha, Nadjar El Hadj Daoud, était lui aussi passé par les fourches caudines des tribunaux pour avoir dénoncé des scandales de corruption et de trafic d’influence à Ghardaïa. Noureddine Boukraa du quotidien Ennahar a été interpellé et placé en garde à vue pendant plus de 24 heures à cause d’un article sur les liens, supposés ou réels, entre les forces de l’ordre de Annaba et la mafia locale. Deux journalistes du quotidien El-Chourouk ont été condamnés, à 6 mois de prison avec sursis suite à une plainte en « diffamation » déposée en 2006 par le président libyen Mouammar Al Kadhafi. Le 16 mai 2008, Jamal Belkadi, correspondant d’El Watan à Constantine, a été brutalisé par le chef de sûreté de wilaya alors qu’il prenait des photos sur les lieux d’un attentat. Son matériel a été confisqué. Poursuivi pour avoir « franchi le périmètre de sécurité », le photographe a été condamné un mois plus tard à une faible amende. Il est à constater, néanmoins, que le nombre de journalistes déférés devant les tribunaux est en baisse par rapport aux années 2004 et 2005. Pas moins de 18 journalistes ont été condamnés pour délits de presse à la prison ferme pour la seule année 2005. Même si cela n’est pas symptomatique du respect de la liberté d’expression, il pourrait être perçu comme une volonté de calmer le jeu. Le président de la République a fait des promesses, les journalistes attendent des faits.
Par Amel B.
Le travail au noir, la face amère de la corporation
La liberté ne s’accommode pas de l’absence de droits, comme le journaliste ne peut prétendre bien exercer son métier lorsqu’il ne jouit pas de ses pleins droits.
Si la presse algérienne est victime des barrières et autres blocages imposés par un pouvoir allergique à la liberté de ton, elle n’en est pas moins victime de ses propres conditions de travail en l’absence d’un texte de loi garantissant aux journalistes protection et soutien. Les journalistes qui rendent compte au quotidien des tourments des autres corps de métier ont tendance à oublier leur propre situation. Pourtant, les conditions de travail dans lesquelles ils évoluent ne sont pas des meilleures et sont même en deçà de ce qui doit exister. Sous-payés, non affiliés à la sécurité sociale et privés de prise en charge sociale adéquate, beaucoup de journalistes, à qui il arrive de côtoyer dans l’exercice de leur profession les plus grands de ce monde, exercent leur métier dans l’informel. S’il existe des employeurs qui veillent vigoureusement au respect de la loi en assurant leurs employés journalistes, il en existe d’autres qui ne font pas cas de ces droits. Devant l’absence de contrôle par les services concernés, beaucoup de journaux, notamment ceux de la nouvelle vague, paraissant ces dix dernières années, entretiennent le travail au noir des journalistes. Ces derniers, vulnérables, car sortant à peine de l’université et devant les difficultés de trouver un emploi, acceptent presque malgré eux de travailler sans être déclarés.
Leurs employeurs, comptant sur les largesses des pouvoirs publics acquises au prix de soutien politique, ne se sentent point inquiétés et continuent de faire valser leurs employés en les privant de leurs droits les plus élémentaires. « Nous pouvons facilement avancer le taux de 35 à 40% de journalistes non déclarés dans la presse privée. Malheureusement, les journalistes ne dénoncent cette situation qu’une fois licenciés », indique Nadir Benseba, représentant de la Fédération internationale des journalistes (FIJ), à Alger. Notre interlocuteur souligne que des journaux existent puis disparaissent de la scène médiatique, sans avoir déclaré leurs employés. « Il existe des journaux où seul le directeur et une poignée de responsables sont assurés socialement, alors que les journalistes et autres employés n’existent pas sur le fichier de la caisse d’assurance », ajoute M. Benseba, déplorant cette situation dévalorisante pour le journaliste. Une situation, il est vrai, qui rend vulnérable davantage la corporation en ces temps où la lutte pour les droits est un devoir. Nadir Benseba condamne le fait que des journalistes soient privés de soins à l’étranger à cause de l’absence de couverture sociale. « Nous rencontrons des difficultés à obtenir des visas pour des journalistes nécessitant des soins poussés à l’étranger. Des employeurs refusent même de coopérer dans certains cas en déniant fournir les dossiers qu’il faut pour obtenir des visas en urgence pour leurs journalistes », précise notre interlocuteur en notant que beaucoup de journalistes qui se croyaient assurés découvrent qu’ils ne jouissent pas de la couverture sociale, lorsqu’ils quittent leur emploi au niveau d’un journal ou s’ils tombent malades. Outre l’absence de couverture sociale, ils sont aussi victimes de la faiblesse de rémunération. « Il existe malheureusement des journalistes qui sont payés entre 6000 et 8000 DA et acceptent même parfois de ne pas être payés, en nourrissant l’espoir d’avoir garanti un poste d’emploi. Des stagiaires exercent pendant deux mois et ne reçoivent que 2000 DA », indique le représentant de la FIJ. A noter que la durée du stage est laissée à la bonne volonté de l’employeur qui ne fait même pas signer au stagiaire un contrat. « Il y a comme une chape de plomb sur les problèmes socioprofessionnels des journalistes maintenue à la fois par les pouvoirs publics et les employeurs. Une année est passée depuis la diffusion du régime spécifique qui était censé protéger les droits des journalistes et empêcher tous ces abus, mais rien n’a été fait depuis et c’est rester de l’encre sur papier. Il y a une complicité des pouvoirs publics pour maintenir cette situation », nous déclare le représentant de la FIJ. Il faut d’ailleurs s’interroger sur le laxisme dont fait preuve l’inspection du travail pour mettre fin à cette situation qui, pourtant, est connue de tous. Que devient d’ailleurs le fruit de l’ouvrage que l’inspection du travail avait effectuée il y a quelques années sur le travail au noir dans la presse ? La complicité des pouvoirs publics n’est donc plus à démontrer.
Par Nadjia Bouaricha
Le président Bouteflika
« La loi sur l’information sera révisée »
« J’ai pris l’engagement de procéder à une révision de la loi sur l’information qui doit effectivement être adaptée aux nouvelles donnes, de manière à conforter la liberté de la presse selon des critères professionnels et la logique du marché mais aussi pour répondre au besoin exprimé par la société d’une presse qui lui garantisse le droit de savoir et de communiquer », a déclaré hier le président Bouteflika à l’occasion de la célébration de la Journée mondiale de la liberté de la presse.
Le chef de l’Etat a adressé un message aux membres de la corporation, journalistes, éditeurs et cadres du secteur de l’information, pour leur exprimer sa plus haute considération pour les acquis réalisés sur la voie de la consécration des principes de liberté et du droit à l’expression. Tout en se recueillant à la mémoire des victimes de la profession, qui ont sacrifié leur vie durant la révolution, il s’est incliné également à la mémoire « de ceux qui ont payé de leur sang durant les années difficiles qu’a connues l’Algérie, convaincus qu’ils étaient du droit de dire haut et fort la parole libre et responsable, notamment lorsqu’il s’est agi de se dresser, avec force, aux côtés de tous les citoyens honnêtes, contre le terrorisme et contre ceux qui appelaient à la discorde et prêchaient le mal ». Saisissant cette opportunité, le président fera remarquer que l’État s’emploiera à faciliter l’exercice et la promotion de la profession pour améliorer l’action des différents organes de presse écrite et audiovisuelle tant à travers la promulgation de textes législatifs.
En appelant le gouvernement et les parties concernées à procéder à un examen approfondi des dispositions juridiques susceptibles de hisser la presse à un niveau de professionnalisme meilleur, il confirme que l’examen de la législation en matière d’information constituera « sans nul doute le prélude à une politique nationale de communication ». Selon le président, le grand défi qui se pose à la presse nationale « ne réside pas seulement dans l’acquisition de nouvelles qualifications ou de techniques de pointe, mais il se pose également en termes d’ancrage de la culture de la déontologie ». Il réside aussi dans l’objectivité à mettre dans le traitement de l’ensemble des questions pour garantir la nécessaire crédibilité et le professionnalisme à même d’assurer respect et continuité.
Par Nabila Amir
Argent public et le « festin » de l’Anep
Le marché publicitaire continue à engranger des sommes importantes durant le premier trimestre 2009. C’est du moins ce qui ressort de la dernière enquête menée par le cabinet d’étude et de conseil Sigma sur le marché publicitaire en Algérie. Ce dernier a connu une hausse de 12% et emmagasiné une cagnotte de 152 millions de dollars.
Celle-ci a profité, comme à l’accoutumée, aux bénéficiaires traditionnels, dont l’audiovisuel qui se taille à nouveau la part du lion. L’ENTV, elle seule, bénéficie de 17,6% des parts de marché. Les investissements publicitaires (IP) bruts, recensés durant l’année 2008, ont généré une manne de 12,9 milliards de dinars, soit 179 millions de dollars, selon Sigma Conseil Algérie. Les titres « gâtés » de la presse écrite monopolisent quelque 4,5 milliards de dinars du total des IP contre 5 milliards de dinars pour la télévision, 1,3 milliard de dinars pour la radio et 2,1% pour l’affichage, monopolisé en grande partie par l’Anep. Cette agence étatique, chargée depuis 1999 de canaliser l’argent public vers des destinations bien choisies du paysage médiatique, continue à subventionner, à doses différentes, les soldats du carré « discipliné » de la presse écrite. Depuis la centralisation des investissements publicitaires émanant des institutions publiques, l’Anep a pris le format d’une carte de pression redoutable pour des petites entreprises de presse. Elles ont certes du foin dans les bottes, mais peu d’entres elles se sont investies pour devenir de véritables entreprises de presse.
Certaines espéraient même voir leurs dettes épongées et les compteurs remis à zéro au niveau des imprimeries d’Etat. L’année dernière, notre confrère El Khabar a révélé que 37 titres, d’un total de 43, bénéficiaient d’aides gouvernementales. Selon des chiffres officiels émanant du département de la communication et de l’information, 49% des annonceurs publicitaires (qui sont tous publics) sont pris en charge par l’Anep, tandis que d’autres chiffres attribuent à l’Anep un monopole de 65%. Faut-il reconnaître que ce « festin de Balthazar » est distribué souvent d’une manière douteuse et opaque, mettant ainsi le secteur de la publicité dans une coupole fermée, accessible uniquement aux privilégiés de l’Anep et au secteur public, en dépit de leur faible tirage. Si l’Anep gère aujourd’hui 49% du marché publicitaire public, le poids de ce même secteur est très déterminant dans les recettes de nombreux titres. Un constat : la répartition de la publicité publique se fait en dehors de toute logique économique.
C’est-à-dire que des journaux à faible tirage bénéficient paradoxalement de rentrées publicitaires presque équivalentes à celles de titres aux tirages nettement plus importants. Second constat : une bonne partie des titres ne dispose même pas d’une comptabilité claire et conforme, encore moins d’une traçabilité transparente de leurs transactions. Ces mêmes titres, tenus sous perfusion de l’Anep, évoluent dans un milieu informel favorable à toute forme de magouille, en l’absence d’une autorité crédible censée mettre de l’ordre dans la maison. Une chose est sûre, l’argent de l’Anep ne profite guère au développement des entreprises de presse. Pour preuve, une bonne partie des titres existants actuellement sur le marché se maintiennent sur une lancée essentiellement artisanale. Et dire que certains, voire même la plupart d’entre eux, bénéficient aussi de plusieurs largesses au niveau des imprimeries d’Etat. Rares sont les entreprises de presse qui affichent aujourd’hui le nombre exact de leurs tirages, encore moins leurs chiffres d’affaires réalisés grâce, en grande partie, à la manne publicitaire.
Par Ali Titouche
L’ex-correspondant d’Echourouk El Youmi condamné à Tlemcen
Nouri Benzenine, ancien correspondant d’Echourouk El Youmi, vient d’être informé de sa condamnation, par le tribunal de Maghnia, à 2 mois de prison ferme et 50 000 DA d’amende pour diffamation.
Selon notre confrère, la plainte a été déposée en 2007 par le sénateur M. S. pour un reportage sur le trafic du carburant sur la bande frontalière ouest, publié les 14 et 15 mars 2007. « Je suis passé en instruction au niveau du tribunal de Maghnia où j’avais expliqué au juge que je ne comprenais pas pourquoi le sénateur s’était senti concerné par mes articles, en ce sens que ni son nom ni celui d’un autre n’ont été cités. »
M. Benzenine, décontenancé, avoue n’avoir jamais été informé de la date du procès « jusqu’au jour de la notification de la condamnation par un huissier de justice ». Pour notre confrère qui, dans un communiqué, attire l’attention de l’opinion publique nationale et internationale, il s’agit d’abus de pouvoir et d’influence qu’exercent certaines personnalités politiques et « élus du peuple ». Une condamnation qui survient à la veille de la célébration de la Journée de la presse, déplore-t-il. Nouri Benzenine fera opposition aujourd’hui.
Par C. Berriah
L’appel de la LADH
A l’instar des acteurs de la presse dans le monde, les journalistes algériens fêtent aujourd’hui la journée de la liberté de la presse, mais dans un climat différent de celui qui a vu les débuts de l’expérience de la presse indépendante en Algérie, au début des années 1990, estime la ligue algérienne des droits de l’homme (LADH), dans un communiqué daté d’hier.
Pour l’organisation de maître Boudjemaâ Ghechir, « la presse évolue dans un climat plus compliqué alors que le droit du citoyen algérien à l’expression, à la conviction et à l’opinion connaît davantage de dégradation, en dépit des belles paroles émanant du pouvoir et des discours passionnants sur les libertés et les droits, dont la liberté de la presse ». Le discours emphatique, ajoute le communiqué, malgré la hauteur de sa voix, n’a pas pu taire les complaintes et les cris de souffrance dus aux liens trop serrés, il suffit de suivre les affaires traitées au niveau des tribunaux contre les journalistes, les rapports relatifs à la liberté de la presse et de l’information en Algérie et la position peu reluisante de notre pays dans le classement mondial à chaque fois, pour se faire une idée sur la réalité amère de la liberté de la presse en Algérie. Se disant consciente de l’importance du rôle de la presse dans la construction de la démocratie et la promotion des droits de l’homme, la LADH appelle le gouvernement à garantir le service public dans les médias publics et leur ouverture à l’opinion contradictoire, à ouvrir le champ de l’audiovisuel, à garantir aux journalistes l’accès aux sources d’information, la cessation des harcèlements et des poursuites judiciaires contre les journalistes, à lever le caractère pénal dans les affaires de la presse et enfin à lever le monopole sur la publicité et les imprimeries. La LADH appelle aussi les éditeurs et les journalistes à faire preuve de plus de professionnalisme et de responsabilité, à construire une organisation forte, capable de rassembler les journalistes et de promouvoir le rendement médiatique et enfin à élaborer une charte d’honneur du journaliste algérien.
Par Nouri Nesrouche
El Hadj Daoud Nedjar, le justicier du M’zab
Il nous fixe rendez-vous au vieux marché de Ghardaïa. Lui, c’est El Hadj Daoud Nedjar. Profession : journaliste « récidiviste ». Sur son CV, pas moins de 65 affaires dont plusieurs sont encore pendantes devant la justice. Fort affable, de taille moyenne, les yeux pétillants, la barbichette poivre et sel qui ne trahit cependant pas ses 50 printemps, notre trublion du M’zab respire une vivacité toute espiègle.
Ghardaïa, De notre envoyé spécial
Et ce n’est pas la nuit qu’il a passée tout dernièrement en prison qui va édulcorer son caractère bien trempé. El Hadj Daoud nous invite dans les locaux de son journal, El Waha (l’Oasis), l’un des tout premiers organes indépendants et le premier (et seul) journal du Sud. Le bureau du directeur de la publication d’El Waha est dans une joyeuse pagaille, et pour cause : le journal a cessé de paraître depuis 2006. « Mais nous avons continué à paraître en ligne », indique notre hôte (consulter le site : http://www.elwaha-dz.com), avant de partir de ce serment : « Nous allons reparaître le 3 mai à l’occasion de la Journée internationale de la liberté de la presse. » Le parcours d’El Hadj Daoud Nedjar est étonnant à plus d’un titre. Ayant débarqué dans le monde des médias en 1979 à 20 ans (il est né en 1959 à Ghardaïa), il fait ses classes dans la rédaction du journal El Chaâb après avoir passé un concours et effectué quelques stages. « J’ai commencé comme correspondant régional. Je couvrais la région de Ghardaïa, Laghouat et Ouargla », se souvient-il. Très vite, il gagne des galons et se spécialise dans l’info de proximité. En 1990, c’est le début de ce qu’on appelle « l’aventure intellectuelle » avec la loi Hamrouche sur l’information. Des collectifs de journalistes mettent en route les premiers noyaux de ce qui constituera la presse « indépendante ». « Avec des confrères, on décide de lancer le premier journal régional du Sud, un journal dédié entièrement à la couverture des zones reculées de la région en donnant la priorité aux problèmes des citoyens. » El Waha commence comme hebdomadaire avant de se transformer en bimensuel.
Quand la justice se trompe de cible
Une photo accrochée au mur attire notre attention : celle de l’ancien siège du journal, complètement détruit. Nous songeâmes naïvement qu’il avait été emporté par les dernières inondations. « Non, il a été soufflé par un attentat, le premier du genre à Ghardaïa. C’était le 13 mai 1995. Dieu merci, il ne fit pas de victimes, l’attaque terroriste ayant eu lieu la nuit », raconte le DP d’El Waha. « Depuis la création de notre journal, nous nous sommes attachés à dénoncer les dérives du pouvoir local et l’action néfaste des lobbies et des réseaux de corruption, qu’il s’agisse du lobby du foncier, de la drogue ou des réseaux judiciaires », confie Daoud Nedjar en expliquant sa philosophie éditoriale. « El Waha, souligne-t-il, est un journal totalement autonome, ne bénéficiant guère de subventions publiques ni de publicité institutionnelle. » « Nous avons toujours été le dernier recours du citoyen. Les gens sont soulagés de voir que tel personnage influent ou tel nabab qui se croit intouchable, est ramené par la presse à ses justes proportions, c’est-à-dire aux dimensions de simple justiciable. Après, à la justice de faire son travail. » A condition, ajoute-t-il, que la justice soit indépendante conformément aux standards d’un Etat de droit.
« Or, souvent, c’est le journaliste qui se voit inculpé ! Et, au lieu de voir les juges prendre le relais des journalistes pour enquêter sur les affaires qu’ils divulguent, c’est la presse qui se retrouve derrière les barreaux. » « C’est un peu comme si vous inculpiez un chirurgien au motif d’avoir disséqué un corps malade. » A l’appui de ce constat amer, El Hadj Daoud exhibe une liasse d’une soixantaine de convocations judiciaires (65 précise-t-il), la dernière étant datée du 12 avril 2009, une affaire qui l’oppose au gérant des usines de Larbi Belkheir à Ghardaïa, dont une minoterie. Les démêlés de Hadj Daoud Nedjar avec la justice n’en finissent pas. A telle enseigne qu’il est devenu un « pilier » du palais de justice de Ghardaïa. Il s’est tellement familiarisé avec les arcanes du droit et le lanterneau (t) politico-judiciaire qu’il ne prend plus d’avocat depuis des années. « J’assure ma propre défense », lance-t-il fièrement. « Mes déboires avec la justice ont commencé en 2002 avec le code Ouyahia », se rappelle-t-il, allusion à l’amendement du code pénal et du code de procédure pénale introduit sous Ouyahia, et qui a aggravé la pénalisation du délit de presse.
La mort, le silence ou la prison
En 2006, Daoud Nedjar est gracié pour « l’ensemble de son œuvre » à l’exception d’une affaire, insiste-t-il. Une affaire mettant en cause un responsable municipal auteur, selon lui, « d’une dizaine de viols » commis sur des candidates à des postes divers. « Cette affaire a éclaboussé une magistrate qui couvrait cet élu », affirme Nedjar. « Mais le lobby qui protège ces gens-là et qui a le bras long s’est arrangé pour que cette affaire ne soit pas inscrite dans le cadre des mesures de grâce présidentielle au profit des journalistes incriminés, si bien que j’ai écopé de six mois de prison ferme. » C’est précisément cette affaire qui lui vaudra d’être jeté en prison le 2 mars dernier. Il a fallu la mobilisation de la corporation et une pétition lancée par El Watan pour qu’il soit relâché. En juillet 2004, un premier mandat de dépôt avait été émis à son encontre suite à une plainte pour diffamation de l’ancien chef de daïra de Berriane.
En parlant de Berriane, il estime que les derniers événements sont le fait de réseaux mafieux. « Il faut être aveugle ou bien naïf pour les réduire à un problème ethnique », analyse notre confrère. Et de faire observer que chaque fois qu’il y avait des émeutes dans la région, ces événements étaient accompagnés de grosses prises de kif. « Cela prouve que ces émeutes sont déclenchées pour détourner l’attention des agissements des lobbies de la drogue et autres groupes d’intérêts. » Véritable baroudeur de la plume, El Hadj Daoud Nedjar s’escrime en justicier éditorial contre tous les barons du M’zab : magnats de la finance, du foncier, gros bonnets des milieux d’affaires, magistrats corrompus et autres détenteurs de pouvoir, à quelque échelle fussent-ils. « Je n’ai de compte à régler avec personne. Mais mon devoir de journaliste m’oblige à m’impliquer. Si je ne suis pas à la hauteur d’une telle responsabilité, je ferais mieux d’aller vendre des carottes au marché », assène-t-il. Son engagement impétueux et sans concession que d’aucuns qualifieraient de « donquichottesque » lui vaudront moult tracas, allant jusqu’à la menace de mort. Par deux fois, El Hadj Daoud Nedjar a échappé à la liquidation physique. Cela ne semble guère l’impressionner.
« Celui qui devrait craindre pour sa personne, c’est celui qui fait du mal. En faisant simplement son métier d’une façon professionnelle, le journaliste ne commet pas d’injustice. Au contraire, il dénonce l’injustice. Partant, il n’a aucune raison d’avoir peur. » On l’aura compris : Daoud Nedjar est l’un des derniers journalistes « romantiques », lui qui vit son métier comme un sacerdoce. Et bien que père de cinq enfants, le « discours social » n’a aucune prise sur son âme d’éditorialiste insoumis. Pour lui, la presse est engagée ou ne l’est pas. « Le journaliste ne se réduit pas à une carte de presse, un diplôme ou une fiche de paie », martèle-t-il en réfutant l’étiquette de « journaliste militant ». « Nous essayons simplement d’être professionnels et à l’écoute du citoyen », dit-il humblement. « Si le journaliste ne fait pas le travail chirurgical qui lui incombe, le citoyen passera fatalement à l’émeute faute d’exutoire. » Pour lui, la règle de la présomption d’innocence est inversée dans le cas du professionnel des médias.
« Le journaliste est coupable jusqu’à ce que son innocence soit établie », lâche-t-il. « Les députés s’apprêtent à fêter la Journée internationale de la presse. Moi j’aurais voulu les voir abroger le code Ouyahia. Si j’écris sur un égout éventré, je me retrouve devant le juge. C’est aberrant. Un jour, j’irai à l’APN et j’exposerai mes convocations de justice », promet notre trublion. El Hadj Daoud Nedjar s’apprête à sortir un livre (en arabe) au titre édifiant : Le journaliste algérien entre la mort, la prison et la domestication. Un véritable manifeste du journaliste libre et courageux. Sous un chapitre intitulé L’écriture et la cellule, cet hymne flamboyant à la liberté d’expression : « Nous écrivons afin que la surface de la justice soit plus grande que celle de l’injustice, que la surface du bien soit plus large que celle du mal, et pour que la surface de la beauté soit plus généreuse que celle de la laideur. »
Par Mustapha Benfodil